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La lutte contre les surcoûts tuée dans l'oeuf par Zampino, selon Pourreaux

La lutte contre les surcoûts tuée dans l'oeuf par Zampino, selon Pourreaux

Le directeur de l'approvisionnement de la Ville de Montréal entre 2003 et 2006 a affirmé, à la commission Charbonneau, que ses tentatives pour s'attaquer aux surcoûts dans les travaux à la Ville ont été tuées dans l'oeuf par l'ex-président du comité exécutif, Frank Zampino.

Serge Pourreaux a dit qu'avec l'appui de son patron Guy Hébert et du directeur général de la Ville Robert Abdallah, il avait entrepris une démarche visant à générer des économies d'au moins 175 millions de dollars sur cinq ans, sur la base des propositions élaborées dans un rapport produit en 2004.

Les stratégies d'optimisation des coûts devaient être implantées le 1er janvier 2006 mais à minuit moins une, rien ne va plus.

Selon le témoin, tout roulait pourtant comme sur des roulettes jusqu'à l'automne 2005. Il avait été décidé que l'optimisation souhaitée passerait par la création d'une équipe d'approvisionnement stratégique qui gérerait dorénavant les « secteurs chauds : les travaux publics, l'informatique, les immeubles et certains autres dossiers », avec un budget de 2,4 millions de dollars.

Le mémoire décisionnel entérinant le fait que les processus d'appels d'offres passeraient sous l'autorité de la direction de l'approvisionnement était prêt. Le service des finances n'attendait plus que les commentaires de différents intervenants pour procéder à l'embauche de 23 personnes et les communiqués internes et externes étaient prêts. « L'approvisionnement, ce n'est pas compliqué : c'est aller chercher le bon prix ou bon service au bon moment », fait-il valoir.

« Le 15 novembre [2005], on souhaitait que ça passe au comité exécutif du mois de décembre », a expliqué Serge Pourreaux.

L'affaire s'est cependant effondrée en deux temps trois mouvements. Son patron, le directeur du service des services administratifs, Guy Hébert, est tassé au mois de décembre sans qu'il ait jamais su pourquoi et remplacé par Robert Cassius de Linval, à qui il présente alors l'ensemble du dossier.

Puis au retour des Fêtes, nouveau coup de théâtre. M. de Linval le rencontre brièvement et lui dit : « ça marchera pas nous deux, je ne peux pas travailler avec quelqu'un comme toi, vos projets, ça marche pas. Tu vas quitter : tu peux prendre ta retraite où sinon on peut te réaffecter à l'intérieur de la Ville. J'ai essayé de savoir pourquoi, mais il m,a dit: il n'y a pas de raison ».

La rencontre a durée deux minutes, explique-t-il. Il tente alors, en vain, de rencontrer M. Abdallah. Mais son entourage lui fait comprendre que « M. Abdallah n'est plus là pour ce dossier là. J'en suis resté abasourdi : (lui qui) cognait sur la table pour dire que ça n'allait pas assez vite ! »

Lorsque M. Abdallah quitte la Ville en mai, il comprend alors qu'après Guy Hébert et lui-même, le le directeur général a aussi été tassé du dossier.

« Il n'y a pas grand monde qui peux tasser un directeur général dans une ville, il y a le maire ou le président du comité exécutif. » — Serge Pourreaux.

Le dossier est resté lettre morte, dans les mois et les années suivantes.

« Lorsque je vois tout ce qui s'est passé (...), je vois une collusion administrative et une collusion politique : c'est la jonction de ces deux éléments qui a fait que M. Abdallah (...) a quitté la Ville », a-t-il poursuivi. L'optimisation des coûts des travaux publics « était un projet qui tenait beaucoup à cœur à Robert Abdallah, c'était très clair dans toutes les rencontres, il voulait que ça se réalise ».

« Ça a été un putsch : comme le projet ne pouvait pas être arrêté, ils ont écarté les trois porteurs de dossiers en ordre hiérarchique. » — Serge Pourreaux.

Il reconnaît n'avoir jamais essayé d'obtenir de la bouche même de MM. Hébert ou Abdallah les raisons pour lesquels ils ont quitté la Ville, mais il est convaincu que, de toute façon, ils ne lui auraient pas dit.

Hier, M. Pourreaux a affirmé que, dès la fin des années 80, tout le monde à la Ville de Montréal savait déjà que les coûts de construction étaient plus élevés qu'ailleurs au Québec dans une proportion de 25% à 30%.

Aussi, sous sa gouverne, la direction de l'approvisionnement avait envisagé divers moyens pour permettre de réaliser des économies. La Ville aurait par exemple pu acheter elle-même des matériaux et embaucher un entrepreneur pour faire le travail, ce qui lui aurait permis de contrôler 40 % du coût des projets.

Il était aussi envisagé de recourir à un processus d'enchères inversées pour les travaux de construction. La Ville aurait défini le prix maximal qu'elle était prête à payer, en laissant le soin aux entrepreneurs de soumettre leur meilleur prix.

