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10 expressions vraiment insupportables

"Je dis ça, je dis rien" et autres expressions insupportables (décortiquées pour vous)
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PSYCHOLOGIE - Publié il y a quelques jours, Je dis ça, je dis rien (Leduc ed.), recense 200 de ces expressions insupportables identifiées en France par la blogueuse Adèle Bréau. "J'ai envie de vous dire", "que du bonheur", "on revient vers vous", "non mais allô quoi", "brainstormer", "confusant", soit autant de mots ou assemblages de mots particulièrement en vogue aujourd'hui. Un peu comme si la prophétie de George Orwell avec sa novlangue dans le roman 1984 était devenue réalité.

Certes, le propre d'une langue vivante est de refléter son époque, et de nouvelles expressions issues de l'argot, de langues étrangères, d'onomatopées viennent en permanence fleurir cette immense jardinière qu'est le Français. Mais là où le bât blesse, c'est lorsque les mots deviennent de véritables tics de langage, prononcés à la va-vite, quitte à se voir débarrassés de leur signification première.

Il suffit de passer un peu de temps dans le métro de Paris ou dans un café pour entendre une flopée de "tu vois", de "j'imagine!", de "LOL", de "ça le fait". Alors à la rubrique C'est la vie, on s'est dit qu'on allait nous aussi faire un petit diapo plein d'expressions bien irritantes et qu'on allait s'amuser à les décortiquer, avec l'aide de la linguiste et blogueuse au HuffPost Julie Neveux, Maître de Conférences à l'université Paris IV-Sorbonne. De quoi avoir grave le swag lors de votre prochain date.

1. "Faire le buzz"

Véritable phénomène de la génération internet, l'expression "faire le buzz" ou "buzzer" signifie littéralement "faire sensation" ou "avoir du succès". En général le "buzz" se fait sur le net, se propage comme une traînée de poudre et se perd dans les profondeurs d'un oubli intersidéral aussi rapidement qu'il est né.

Contexte: "Ouah, 10.000 vues sur Youtube! Cette vidéo de mon chat en train de manger les hortensias du voisin fait vraiment trop le buzz!"

Pourquoi on n'en peut plus de l'entendre: parce qu'au lieu de mettre des vidéos en ligne, les jeunes devraient se souvenir qu'ils ont un bac à réviser. Sinon, Julie Neveux le voit comme ça: "Aujourd'hui il faut faire de l'effet par tous les moyens, c'est l'héritage de la culture américaine. C'est pourquoi ce mot est parfait pour désigner le phénomène: rapide et issu d'une onomatopée, il met de côté la richesse de la langue pour faire primer sa fonctionnalité."

2. "En même temps"

L'expression "en même temps" a complètement changé de sens en quelques années. Dans le langage moderne, elle signifie "mais", "cependant" ou "pourtant", donc l'opposition, alors qu'à l'origine elle désignait plutôt la simultanéité : "au même moment", "dans le même intervalle",etc.

Contexte: "J'aime beaucoup cette petite robe fuchsia; en même temps, mettre du fuchsia à un enterrement, c'est peut-être un peu mauvais genre".

Pourquoi on n'en peut plus de l'entendre: Julie Neveux résume très bien la situation,"Mes élèves à l'université ne savent plus du tout utiliser les connexions logiques. Quelle est la conséquence? Quelle est la cause? Ils n'en savent rien. L'expression "en même temps" est symptomatique: ici on a complètement perdu le sens originel et on exprime une opposition avec une expression censée exprimée la similitude."

3. "Je dis ça je dis rien"

Utilisée en général à la suite d'une bonne grosse vacherie, "je dis ça, je dis rien" semble servir, justement, à ne rien dire. Voici la tautologie dans toute sa splendeur: un élément de langage qui s'annule aussitôt qu'il est prononcé.

Contexte: "Il est pas en train de se dégarnir, Ghislain? Enfin, je dis ça , je dis rien."

Pourquoi on n'en peut plus de l'entendre: parce que quitte à dire quelque chose, autant que ça ne soit pas rien. Et vice-versa. "Cette expression a une fonction phatique, explique Julie Neveux. Elle sert simplement à établir un lien social. La parole est de plus en plus vide de sens, elle n'a pour faculté que le plaisir de prendre la parole."

4." Les gens"

Voilà encore une belle façon de se démarquer de la masse: on parle des "gens" en opposition à soi-même, l'être suprême et ô combien différent. C'est marrant d'ailleurs, parce que tout le monde l'utilise tout le temps.

Contexte: "Qu'est-ce qu'ils conduisent mal, les gens. Ils ont pas encore compris que les radars te flashent pas si tu roules en zig-zag."

