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Cloutier a fait 60 élections clés en main pour Roche

Cloutier a fait 60 élections clés en main pour Roche

Gilles Cloutier a donné mardi un authentique cours « Élections clés en main 101 » à la commission Charbonneau. L'ex-vice-président au développement des affaires de la firme de génie-conseil Roche (1995 à 2005) a expliqué comment il organisait des élections municipales pour des candidats à la mairie en échange de contrats pour sa firme en cas de victoire.

Un texte de François Messier

Il a soutenu avoir, en tout, organisé une soixantaine d'élections clés en main pour Roche et n'en avoir perdu que cinq ou six.

« Il n'y en a pas gros des organisateurs au Québec comme moi et Marc-Yvan Côté: il y en a peut-être dix ou douze. » — Gilles Cloutier

M. Cloutier a dévoilé sa méthode dans ses moindres détails, en prenant souvent en exemple le cas de la municipalité de Sainte-Julienne, où il organisé les campagnes électorales du maire Marcel Jetté en 1998, 2001 et 2003.

Le septuagénaire a expliqué que grâce aux contacts qu'il avait tissés au fil du temps, de nombreux candidats à la mairie s'intéressaient à ses services. Il évaluait en premier lieu ses chances de victoire en faisant une tournée de la municipalité.

Il pouvait alors interroger un propriétaire de dépanneur, le directeur général de la Ville, voire le curé pour évaluer la température de l'eau. Il obtenait ensuite l'approbation de ses patrons chez Roche, dont l'ex-ministre libéral Marc-Yvan Côté.

« S'il n'y avait pas de contrat, je n'y allais pas », a-t-il expliqué, en précisant qu'une élection clés en main de la sorte pouvait coûter 25 000 $ à sa firme.

Venait ensuite une deuxième rencontre avec le candidat à la mairie. C'est à ce moment, dit-il, qu'il négociait l'obtention de contrats pour Roche en cas de victoire.

Dans le cas de Sainte-Julienne, par exemple, Gilles Cloutier dit avoir accepté d'organiser la première élection de l'équipe de Marcel Jetté à la fin des années 90, en retour du contrat de 3 M$ qui devait être donné par la suite pour la réfection de la route 125. « Il m'a dit oui ».

Le nerf de la guerre : l'argent comptant

Pour gagner une élection, a dit Gilles Cloutier, il faut contrôler quatre éléments : la qualité des candidats, le financement, l'organisation et la communication. Pour chacun de ces aspects, il attribuait une note sur 25 points, en s'assurant d'obtenir au moins 20. S'il n'y parvenait pas, il prenait des mesures pour corriger le tir; quand il y était parvenu, il était certain de gagner.

Gilles Cloutier demandait ensuite au chef de parti une procuration afin que tous les documents officiels transmis par le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) au président des élections lui soient remis. L'idée était d'obtenir toute l'information pertinente, rapidement, sans intermédiaire.

Il se mettait ensuite à la recherche d'un local électoral, en s'assurant qu'il soit bien situé, par exemple sur la rue principale, ou près de l'hôtel de ville. Le local devait avoir un bureau fermé et beaucoup de stationnements pour les « bénévoles ».

La valse de l'argent comptant commençait alors. Gilles Cloutier dit qu'il essayait d'entrée de jeu de convaincre le propriétaire du local électoral choisi d'être payé au moins en partie en argent comptant.

Selon Gilles Cloutier, il fallait utiliser de l'argent comptant dans toutes les situations possibles, en réservant les dépenses électorales officielles pour des éléments facilement vérifiables par le DGEQ, par exemple pour les photos des candidats, des envois postaux, etc.

Selon lui, l'argent comptant pouvait aussi servir à payer des bénévoles ou des dépenses en communication ou en imprimerie. Pour un contrat de 2000 $ à un imprimeur, a-t-il illustré, 800 $ pouvaient être versés de façon légale, tandis que la balance était payée en argent comptant. Un téléphoniste travaillant pour l'équipe pouvait pour sa part recevoir 250 $ ou 300 $ par semaine.

« Ceux qui ont dit qu'ils avaient des pyramides de bénévolat, c'est faux », dit-il, dans ce qui semble avoir été une allusion au témoignage de l'ex-directeur général d'Union Montréal, Christian Ouellet. « Les bénévoles veulent être payés. »

Le témoin explique d'ailleurs qu'il tenait deux comptabilités pour les campagnes. Le budget 1, officiel, était celui qui allait être remis par l'agent officiel au DGEQ; le budget 2, officieux, comptabilisait les dépenses électorales illégales. Il surveillait le tout lui-même à 7 h, tous les matins de la campagne.

Un secret mal gardé...