« Nous on ne se préoccupait pas de pourquoi le marché était fermé : on voulait tout simplement l'ouvrir. » — Serge Pourreaux.

Le rapport caché qui n'était pas caché

Mercredi, Serge Pourreaux a dit avoir été « surpris » par tout le « brouhaha » causé par l'histoire du « rapport caché » de 2004, évoqué par l'actuel maire de Montréal Michael Applebaum, en novembre dernier, pour justifier sa décision de démissionner de son poste de président du comité exécutif de la Ville.

Selon Serge Pourreaux, le rapport sur les coûts des travaux à Montréal, qu'il avait commandé à quatre ingénieurs de l'externe en 2004, se trouvait tout simplement dans les dossiers de la Direction de l'approvisionnement, qu'il a dirigé de 2003 à 2006. « Ce n'était pas caché », assure-t-il.

Le rapport en question avait été remis à l'époque non seulement à la Direction de l'approvisionnement, mais aussi au « comité directeur de la démarche d'optimisation de l'approvisionnement », auquel siégeaient notamment :

- Guy Hébert, directeur du « service des services administratifs »;

- Yves Provost, directeur général adjoint;

- Robert Cassius de Linval, directeur des affaires corporatives;

- Denis Savard, vérificateur interne de la Ville;

- Pierre Desjardins, un chargé de projet qui relevait de Robert Abdallah.

M. Pourreaux a expliqué jeudi qu'à l'époque, aucun élu n'avait eu copie de ce rapport qui rendait compte des surcoûts dans les travaux à la Ville. Mais ils en connaissaient cependant « l'esprit », puisque le comité stratégique du comité exécutif se réunissait tous les deux-trois mois pour faire le suivi. Selon ses souvenirs, outre Frank Zampino, Georges Bossé et Sammy Forcillo y siégeaient ainsi qu'un ou deux autres conseillers municipaux.

De plus, M. Pourreaux soutient que le maire Gérald Tremblay a été présent à « plus d'une réunion » du comité et qu'à une occasion, il lui a dit qu'il était content des économies de 45 à 50 millions de dollars envisagées par année.

L'analyste-enquêteur de la commission Guy Desrosiers a expliqué jeudi dernier que le rapport en question avait été rédigé par MM. Gérald Pelletier, André Perreault, Roger Trottier et Claude Vincent. L'objectif de l'exercice était de vérifier si les travaux exécutés à la Ville de Montréal coûtaient plus cher que dans d'autres villes du Québec, ce qui s'est bel et bien avéré.

M. Desrosiers a expliqué que le groupe avait recommandé d'ouvrir le marché public de Montréal, d'établir un meilleur partage de risques entre la Ville et les entreprises et d'adopter une politique de gestion proactive du processus d'appel d'offres impliquant tous les gestionnaires de projet.

Serge Pourreaux dit avoir discuté du rapport avec M. Abdallah et que ce dernier l'appuyait et comprenait le potentiel d'économies que pouvait permettre de réaliser la démarche en cours.

« Serge, ça n'a pas de criss de bon sens que ça coûte aussi cher couler un mètre de béton à Montréal que de l'envoyer à la Baie James, ça tient pas debout. » — Propos de Robert Abdallah rapportés par M. Pourreaux.

Le témoin affirme cependant que les travaux publics résistaient aux changements envisagés. Le département était comme « un royaume dans un royaume », a-t-il soutenu. « C'était comme intouchable, ils étaient rois et maîtres sur leur domaine ». Pour eux, il n'était pas question de se comparer avec d'autres villes du Québec, a-t-il ajouté.

Selon Serge Pourreaux, les conclusions des auteurs du rapport, qui cumulaient 130 ans d'expérience, étaient bonnes à 95 %.

Michael Applebaum a soutenu l'automne dernier que l'existence du rapport de 2004 n'a été portée à son attention et à celle de l'ex-maire Gérald Tremblay que de nombreuses années plus tard.

Québec s'en lavait les mains

Au terme de son témoignage, Serge Pourreaux a invité les commissaires à consulter les données du ministère québécois des Affaires municipales, qui, dit-il, compile le coût de tous les travaux réalisés dans le cadre des programmes d'infrastructures fédéral-provincial-municipal. Ces travaux s'élèvent, au total, à plus d'une dizaine de milliards de dollars.

Le ministère, a-t-il souligné, gère ces programmes pour le gouvernement fédéral, de sorte qu'il approuve les études de faisabilité, les règlements d'emprunts des projets, les contrats, en plus de vérifier les bordereaux et les coûts des travaux. Des ingénieurs peuvent poser des questions pour tous les projets.

Serge Pourreaux dit avoir déjà confié à un responsable du ministère pour la région de Montréal qu'il était insensé que Québec finance tant de travaux à Montréal, malgré les surcoûts indus.

Il a déploré que le responsable, qu'il n'a pas nommé, lui a répondu qu'il s'agissait d'un problème politique relevant de la Ville de Montréal, et que cela ne relevait pas de Québec.

« Je ne me fais pas des amis en disant ça, mais il fallait le dire », a-t-il conclu.

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