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Tamerlan et Djokhar Tsarnaev: l'Amérique découvre ses propres Merah

Tamerlan et Djokhar Tsarnaev: l'Amérique découvre ses propres Merah
Reuters

L'aîné est décrit comme un loser par son oncle, le cadet accumule les éloges. Le premier n'est pas intégré, le second aimé de tous, Tamerlan et Djokhar Tsarnaev appartenaient-ils à un groupe terroriste étranger ou ont-ils agi de leur propre initiative? Loin du complot étranger, les informations parcellaires et fragmentées qui nous parviennent permettent de dresser le portrait de deux jeunes hommes dont les germes du passage à l'acte se trouvent sur le territoire américain.

Pour les Etats-Unis, c'est la découverte d'un nouveau danger. Une surprise particulièrement flagrante dans certaines analyses des événements outre-Atlantique (cliquez ici et ici pour lire celles du HuffPost américain). S'ils ont appris à vivre avec la menace du terrorisme extérieur, la violence d'extrémistes de droite de l'intérieur et l'irruption de tueries telles que celles de Columbine, de Virginia Tech et de Sandy Hook, l'autoradicalisation d'individus issus de l'immigration sur le territoire américain constitue un phénomène nouveau outre-Atlantique. Car les frères Tsarnaev, ce sont aussi deux parcours qui en rappellent un autre, celui de Mohamed Merah.

"Je n'ai pas d'amis américain. Je ne les comprends pas," aurait déclaré Tamerlan Tsarnaev à un étudiant journaliste qui réalisait un portrait du jeune homme en boxeur. Certes il y a d'un côté l'Europe, de l'autre l'Amérique, à Toulouse la cité des Izards, un jeune né en France, à Boston la ville de Cambridge l'un des épicentres de la formation des élites américaines, c'est pourtant bien la même mécanique qui semble s'être imposée.

Immigration, déracinement, liens distendus avec la cellule familiale, duos fraternels très idéologisés, relation problématique avec la religion. Des pays d'origines aux passés violents et traumatiques, l'Algérie pour Merah, la Tchétchénie pour les frères Tsarnaev, des histoires d'intégration qui laissent la place à la désintégration.

Autoradicalisation

Fanatisme aveugle ou endoctrinement, l'enquête devra déterminer le rôle réel ou fantasmé qu'a joué la religion, les données parcellaires dont on dispose n'autorisant, pour l'instant, que des hypothèses. Le New York Times indique que sur son profil VK, le Facebook russe, Djokhar aurait renseigné "l'Islam" en tant que "vision du monde". Choix paradoxal ou par défaut, il aurait également sélectionné "career and money", "la carrière et l'argent", comme principal intérêt.

La chasse à l'homme du deuxième suspect: les photos de nos collègues américains (Suite du texte dessous la galerie)

Police Leave The Scene After Capturing Suspect

Manhunt For Suspect #2

Quant à Tamerlan Tsarnaev, l'édition américaine du Huffington Post, rappelle qu'un un compte YouTube, qui pourrait être celui du suspect, est abonné à plusieurs chaînes islamiques. Le compte recense également quatre listes de lectures dont une est intitulée "Islam", une seconde "Terrorists". Non authentifié, le nom de Tamerlan Tsarnaev n'était pas encore associé au compte en janvier 2013. S'agissait-il néanmoins du sien? A-t-il été créé par quelqu'un d'autre?

Les autorités américaines voudraient également en savoir plus sur le séjour prolongé de Tamerlan en Russie l'année précédente. Sur le site Amazon, sa wishlist regroupe plusieurs ouvrages sur l'histoire de la Tchétchénie, de l'islam, mais également des méthodes de falsification d'identité.

Dans le reportage qui lui a été consacré par le photojournaliste Johannes Hirn en 2009 (voir les photos), Tamerlan déclare être musulman, ne pas boire et ne pas fumer. "Dieu dit de ne pas boire," affirme-t-il, avant d'ajouter: "il n'y a plus de valeurs aujourd'hui." Le jeune homme est alors étudiant au Community College de Bunker Hill, une institution universitaire. Son souhait: boxer et intégrer l'équipe olympique états-unienne, afin d'être naturalisé américain.