Gilles Cloutier précise que c'était le chef du parti municipal qui choisissait l'agent officiel, mais qu'il ne se gênait pas pour se plaindre au chef s'il ne faisait pas son affaire. Il assure d'ailleurs qu'il essayait de garder cet agent à bonne distance du local électoral.

Selon lui, plusieurs agents officiels savaient très bien ce qu'il faisait. « C'est difficile de tout cacher », a-t-il admis. Certains agents étaient cependant tenus dans le noir, a-t-il dit.

Le candidat à la mairie, ajoute-t-il, se doutait souvent qu'il y avait deux budgets, sans plus. Mais il avait de toute façon déjà accepté de donner des contrats à Roche en cas de victoire. Les candidats aux postes de conseillers, eux, ne savaient rien.

Selon Gilles Cloutier, il était important de dépenser tout le budget officiel avant de recourir au budget officieux, puisque les partis peuvent récupérer 50 % de leurs dépenses électorales dans la mesure où ils récoltent au moins 20 % du vote.

Lors de la campagne de 2003 à Sainte-Julienne, a-t-il dit, une erreur de calcul a fait en sorte que le budget officiel allait être défoncé. Gilles Cloutier dit qu'il a alors négocié un crédit de 600 $ auprès d'une agence de communication appartenant à Dominic Cayer pour obtenir un crédit qui a permis de rééquilibrer le tout.

La firme en question, Domco, a finalement été remboursée par l'une des compagnies que Gilles Cloutier dirigeait en parallèle à l'époque. Le témoin avait déjà dit plus tôt en matinée que ses compagnies, dont Signa Vision, avaient servi à faire circuler de l'argent et à camoufler des dépenses.

Éventuellement, l'aspirant maire d'une municipalité organisait une activité avec toute l'équipe électorale. Il annonçait alors aux candidats que les photos officielles seraient prises le lendemain, et leur disait comment faire du porte-à-porte.

Cette activité, dit-il, permettait à un candidat de faire du pointage. Ce dernier devait indiquer si un électeur rencontré était un sympathisant (identifié par la lettre S), un adversaire (A), un indécis (I) ou un électeur qui n'irait pas voter (X). Ces listes étaient remises par chacun des candidats à Gilles Cloutier tous les trois jours.

Ce pointage était consignée par une secrétaire, officiellement bénévole, mais dans les faits payés avec l'argent comptant fourni par Roche ou d'autres firmes de génie-conseil qui étaient de mèche avec elle.

Gilles Cloutier a expliqué que le jour des élections, il mobilisait entre 20 et 25 téléphonistes pour appeler les sympathisants identifiés afin qu'ils aillent voter. Des personnes faisaient l'aller-retour entre les représentants du parti dans les bureaux de vote et le local pour ramasser des feuilles de pointage afin savoir qui n'avait pas encore voté.

L'homme, qui se vante d'avoir remporté presque toutes les élections clés en main qu'il a organisé, attribue d'ailleurs ses quelques échecs à du pointage mal fait.

Des bénévoles récompensés en billets de hockey

Gilles Cloutier a aussi expliqué qu'il avait inventé un système de parrainage pour s'assurer d'aller chercher des votes : cela consistait à trouver des bénévoles qui allaient recruter 20 personnes qui allaient voter pour le bon candidat lors du vote par anticipation.

La personne qui réussissait à faire voter le plus de personnes à cette occasion pouvait se voir offrir quatre billets pour un match de hockey en plus d'un repas à la Mise au jeu, d'une valeur de 300 $, voire, à une occasion, un voyage en Floride. Ces cadeaux étaient évidemment payés avec de l'argent comptant.et comptabilisés dans le budget officieux.

Une loi qui ne fait pas le poids

Gilles Cloutier a expliqué qu'avant 2001, les municipalités pouvaient accorder tous leurs contrats de gré à gré à des firmes de génie-conseil, ce qui simplifiait grandement l'affaire.

Après 2001, une nouvelle loi a exigé que les municipalités lancent des appels d'offres sur invitation pour les contrats d'une valeur de 25 000 $ à 100 000 $. Gilles Cloutier s'organisait alors avec une autre firme de conseil pour obtenir une soumission de complaisance.

Dans ces cas, a-t-il dit, la firme qui l'embauchait pouvait conserver 80 % de la valeur des contrats et la firme qui acceptait d'être complaisante récoltait les 20 % restants. Si une troisième firme s'ajoutait, les contrats étaient répartis selon une formule 60%-20%-20%.

Les firmes qui étaient de mèche avec Roche, dont Genius (Michel Lalonde), fournissaient alors une certaine somme d'argent comptant qui allait dans la caisse électorale occulte.

En bref : La commission a accordé au directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) sa requête en ordonnance de non-publication préventive afin que le témoignage de M. Cloutier au sujet de l'opération policière Fiche, concernant la Ville de Boisbriand, ne soit pas publié. Les avocats des médias ne l'ont pas contestée.

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