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Les conseils de Damien Léger: réconcilier fatigue et travail: les conseils du professeur pour une meilleure hygiène du sommeil

Un bon conseil: Faites la sieste au bureau!
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Du haut du cinquième étage de l'hôpital parisien de l'Hôtel-Dieu, le professeur Damien Léger parle d'une voix calme et reposée. Et pour cause. Professeur de médecine, directeur de l'Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) Damien Léger est l'un des pontes de la médecine du sommeil en France.

Alors que l'étude annuelle de l'INSV sur le sommeil des Français pointe du doigt un décalage important entre le nombre d'heures passées à dormir en semaine et le week-end pour la majorité des Français, il nous a paru important de revenir avec lui sur la question du travail, à l'occasion de cette 13ème journée du sommeil.

Obscurité, silence, exposition à la lumière la journée, on connait les fondements du bien dormir, mais aussi son importance pour la mémoire, les performances cognitives, l'éveil, la vigilance mais aussi le métabolisme. En un mot, le sommeil c'est la santé, mais il est parfois mis à rude épreuve.

Alors que les nouvelles technologies rendent les frontières entre travail et vie privée toujours plus perméables et que nous sommes de plus en plus nombreux à travailler de manière décalée, comment concilier vie professionnelle et besoins de sommeil? Quelle hygiène de vie adopter en fonction de son rythme de travail? Quelles sont les bonnes méthodes pour faire la sieste au bureau? Les métiers à risque? Tour d'horizon.

Qui sont les travailleurs les plus pénalisés par le manque du sommeil?

Ce sont les travailleurs postés (qui travaillent en équipe ou par rotation, ndr.) et les travailleurs de nuit. Mon équipe et moi-même avons fait des recommandations à la Haute autorité de santé les concernant assez récemment, en mai 2012. Il en ressort qu'un certain nombre de risques sont liés à ces formes de travail. Or, elles s'appliquent à beaucoup de monde, au moins 25% des travailleurs salariés et une proportion sans doute plus importante de travailleurs non-salariés. Au total, ce sont bien plusieurs millions de Français qui sont concernés.

Quel risques courent-ils?

Les risques sont multiples. D'une part ils sont liés au sommeil et à la vigilance parce que l'horloge biologique est désynchronisée par rapport à son fonctionnement normal. D'autre part, l'environnement de sommeil n'étant souvent pas bon, on constate une réduction du temps de sommeil d'environ une heure par vingt-quatre heure entre les travailleurs de nuit et ceux de jour. Donc les travailleurs postés ou de nuit perdent environ une nuit de sommeil par semaine soit une cinquantaine de nuit par an. C'est beaucoup.

Cette privation de sommeil est certainement à l'origine du sur-risque de maladies cardiovasculaires en général, et en particulier l'hypertension artérielle, que nous avons identifié. Mais ils présentent aussi un risque accru de diabète de type 2 et d'obésité. Les autres risques concernent les accidents de la route et pour les troubles du sommeil les plus importants, un risque clairement identifié de cancer du sein, d'accouchement prématuré pendant la grossesse ou de poids faible à la naissance. Les médecins du travail doivent bien l'expliquer à toutes ces personnes qui travaillent de manière décalée ou de nuit.

Risque cardiovasculaire, diabète, cancer du sein, travailler la nuit tue?

Travailler la nuit de manière décalée vieillit, et donc augmente en effet un certain nombre de risques.

Mais on ne peut pas supprimer le travail de nuit, en tout cas pas partout et pour tout le monde, alors que préconisez-vous?

Effectivement, le travail de nuit est indispensable dans des secteurs tels que la santé, les transports, la communication, le maintien de l'ordre... Donc ce qu'il faut c'est éviter de changer de rythme trop souvent car les postes fixes sont beaucoup moins nuisibles pour la santé que les postes qui tournent régulièrement. D'autre part, il faut favoriser les conditions de repos les plus complètes possibles lorsqu'on est de retour chez soi après un horaire décalé.

On en revient donc à notre étude: il faut dormir dans l'obscurité la plus complète possible, ce qui n'est souvent pas le cas pour les gens qui travaillent la nuit. Il faut aussi dormir dans le silence et s'assurer que la température de la pièce soit relativement faible pour qu'on puisse bien faire ses descendre sa température interne. Enfin, il importe de bien se faire surveiller d'un point de vue médical en rendant visite à la médecine du travail au moins une fois par an, pour dépister d'éventuelles complications.

Les travailleurs diurnes ne sont pas tous égaux, n'ont pas tous les mêmes besoins de sommeil, alors peuvent-ils tous être logés à la même enseigne?

Ce qu'on constate dans les études qu'on fait chaque année, c'est que le temps de sommeil des Français reste à peu près stable ces dernières années, aux alentours de 7 heures par 24 heures pour les gens qui sont de jour, mais qu'il y a quand même 30% de ces adultes qui dorment moins de 6 heures par jour, c'est trop.

Pourquoi dorment-ils moins?

À cause d'un temps de transport élevé, qui aggrave en plus le risque de s'endormir au volant pour ceux qui conduisent, souvent aussi parce que ce sont de jeunes adultes qui ont entre 18 et 25 ans. Alors c'est vrai, concilier sommeil et travail c'est compliqué parce qu'on est occupé par plein de choses qui réduisent notre intervalle de sommeil, y compris les nouvelles technologies le soir, au coucher, qui prennent aussi beaucoup de temps.