S'il avait à choisir entre la Russie et les Etats-Unis, Tamerlan affirme alors qu'il se battrait pour les Etats-Unis tant que la Tchétchénie, son pays d'origine, ne serait pas indépendant. Mais en 2009, ses espoirs sont trahis lors d'un championnat national à Salt Lake City au cours duquel les juges lui volent la victoire. Comme Mohamed Merah, Tamerlan a-t-il connu le ressentiment? En guise de réponse vient une zone d'ombre suivie par son arrestation pour violences sur sa petite amie italo-portugaise avec qui il a eu un enfant.

Déracinés

L'Islam aura-t-il été un refuge pour un Tamerlan Tsarnaev déraciné? La réponse vient peut-être de son petit frère Djokhar. Selon un témoignage, celui-ci cherchait à en savoir davantage sur son pays d'origine.

En pleine quête identitaire, il prend contact avec Brian Williams, professeur d'histoire islamique à l'Université de Dartmouth, dans le Massachussets, en 2011. L'homme n'est pas n'importe qui. C'est l'un des seuls experts américains de l'histoire de la Tchétchénie.

D'après Williams, il voulait savoir plus sur ce pays auquel les Russes ont refusé l'indépendance, au prix de trois guerres sanglantes qui ont déchiré le pays de 1994 à 2001. 200.000 morts au total et une insurrection qui perdure. Depuis la conquête du Caucase par les Russes au XIXè siècle, Russes orthodoxes et Tchétchènes musulmans sont à couteaux tirés. Pendant la Seconde guerre mondiale, Staline fera déporter près de 400.000 Tchétchènes. Nombre d'entre eux se réfugient Kirghizstan, un pays voisin en Asie centrale. La famille Tsarnaev en fait partie.

La Tchétchénie, les deux frères en entendent parler mais ils ne la connaissent pas. Héritiers de la diaspora, ils grandissent avec leur famille au Kirghizstan où ils font partie de l'intelligentsia. Après un bref passage d'un an par la République du Daghestan en Russie, les Tsarnaev émigrent aux Etats-Unis en 2002. Tamerlan a 15 ans, Djokhar 8. En Amérique, les deux frères s'adaptent, apprennent une nouvelle langue, une nouvelle culture, se font de nouveaux amis.

Le joker

Pétri d'admiration pour son aîné, le parcours de Djokhar est exemplaire. Petit garçon discret au "visage d'ange", les témoignages concordent. Ils parlent d'un jeune homme sympathique, droit, serviable, du genre à rendre service. Comme Tamerlan, il passe par la Cambridge Ridge et Latin School où des personnalités telles que Ben Affleck et Matt Damon les ont précédés.

Lutteur, Djokhar est récompensé en par la Greater Boston League en 2011. Quelques semaines plus tard, alors qu'il s'apprête à quitter le lycée, il se voit attribuer une bourse de 2500 dollars par la ville de Cambridge. L'honneur n'est pourtant réservé qu'à 40 jeunes chaque année. Les problèmes commencent alors que Djokhar arrive à l'Université de Dartmouth. Un relevé de notes consulté par le New York Times en témoigne, Djokhar est en situation d'échec dans de nombreuses matières.

Perte de contrôle, fascination pour un aîné en pleine dérive, comment expliquer la participation de Djokhar, pourtant bien intégré, aux attentats de Boston? Si Mohamed Merah était nourri d'un très fort ressentiment à l'égard de la société française, de quelle nature était celui des frères Tsarnaev dont les bombes ont explosé le 15 avril, jour des patriotes? Ont-ils l'un et l'autre tué pour les mêmes raisons? Et quelle est la dimension familiale de leur drame?

Mis en état d'arrestation, à Djokhar Tsarnaev de répondre de ses actes. Pour comprendre ce qui s'est joué le 15 avril 2013, à bien des égards, il fait figure de joker. Dans le Caucase, terre natale des frères Tsarnaev, l'homme de Vladimir Poutine, le président Tchétchène Ramzan Kadyrov a préféré botter en touche en déclarant sur son compte Instagram: "Il faut chercher les racines du mal aux Etats-Unis."

Les photos de la traque dans Boston depuis jeudi (dans l'ordre chronologique):

Chasse à l'homme

Chasse à l'homme à Boston

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