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SONDAGE EXCLUSIF. Publicités sexistes : les Français les réprouvent... mais ne les voient pas

Les Français réprouvent les pubs sexistes... mais ne les voient pas
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SEXISME - Une femme nue dans une douche pour vanter les mérites d'un savon... Une publicité mettant en scène une mère de famille pour faire vendre un aspirateur... "Un" patron forcément accompagné d'"une" secrétaire.... Si vous êtes énervé(e) rien qu'à l'énumération des ces clichés, c'est normal: vous êtes comme presque trois-quart des Français, qui, selon un sondage du Laboratoire de l'Égalité et de Mediaprism publié en exclusivité sur Le HuffPost à quelques jours de la Journée de la femme, jugent "intolérables" ou "énervantes" les publicités sexistes.

Le hic? La plupart des personnes interrogées ne savent pas reconnaître les stéréotypes qu'elles véhiculent...

DES STÉRÉOTYPES BANALISÉS

Car lorsqu'on leur montre cinq visuels (publicités...ou images utilisées dans la presse écrite) où ces stéréotypes sont représentés, beaucoup de Français ne sont pas à même de les identifier comme tels: "seule une minorité relève spontanément des éléments sexistes", précise l'étude.

Concrètement, devant une publicité véhiculant des clichés sexistes, seuls 12% des répondants ont spontanément montré par leurs réponses qu'ils identifiaient un stéréotype sexiste. Lorsqu'on leur a demandé de se pencher un peu plus sur la pub et de dire s'ils remarquaient quelque chose de spécial, la proportion des personnes chez qui ça a fait "tilt" est montée à 20%. Et, enfin, quand Mediaprism leur a demandé s'ils voyaient une allusion sexiste, ils ont été seulement 37% à le repérer. ((voir méthodologie en fin d'article)

Plus de 2 Français sur 3 sont donc incapables de voir une publicité véhiculant des stéréotypes sexistes (femme en train de faire du shopping, femme à la cuisine, nudité gratuite, femme au volant, etc.) même lorsqu'on leur met le nez dessus!

Plus facile donc de critiquer que de pratiquer! "Ces réactions spontanées montrent que les stéréotypes sont aujourd'hui banalisés et même intériorisés et qu'il faut tomber dans la caricature pour que cela interpelle spécifiquement", conclut l'étude.

Cette publicité pour la journée de la femme le vendredi 8 mars est-elle sexiste?

Comment expliquer ce décalage ? Les Français sont pourtant nombreux à réprouver les stéréotypes sexistes : 74%, précisément. Et les personnes interrogées sont en majorité bien conscientes de faire face dans leur quotidien à des stéréotypes : à la question "Vous arrive-t-il de constater que certains magazines, journaux / certaines campagnes de communication véhiculent des stéréotypes sexistes ?", 32% répondent "souvent" et 35% "de temps en temps", un total donc de 67%.

Autrement dit, 1 Français sur 3 en voit rarement ou jamais. C'est toujours mieux que lorsque Mediaprism leur a fait le test "en situation" (voir ci-dessus).. Les Français sont donc contre les pubs sexistes, disent souvent en avoir vues, mais ont du mal à les repérer lorsqu'ils sont en face.

Par ailleurs une large majorité d'entre eux estiment que des progrès ont été faits dans le domaine de la sensibilisation : un peu plus de la moitié (57%) estiment être davantage sensibilisés aux stéréotypes sexistes qu'ils ne l'étaient auparavant. Insuffisant apparemment !

Voici quelques exemples de publicités récentes, à base de stéréotypes ou diffusant une image dégradante de la femme :

(suite de l'article après le diaporama)

Sixt

Publicités sexistes récentes (années 2000 et après)

LA FAUTE A L'ÉDUCATION ?

Comment expliquer ce paradoxe? L'étude montre que si le "consommateur" et "citoyen" est bien informé de l'existence des discriminations et stéréotypes sexistes, il n'y est pas suffisamment éduqué lorsqu'il s'agit de les reconnaître en pratique.

Le diable se loge dans les détails ou plutôt dans l'inconscient, qui s'est formé au fur et à mesure que des représentations existes lui étaient inculquées, comme le note Françoise Vouillot, psychologue et maîtresse de conférences à l'Institut national d'étude du travail et d'orientation professionnelle (Inetop, lié au CNAM) : "Nous ne sommes pas sensibilisés à l'école ni ailleurs à repérer ces stéréotypes. Au contraire, on nous apprend les inégalités depuis tout petit : les petites filles sont autorisées à se plaindre alors qu'on apprend aux garçons à contenir leurs émotions. Et au final, on nous apprend que le masculin vaut plus que le féminin, ce que l'anthropologue Françoise Héritier appelle la 'valence différentielle des sexes'."

Sexistes sans le savoir? Il faut croire que oui! Et ce, parce que nous avons intégré "l'idéologie de la différence des sexes", comme le remarque la chercheuse. Les répondants n'identifient pas certaines différences comme étant des stéréotypes, tout simplement parce qu'ils pensent qu'elles sont... naturelles.

