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Ecstasy, LSD ou champignons sur ordonnance: les drogues psychédéliques sont-elles l'avenir de la psychiatrie?

L'avenir de la psychiatrie passe-t-il par l'ecstasy?
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RECHERCHE- Il y a 40 ans c'était un hippie. Aujourd'hui il a l'oreille du Pentagone. Vendredi 3 mai, le psychologue américain Rick Doblin abordait plein d'espoirs une réunion avec une série de responsables de l'armée américaine. Son objectif? Les convaincre de le laisser traiter des vétérans victimes d'expériences traumatiques à l'aide d'un médicament un peu particulier: le MDMA, la substance active d'une drogue plus connue sous le nom d'ecstasy.

De la drogue pour soigner des troubles psychologiques? L'idée peut paraître a priori étonnante, voire provocante. Elle fait pourtant son chemin au sein de la communauté scientifique américaine. Si la molécule a déjà fait ses preuves dans le traitement de la dépression chez les animaux, elle nourrit chez l'homme d'autres espoirs, à commencer par le syndrome de stress post-traumatique (PTSD). Aux Etats-Unis, on estime que 200 000 vétérans des forces armées en sont atteints. En France, ils sont officiellement 400. Officieusement, bien plus.

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Regroupée autour de l'institut MAPS, pour Medical Association for Psychedelic Studies, une ONG américaine créée par Rick Doblin, une équipe de chercheurs expérimente depuis 25 ans les bienfaits du MDMA dans le traitement de ce type de syndrome. En 2010, l'Institut publie les résultats de sa première étude dans le Journal of Psychopharmacology, une revue scientifique dont les protocoles expérimentaux sont validés par des pairs avant publication. Ce sera l'article le plus téléchargé de l'année.

L'expérience, dirigée par le psychiatre Michael Mithoerfer, a porté sur 19 individus atteints du syndrome de stress post-traumatique. Parmi eux, 14 ont vu une réduction importante de leurs symptômes entre un et six ans après une psychothérapie ayant recours au MDMA. Des résultats encourageants qui ont donné du baume au cœur à plusieurs équipes de chercheurs à travers le monde. Et pour cause: les antidépresseurs ne permettent pas de soigner tous les patients, dont certains résistent à toutes les combinaisons de molécules.

Aux Etats-Unis, en Suisse ou encore en Israël, plusieurs études vont actuellement dans le même sens, dont les participants sont généralement des civils, victimes d'événement traumatiques, comme des pompiers ou des femmes victimes de viol.

Aux USA, les possibilités ouvertes par le MDMA dans le traitement du PTSD intéressent les plus grands médias comme ici CNN (suite de l'article sous la vidéo):

"Ces expériences ne m'horrifient pas," nous confie le psychiatre Laurent Karila, chef du service addictologie de l'hôpital Paul-Brousse, à Villejuif. "Il y a une véritable action antidépressive du MDMA qui agit sur la sérotonine, un neurotransmetteur". Mais de là à faire de l'ecstasy un véritable médicament, il faut rester prudent. "Cette substance conserve un potentiel addictogène très fort, il faudra donc voir si le balance bénéfice-risque en vaut la peine, mais pour ces patients qui résistent à tout, oui, c'est une bonne nouvelle," estime le psychiatre.

Faire revivre le trauma, la peur en moins

À l'institut MAPS, Michael Mithoefer continue d'expérimenter la psychothérapie à l'aide du MDMA grâce à un stock constitué pendant les années 1980 et dont les autorités ont parfaitement connaissance. Chaque séance dure huit heures au cours desquelles le patient est entouré du docteur Mithoefer et de sa femme. Les patients se voient administrer une forte dose de MDMA pour certains, une dose moyenne pour les autres, ainsi qu'un placebo pour les derniers. Les prises de ce traitement qui dure entre trois et cinq moins sont espacées d'un mois, afin de permettre aux patients de récupérer entre chaque prise.

Objectif de la thérapie? Permettre à ces patients de faire resurgir les souvenirs de leur trauma afin d'en parler. "Ils doivent accepter avant l'expérience d'aborder cet événement traumatique. S'ils ne le font pas d'eux-mêmes, ils savent que nous le ferons," expliquait récemment Rick Doblin au magazine américain Wired. "Le MDMA leur permet alors de réfléchir à l'événement déclencheur de leur traumatisme, que ce soit un bruit fort, ou la vision d'une personne habillée de telle ou telle manière qui leur rappelle leur agresseur sans avoir peur", développe-t-il.

