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Évasion fiscale: la Suisse bientôt un Européen comme les autres

Paradis fiscaux: au sommet européen, c'est la Suisse qui a les clés du coffre
AFP

Le menu du Sommet européen qui s'est ouvert mercredi après-midi est plutôt copieux: l'évasion fiscale et la lutte contre les paradis fiscaux. Rien que ça. Et cette fois, ils seront réunis à 27 pour en décider. Toute l'Europe est convaincue. Toute? Non. Deux pays résistent encore et toujours à l'envahisseur européen: l'Autriche et le Luxembourg. Pour eux, le deal est simple: d'accord pour lever leurs restrictions sur le secret bancaire, mais à condition que les pays tiers, à commencer par la Suisse, montrent d'abord le bon exemple.

La Suisse va-t-elle tout lâcher sur le secret bancaire et céder aux appels du pied européens ou plutôt freiner des quatre fers sur la question? Quitte à mettre en péril les voisins de l'UE... C'est sur les Helvètes que tout repose, ce qui leur confère de facto un quasi-droit de veto. Une situation inédite, qui fait réfléchir Berne.

La ministre des finances Eveline Widmer-Schlumpf appelle désormais à la définition et à l'application d'un échange automatique des informations bancaires, avec tous les pays et places financières importantes. Elle a abondé dans ce sens le 11 mai dernier, dans les colonnes du journal zurichois Tages-Anzeiger, plaidant pour des discussions au sein de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Ce n'est désormais qu'une question de temps, ce qu'elle n'a pas manqué de souligner en venant contredire Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscale de l'OCDE, qui envisage la mise en place d'une norme dès cette année.

  • Dans le sillage de Singapour et des territoires britanniques

La ministre anticipe en effet des discussions difficiles pour les 34 pays membres de l'organisation. Les efforts récents de Singapour en la matière pourraient la faire mentir, au même titre que pour les territoires britanniques (Îles Vierges, Îles Caïmans, Gibraltar, Jersey, Man). David Cameron a en effet montré patte blanche le 20 mai dernier, en appelant à mettre fin au secret bancaire. Eux aussi vont devoir être transparents: une vraie révolution bancaire et fiscale est en train de se mettre en place.

"C'est un tournant majeur dans la culture bancaire suisse", déclare Jacques Pilet, fondateur du magazine helvète L'Hebdo et expert des questions européennes. La confédération est également sur le point de trouver un accord avec les Etats-Unis, qui devrait mettre un terme à des années de tension sur les accusations de complicité d'évasion fiscale visant les banques helvétiques.

Que ce soit avec les États-Unis ou l'Union européenne, Berne est prête aux concessions afin de conserver son activité avec ses partenaires. Une réflexion est actuellement menée pour mettre fin au fameux "forfait fiscal", permettant aux résidents étrangers de ne payer des impôts que sur leur train de vie. La fiscalité exceptionnelle pour les entreprises étrangères devrait également évoluer. "Ce qui est important pour la Suisse, c'est de garder une relation sereine avec l'UE", précise Jacques Pilet.

Mais qu'en disent les électeurs, qui devront trancher sur ces questions par référendum? "Les récents scandales ont fait basculer les positions de la population, désormais plus encline à mettre fin à ces régimes spéciaux", ajoute celui qui a participé à la création du Temps, le journal suisse des décideurs. Cinq cantons ont actuellement mis fin au forfait fiscal des étrangers, dont ceux de Bâle et Zurich.

  • Que vont devenir la Suisse et ses banques ?

Que feront les banques suisses, le jour où l'échange automatique des informations entre les pays deviendra la norme? Ne peuvent-elles pas craindre la fin de leurs activités? "L'idée que l'économie suisse repose sur son seul secteur bancaire est faux", prévient Jacques Pilet. "Il ne concerne que 10% du PIB, quand l'industrie (machines, horlogerie, produits chimiques...) atteint 21%". Le business avant les banques, donc.

Et avec quelles évolutions dans les services proposés? "Ceux qui souhaitent se soustraire à l'impôt de leur pays n'auront plus aucun intérêt à s'adresser aux banques helvètes", explique Jacques Pilet. Elles seront en revanche toujours en pointe pour ce qui concerne l'expertise de la gestion de fortune. "Les banques ont une gestion rigoureuse, ainsi que des compétences internationales reconnues", précise-t-il.

Et avec ça, la promesse d'une adhésion prochaine à l'UE? "Bruxelles pousse surtout pour une appartenance au droit européen, au sein d'un système global de collaboration avec la Suisse", note cet expert des questions européennes. Même si la Suisse ne fait pas partie de l'Union, une multitude d'accords bilatéraux ont déjà été signés depuis une dizaine d'années. Et c'est qui importe à Bruxelles et Berne.

Pour ce qui est d'une vraie adhésion, c'est loin d'être dans les cartons. Les Suisses avaient voté "non" à 50,3% en 1992 pour l'entrée dans le marché commun. Autant dire qu'il s'en était fallu de peu. Si l’on revotait aujourd’hui, le refus serait bien plus net, de l'ordre de 80%. "La Suisse est un peu comme une personne qui va vivre toute sa vie avec le même partenaire sans jamais vouloir se marier", s'amuse sur SwissInfo Laurent Goetschel, professeur à l’Institut européen de Bâle.

"La très bonne situation économique, sociale et politique du pays en comparaison du reste de l'Europe ne fait que renforcer le réflexe suisse de se tenir à l'écart, explique à son tour René Schwok, auteur de Suisse - UE, l'adhésion impossible (2010).

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