Pourquoi on n'en peut plus de l'entendre: peut-être parce qu'on voit toujours la paille dans l'oeil du voisin, mais pas la poutre dans le sien. Julie Neveux, elle, a une autre explication: "Ce genre de propos affirmatif exprime le besoin de généraliser. C'est encore une façon d'avoir un discours qui englobe la situation immédiatement dans une vérité universelle: tel type conduit comme un fou, alors tous les gens sont dangereux (tout le genre humain!) C'est le cerveau qui catégorise immédiatement dans ensemble très large, parce qu'on a toujours besoin de se raccrocher à des repères (ce que je vis se rattache à une situation générale); c'est une nouvelle fois une sorte de réflexe linguistique où l'on ne réfléchit pas au caractère spécifique de la situation(ce qui s'est passé dans ce cas exactement), ni à ses causes logiques, mais où l'on porte un jugement souvent manichéen sur une situation."

5. "En mode..."

"Être en mode..." signifie "adopter une attitude particulière: "être en mode beau gosse", "être en mode dragueur", "être en mode flemmard". Attention, ceux qui sont "en mode" ne sont pas forcément "à la mode".

Contexte: "Quand j'ai vu cette vidéo du chat qui mange des hortensias, j'étais en mode pété de rire. LOL."

Pourquoi on n'en peut plus de l'entendre: selon Julie Neveux, la situation est grave. Cette expression révèle à quel point notre époque nous a transformé en machines. Comme une machine à laver peut être en mode "essorage", l'humain se met en mode "dépressif" par exemple. Derrière, cela raconte à quel point notre société technique aboutit à une sorte de machinomorphisme. En mode robot, quoi.

6. "J'ai envie de te dire"

A l'instar de "je dis ça, je dis rien", le "j'ai envie de te dire" est utilisé comme pur apparat. Au lieu de simplement dire non, on dit "j'ai envie de te dire non" comme on enfilerait une bague 24 carats sur la main d'une femme très simple.

Contexte: "Tu veux te marier avec moi et avoir trois enfants, un fox-terrier et une vie très heureuse, Brigitte?

- J'ai envie de te dire non."

Pourquoi on n'en peut plus de l'entendre: C'est simple, selon Julie Neveux, "on passe beaucoup plus de temps à l'annoncer qu'à le dire." Faisons le calcul: "J'ai envie de te dire", c'est 5 mots; "non", c'est 1 mot.

7. "J'imagine"

"J'imagine" ne désigne pas du tout un effort d'imagination mais une façon de compatir faussement aux problèmes de son interlocuteur, tout en espérant qu'il va arrêter de raconter sa vie.

Contexte: "Mon divorce m'a miné le moral.

- J'imagine.

- Tu m'écoutes?

- J'imagine."

Pourquoi on n'en peut plus de l'entendre: parce que c'est l'exemple typique de l'hypocrisie bien sous tout rapport. Julie Neveux nous en dit plus: "Normalement "j'imagine" veut dire "ressentir, voir des choses", alors qu'en fait on n'imagine rien, c'est un juste un mot réflexe, un moyen de compatir faussement. C'est vraiment le degré 0 du langage: parler pour parler."

8. "T'es grave"

Rien à voir avec le fait d'avoir une grosse voix ou d'être solennel, ici "être grave" signifie en gros "exagérer", ou "aller un peu trop loin". Mais de manière affective.

Contexte: "Roméo, pourquoi es-tu Roméo?

- T'es grave, Juliette."

Pourquoi on n'en peut plus de l'entendre: parce qu'on nous le ressort à toutes les sauces et que c'est grave. "Au départ, le mot "grave" a plusieurs sens: solennel, lourd, sérieux,etc... Mais les nouvelles générations ne connaissent plus qu'un seul sens."

9. "Trop pas"

"Trop pas" est utilisé pour dire "pas du tout" par toute une génération encore en âge de profiter de la carte 12-25.

Contexte: "J'ai trop pas envie d'aller à cet enterrement; ma mère a mis une robe fuchsia."

Pourquoi on n'en peut plus de l'entendre: "Cette expression est typiquement un élément de langage tel qu'on en trouve aujourd'hui: on met énormément d'emphase dans une expression qui au final ne gagne pas du tout en intensité."

10. "Bitcher"

"Bitcher" vient du mot anglais "bitch" en anglais, qui signifie "chienne" et une femme à la vertu très limitée. "Bitcher" signifie ici "parler sur le dos des autres, faire des ragots,etc."

Contexte: "Vivement les vacances que j'aille bitcher au soleil. C'est bon pour le teint."

Pourquoi on n'en peut plus de l'entendre: parce que bitcher c'est pas gentil. Selon Julie Neveux, "l'expression "bitcher" reflète un certain effort de créativité. On a pris un mot qui a un sens bien défini pour en faire un verbe qui a un tout autre sens. C'est mignon."

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