Car le propre de l'expérience traumatique est de pouvoir être à nouveau "enclenchée" par une vision, une situation, ou un bruit associés à l'événement. Il est alors reconstruit par la mémoire de l'individu qui a l'impression de revivre la scène. Par conséquent, la simple convocation de ces souvenirs peut être à l'origine d'une très grande peur, et de difficultés à parler de l'événement. Or, "quand les patients se souviennent de leur accident sous MDMA, ils reconstruisent l'événement sans que la sensation de peur soit aussi forte qu'avant," résume le chercheur.

LSD, champignons hallucinogènes et ayahuasca

Depuis les années 1960 et 1970, qui avaient vu la société américaine se polariser autour de la question des drogues dures, de l'eau a donc coulé sous les ponts. Dans un contexte de légalisation de la marijuana, de recours massif au cannabis thérapeutique et d'échec de la lutte anti-drogue, les Etats-Unis constituent aujourd'hui un terreau fertile pour la recherche sur les drogues psychédéliques. En témoigne le millier de participants environ, qui a assisté au troisième Congrès annuel des sciences psychédéliques organisé par MAPS le 20 avril dernier à Oakland en Californie.

Car il n'y a pas que le MDMA. LSD, ayahuasca -un mélange de plantes hallucinogènes utilisées par des chamans en Amazonie utiles pour traiter les addictions- ou encore psylocybine, une substance active que l'on trouve dans les champignons hallucinogènes: les chercheurs s'intéressent aux effets d'autres drogues dites psychédéliques. Grâce à l'imagerie médicale par exemple, le neurologue brésilien Draulio Barros de Araújo a pu observer les effets de l'ayahuasca sur le cerveau. Bilan: le mélange agirait sur une partie du cerveau appelée le "réseau du mode par défaut", tout comme le fait la psilocybine, une substance active présente dans les champignons hallucinogènes.

Pour l'instant, les chercheurs ignorent comment fonctionne ce réseau du mode par défaut, mais ils estiment qu'il devrait jouer un rôle crucial dans la sensation d'être "soi", ce sentiment permanent d'être nous-mêmes et qui ne serait en définitive qu'une illusion construite par notre cerveau. Or, on sait que l'activité neurale dans le réseau du mode par défaut est très forte chez les individus sujets à la dépression, l'usage de substance agissant sur cette zone pourrait alors jouer un rôle dans le traitement de symptômes dépressifs.

Une pilule difficile à avaler

Traiter des symptômes dépressifs à l'aide de substances provenant de drogues, le psychopharmacologue britannique David Nutt l'a déjà fait. Les résultats de plusieurs essais conduits à l'aide de volontaires insensibles aux traitements conventionnels ont été concluants en Grande-Bretange, et le chercheur voudrait désormais aller plus loin en procédant à un véritable test clinique des effets de la psilocybine, présente dans les champignons hallucinogènes.

Mais il se heurte à un obstacle de taille: s'il dispose du demi-million de livres sterling nécessaires pour entreprendre son étude, impossible de mettre la main sur la psilocybine en question. Et cela pour une raison selon lui très simple: aucun laboratoire ne serait prêt à se risquer dans les méandres administratifs et réglementaires de la production d'une substance illégale, même à titre expérimental.

Fou de rage devant ce qu'il considère comme "l'un des plus grands scandales scientifiques" de notre époque, David Nutt a publiquement fait part de sa colère lors de l'ouverture du Congrès annuel des neurosciences britannique, le 7 avril, à Londres. "Le caractère illégal de ces drogues a profondément entravé la recherche médicale et continue de le faire," a-t-il pesté devant un parterre de chercheurs.

Lorsqu'il était conseiller en chef du gouvernement britannique sur les drogues, David Nutt militait pour la légalisation du cannabis. Selon lui, le LSD poserait un problème de santé publique bien moins important que l'alcool. Une déclaration qui lui avait coûté son poste. Il explique ici ses découvertes sur les vertus de la psilocybine (suite de l'article sous la vidéo):

L'impasse dans laquelle se trouve le chercheur illustre bien à quel point l'équilibre est dur à trouver quand la recherche implique des substances considérées comme dangereuses par la société ou par l'État. En Espagne, une étude similaire à celles du MAPS sur le MDMA et le syndrome de stress post-traumatique avait été initiée à la fin des années 1990 avant d'être brutalement interrompue. En cause, des pressions politiques après que trois décès liés à la prise d'ecstasy hors contexte médical ait été largement médiatisés au début des années 2000.

Ces situations ne sauraient contraster davantage avec la réalité américaine. Du côté de l'institut MAPS, on se félicite que la société américaine se soit ouverte à ces enjeux. Mais le principal obstacle auquel les chercheurs font face reste la question du financement. Des barrières que l'officialisation d'un intérêt des militaires pour le traitement du PTSD pourraient lever. Quant au rendez-vous au Pentagone, des dires de Rick Doblin, "il s'est très bien passé."

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