Qu'est-ce que les entreprises peuvent faire pour favoriser l'hygiène de sommeil des salariés?

Les entreprises doivent avoir une sorte de charte pour fixer un certain nombre de critères d'organisation comme les horaires de réunion, qu'elles ne soient pas trop tardives le soir ou trop précoces le matin. Il faut aussi éviter d'exiger des réponses à des emails trop tard le soir ou au contraire trop tôt le matin, ne pas multiplier les mails collectifs à partir d'une certaine heure qui préoccupent les collaborateurs en dehors de leur temps de travail.

D'autre part, les entreprises, qui s'installent dans certaines communes souvent périphériques pour des raisons économiques souvent peu accessible sans voiture, devraient intégrer ce temps de transport dans la période d'occupation de leurs salariés notamment en offrant la possibilité aux salariés de se reposer sur le lieu de travail avec des salles de sieste, soit de faire une pause à un moment donné de la journée ou ne serait-ce qu'avant de partir le soir.

Malgré tout faire une pause ou faire une sieste au bureau restent plutôt mal vu, voire tabou...

Je pense que ce n'est pas si tabou que ça mais qu'il y a une pudeur en France sur ce sujet. Tout ça c'est aussi une histoire d'information et de formation. On sait que les siestes les plus récupératrices sont les siestes de 20 minutes.

On se met dans un endroit tranquille, on ferme les yeux, on se laisse aller au repos. La période la plus propice est entre 13 et 15h. Pendant cette période, si jamais on arrive à faire une sieste, il y a une amélioration extraordinaire non seulement des capacités cognitives, mémoire, attention, temps de réaction mais également des améliorations biologiques des facteurs de risque de l'inflammation, du risque immunitaire, donc ces siestes sont extraordinairement productives pour l'attention et le bien-être des salariés.

Malgré tout, les salles de siestes ne sont pas toujours faciles à mettre en place, mais on peut faire sans. Il y a des techniques pour faire une vraie pause plutôt que d'avaler un énième café.

Justement, quels sont ces fondamentaux de la sieste au bureau?

Pour une sieste il faut être en sécurité déjà, c'est par exemple très difficile dans les transports en commun où vous devez savoir où descendre etc. Ensuite, ce n'est pas nécessaire d'être allongé, on peut être assis. Si on a des lunettes on les retire, on peut aussi mettre un bandeau ou un masque sur les yeux, la tête doit quant à elle être bien reposée. Une fois qu'on est installé, reste à faire quelques respirations en ayant pris soin avant de mettre son téléphone mobile ou un réveil qui va sonner 15 à 20 minutes après. Enfin, pour s'endormir, il faut penser à des choses plaisantes et pas à ce que vous avez à faire dans l'après-midi.

À partir de là, de deux choses l'une: soit vous dormez cinq à dix minutes et c'est extrêmement réparateur, soit vous ne dormez pas et c'est quand même reposant et relaxant. Si on doit boire un café on le boit juste avant la sieste parce que son efficacité sera maximum après. Cependant, inutile d'essayer de faire une sieste si on a bu trois cafés dans la matinée.

Nous n'avons pas tous besoin de la même quantité de sommeil, ne devrions-nous pas tous faire un diagnostic de ces besoins afin d'adapter notre comportement en conséquence?

Si, je pense que le fait de bien connaître nos besoins permet de plus facilement s'y adapter et de mieux le vivre. Cela va dans les deux sens d'ailleurs. J'ai l'exemple d'un patient qui a toujours été un petit dormeur très très bien équilibré, très actif, et qui a la suite d' un accident cardiaque s'est dit qu'il avait été trop loin et qu'il devrait faire attention. Il a alors essayé de dormir 7 à 8 heures par jour comme on le lui conseillait... Et il est devenu insomniaque. Lorsqu'il est venu nous avoir après plusieurs mois on la remis sur un rythme de six heures en lui expliquant que son problème cardiaque pouvait avoir d'autres causes. Il avait besoin de dormir six heures. Donc effectivement, bien connaître sa durée, sa qualité de sommeil, ça permet de trouver un équilibre.

On a habituellement besoin de 4 à 7 cycles de sommeil par nuit, est-ce qu'on peut identifier ses besoins soi-même?

Il y a des applications pour ça. Nous en avons mis une au point avec l'aide du ministère de l'Éducation et du Numérique français qui s'appelle iSommeil. Donc oui on pense que c'est une bonne chose d'utiliser les technologies à bon escient. Cette application permet de donner le signal du sommeil le soir avec des musiques et une luminosité décroissante, de se réveiller aussi plus doucement le matin et aussi de mesurer ses mouvements et ses ronflements pendant la nuit, de mesurer sa vigilance pendant la journée. Il n'y a aucun problème à garder son portable en mode près de soi pendant la nuit. Mais il ne faut pas le laisser allumer car notre enquête montre qu'un nombre trop important de personnes se font réveiller par leur téléphone pendant la nuit, voire répondent aux messages qu'on leur envoie.

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