Les femmes auraient "naturellement" une démarche chaloupée, les hommes seraient "naturellement" plus courageux, etc. "Bien sur tout cela est construit !", explique la chercheuse. "Le rôle des stéréotypes, c'est de légitimer les différences des sexes en les naturalisant et ainsi masquer les inégalités", décrypte-t-elle.

L'éducation et l'habitude de fréquenter des stéréotypes sont donc les principaux facteurs de notre incapacité à les discerner. A quoi s'ajoute, parfois, une certaine subtilité ou un maquillage particulièrement ingénieux du côté des publicitaires... Le caractère esthétique de la publicité peut donc aussi nous influencer, comme le relève Olga Trostiansky, secrétaire générale du Laboratoire de l'Égalité et adjointe au maire de Paris : "Quand une publicité est esthétique, les gens ne voient plus les stéréotypes".

"Dommage mais sans gravité"

Une proportion non négligeable de la population s'inquiète peu de la diffusion de ces stéréotypes : 18% des répondants trouvent que leur présence de ces stéréotypes est "dommage mais sans gravité".

(cliquez sur l'image pour agrandir)

PUBLIC, ENTREPRISES, MÉDIAS : UN TRAVAIL DE SENSIBILISATION A FAIRE

Pour lutter contre les stéréotypes, il y a encore du chemin à faire, selon le Laboratoire de l'Égalité, qui souhaite qu'une démarche pédagogique d'information soit menée auprès du grand public.

Mais c'est surtout vers les entreprises que l'association se tourne : puisque l'étude démontre qu'une majorité des répondants - et potentiels consommateurs - réprouvent ces clichés, les instigateurs de cette enquête espèrent qu'elles seront incitées à produire des publicités moins stéréotypées. "Les campagnes présentées obtiennent des scores d'agrément plutôt faibles et ne semblent pas être vraiment (voire pas du tout) en adéquation avec la vision que les répondant et répondantes ont de la société", analyse l'étude.

C'est d'ailleurs pour des raisons de "pédagogie" que le Laboratoire de l'Égalité n'a pas souhaité rendre publiques les visuels qui ont servi de support à l'enquête, pour éviter de "stigmatiser les marques", l'objectif étant de "repérer les points communs aux réactions des répondants et répondantes et de comprendre les mécanismes qui se mettent en place" et non "d'évaluer tel ou tel visuel".

L'ambition du Laboratoire de l'Égalité semble en tous cas confortée par le sondage, puisque les Français semblent avoir un véritable appétit de changement dans ce domaine. Il sont près de 77% à penser qu'il y a "autant" ou "plus" de stéréotypes sexistes qu'avant, et réclament d'avantage d'efforts, notamment des entreprises : 79% de répondants pensent que "les entreprises devraient s'attacher à ne pas véhiculer des stéréotypes sexistes à travers leurs campagnes", et même 44% jugent que "les entreprises devraient être sanctionnées".

Concernant les médias, le chiffre est important mais moins que pour les entreprises : 67% jugent que "les médias devraient s'attacher à ne pas véhiculer de stéréotypes sexistes dans les journaux et les magazines". "Les gens sont plus sensibles aux inégalités professionnelles car elles les touchent personnellement", décrypte Françoise Vouillot, pour expliquer cet écart.

Les voeux des Français interrogés seront-ils exaucés? En tous cas ils pourront compter sur la vigilance du Laboratoire de l'Égalité, qui a promis que cette première enquête sur les stéréotypes serait suivie d'autres, afin de "traquer tout au long de l'année" les stéréotypes.

Un peu d'optimisme: la société a tout de même bien évolué, comme le montrent les publicités compilées ci-dessous, qui remonte jusqu'aux années 80:

(méthodologie du sondage après ce diaporama)

Moulinex libère la femme...

Publicités sexistes "vintage"

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La méthodologie de Mediaprism

Comment Mediaprism a-t-il procédé pour arriver à cette conclusion ? Voici les trois étapes :

  • L'institut de sondages a d'abord demandé aux personnes interrogées "tous les mots ou idées" qui leur viennent à l'esprit "en regardant ces visuels", qui comportaient des stéréotypes.
  • Mediaprism a ensuite posé une deuxième question, en demandant "si quelque chose dans le visuel" "interpelle" et si oui, quoi.
  • Au cours de la troisième étape, la question était clairement dirigée - "Diriez-vous que cette campagne véhicule des stéréotypes sexistes ou combat des stéréotypes sexistes ou ni l'un ni l'autre" ?

Chaque personne a été interrogée sur un seul visuel, "pour éviter le phénomène d'apprentissage qui pourrait introduire un véritable biais sur les résultats", précise l'étude. Au total 1036 personnes ont participé à cette enquête, qui s'est déroulée du 22 au 28 janvier 2013 en ligne. Les échantillons ont été redressés selon des critères d'âge, de sexe, de lieu de résidence et de profession de telle sorte qu'ils soient représentatifs de la population française de 18 ans et plus.

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