Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Crise à Chypre: pourquoi le grain de sable fait vaciller l'économie mondiale

Chypre: pourquoi ce grain de sable fait vaciller le monde
AFP

CHYPRE - Le gouverneur de la Banque centrale chypriote Panicos Demetriades n'aura jamais aussi bien porté son prénom... Comment un pays qui ne pèse que 0,2% de l'économie de la zone euro peut-il faire trembler le monde entier? Les Bourses européennes ont ouvert lundi 18 mars en forte baisse, après l'annonce de la taxation des dépôts bancaires chypriotes dans le cadre du plan d'aide du pays.

Madrid affichait la plus forte baisse à -2,45%, suivie par Milan (-2,15%), Paris (-2,01%), Francfort (-1,58%) et Londres (-1,37%). De leur côté, les Bourses asiatiques avaient déjà donné le ton un peu plus tôt, Tokyo finissant sur une forte baisse de 2,71% et Hong Kong perdant 2%.

Cette mesure est interprétée par les marchés comme un dangereux précédent, susceptible de déclencher des retraits massifs dans d'autres États de la zone euro. Elle prévoit notamment une taxe de 9,9% sur les dépôts supérieurs à 100 000 euros et de 6,7% en deçà. Ce prélèvement exceptionnel doit rapporter près de 6 milliards d'euros, la seule condition permettant le déblocage du plan d'aide de 10 milliards d'euros par le FMI et l'Union européenne. Selon le ministre des Finances, Michalis Sarris, 67 milliards d'euros sont déposés dans les banques chypriotes, dont 30 milliards dans des comptes ne dépassant pas 100 000 euros.

Le Parlement devait initialement se réunir lundi après-midi afin de voter le sauvetage, mais le président a préféré lui accorder une journée supplémentaire.

Un grain de sable dans la confiance accordée aux banques

Après la crise financière, les banques européennes ont mis des années pour retrouver la confiance des investisseurs et surtout du grand public, qui se ruaient en Espagne ou même en France aux guichets pour retirer leur argent. Une confiance encore fragile qui inquiète les analystes.

Pour eux, cette décision radicale et inédite va mettre les banques de l'ensemble de la zone euro sous pression. Si, a priori, les banques allemandes et françaises devraient être moins touchées que celles de l'Espagne ou de l'Italie, ces derniers s'inquiètent d'un risque de contagion.

Philippe Waechter, économiste chez Natixis, s'interroge sur l'éventualité d'"une défiance des résidents vis-à-vis des dépôts bancaires" dans les autres pays de la zone euro. "On a le sentiment que la crise de la zone euro pourrait réapparaître et qu'on pourrait avoir un effet de contagion, d'où la réaction du marché ce matin", estime pour sa part Shane Oliver, chef économiste chez AMP Capital à Sydney.

Selon Arnaud Poutier d’IG Markets, "cette taxe sur les dépôts constitue une première qu'il faut comprendre dans le contexte très particulier de Chypre: paradis fiscal, poids des banques dans l'économie, et suspicion de blanchiment d'argent..."

"On s’attaque une nouvelle fois à la notion de confiance, seul socle permettant de garantir la stabilité financière en Europe complète Eric Delannoy, vice-président de Weave. En effet, la confiance des épargnants dans leur banque avait évité les «bank run» au plus dur de la crise. On génère avec cette décision de l’instabilité à venir".

Un grain de sable dans la chaussure des milliardaires russes

Le président russe Vladimir Poutine a jugé "injuste" et "dangereuse" la taxe sur les dépôts bancaires acceptée par Chypre en échange d'un plan d'aide international. Une réaction qui est tout sauf anodine: de nombreuses fortunes russes ont élu domicile à Chypre, qui dispose du statut de paradis fiscal. Nombre de milliardaires installent des sociétés dans l'île d'Aphrodite pour bénéficier des avantages fiscaux du pays et réinvestissent leur argent en Russie. C'est ainsi que Chypre est devenue le premier investisseur en Russie.

De fortes suspicions ont également été émises par les services secrets allemands, qui soupçonnent un vaste système de blanchiment de la mafia russe. Le Conseil de l'Europe, l'OCDE et même le FMI les rejettent toutefois en bloc. Ils considèrent que Chypre serait même un meilleur élève que l'Allemagne en matière de lutte contre le blanchiment.

L'agence Moody's estime quant à elle à 19 milliards de dollars au 1er septembre 2012 les seuls avoirs de sociétés russes placés à Chypre. S'y ajouteraient 12 milliards de dollars d'avoirs de banques russes dans des établissements chypriotes. La Russie se trouve donc en première ligne après l'annonce du plan d'aide de à l'île méditerranéenne. La presse et les analystes estiment le coût total pour les Russes entre deux et trois milliards d'euros. "Poutine a dit que cette décision, si elle est adoptée, sera injuste, non professionnelle et dangereuse", a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, cité par les agences russes.

Un grain de sable dans l'éloignement d'une crise systémique en zone euro

Si Nicosie et Athènes sont historiquement et linguistiquement liées, la crise chypriote ressemble davantage à celle de l'Irlande, car il s'agit d'une crise du secteur financier. Une défaillance bancaire provoquerait un tsunami pour l'île qui a construit sa croissance à partir de son secteur financier, au point que les avoirs des banques représentent plus de huit fois le produit intérieur brut (PIB) du pays.

Déjà en janvier dernier, l'Allemand Jörg Asmussen, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE), tirait la sonnette d'alarme : "Des développements confus à Chypre pourraient saper les progrès réalisés en 2012 dans la stabilisation de la zone euro. Chypre pourrait se révéler être un risque systémique pour le reste de la zone euro, malgré sa taille."

Pour rappel, la crise grecque repose davantage sur l'endettement de l'Etat (152% du PIB), alors que Nicosie peut encore respirer (84% au troisième trimestre 2012). Cela pourrait toutefois rapidement changer: la dette publique de Chypre a augmenté de 71% depuis 2008 et les prêts accordés par l'UE et le FMI devrait lui faire atteindre le seuil limite de 120%.

» Les principales étapes de la crise financière à Chypre :

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.