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Lothaire Bluteau : briser le mythe (ENTREVUE)

Lothaire Bluteau : briser le mythe (ENTREVUE)
Marie-Josée Roy

« C'est un choix, de ne pas tourner davantage au Québec? »

« Pas du tout. Je n'ai pas d'offres. C'est un mythe, ça. Loin des yeux, loin du cœur. C'est normal. »

Non, Lothaire Bluteau n'entretient pas l'image de l'acteur ténébreux qui vit dans l'ombre pour mieux connecter avec son art et se fait rare par convictions. L'homme de Jésus de Montréal, du Confessionnal et de Being at Home With Claude aimerait se faire voir davantage dans la Belle Province, mais subit les contrecoups de son exil aux États-Unis, où il réside depuis maintenant 20 ans. Il y a bien eu ce petit rôle dans L'Enfant prodige, biographie du pianiste André Mathieu, en 2009, qui lui a demandé deux jours de travail à Sofia, en Bulgarie, mais sinon, nos cinéastes semblent avoir oublié que Lothaire Bluteau peut encore jouer en français. Ce qui l'attriste.

« Quand on vit à l'étranger, il y a une crainte qui s'installe chez les réalisateurs. Ils se disent qu'on est probablement trop occupé, qu'on ne voudra pas. Alors, ils ne nous proposent rien. Et aussi, quand un cinéaste travaille pendant un an et demi à fignoler son scénario, il se fait une idée de ses personnages avec les gens qu'il voit à la télévision et au cinéma. On a nos amis dans le métier, et on choisit nos chums pour jouer dans nos "vues". C'est normal », se résigne le comédien.

« Ça me fait de la peine. Bien sûr que j'aimerais jouer ici! Il y a de bons réalisateurs, de bons scénarios. Techniquement, tout le monde est bon. On a de grandes équipes de cinéma au Québec, c'est connu partout sur la planète. »

Et, bien sûr, l'artiste choisit ses projets avec soin. Toujours conscient de la fragilité de l'industrie du septième art.

« Même si c'est léché, hyper visuel, si c'est plate, ça ne m'intéresse pas, lance-t-il sans détour. On s'écœure au bout d'une minute. Souvent, les scénarios ne sont pas assez encouragés. Il y a toujours des intervenants qui disent qu'il faudrait changer ceci ou cela. On en vient à dénaturer nos scénarios pour plaire aux investisseurs, aux distributeurs, on se fait imposer un casting... C'est très difficile d'être réalisateur. Même quand tu as du succès. Il s'écoule toujours trois ou quatre ans entre chaque film. Pour mes chums, comme Denys Arcand, c'est dur. Nous, les acteurs, on fait le 100 mètres, mais, pour un réalisateur, c'est la course de fond. »

Rouge sang

Or, s'il se montre sélectif, Lothaire Bluteau a été séduit par la prémisse de Rouge sang, premier long-métrage de Martin Doepner, qui a longtemps travaillé en tant qu'assistant-réalisateur sur des productions américaines d'envergure, comme The Aviator, The Day After Tomorrow ou 300. L'opus prendra l'affiche le 1er février prochain.

Dans ce thriller psychologique et historique, campé dans un coin éloigné de la vallée du Saint-Laurent, le 31 décembre 1799, une jeune mère (Isabelle Guérard) vit un effroi terrible lorsque cinq soldats britanniques débarquent chez elle en pleine nuit, alors qu'à l'extérieur fait rage une tempête de neige. Seule avec ses trois enfants, son mari se trouvant hors de la maison, la femme se verra contrainte d'héberger ces visiteurs impromptus. Bien vite, l'obscurité de ce soir de réveillon laissera place à des actes inimaginables, bordés d'une insoutenable tension. Lothaire Bluteau incarne le capitaine des guerriers dans ce huit-clos, souvent filmé caméra à l'épaule, de façon à illustrer l'énervement qui agite les protagonistes. Anthony Lemke, Vincent Leclerc, Arthur Holden et Peter Miller lui donnent la réplique.

« C'est un film sur les impressions, sur les relations psychologiques et humaines, note l'interprète. Les gars arrivent avec leurs fusils, et la femme les voit arriver comme un mur. Tranquillement, elle se mettra à identifier qu'un tel est plus dangereux qu'un autre... Elle se raconte des scénarios dans sa tête, et pense à protéger ses enfants. Je trouvais intéressant que le public se demande : "Qu'est-ce que je ferais, moi, dans cette position?" »

« Moi, mon personnage vient d'une grande famille, une famille différente, poursuit-il. Il a une culture, mais il est bourré de complexes et il est très timide. On parle rarement de la timidité, surtout dans un contexte comme celui-là. Il cache des choses. Une peine d'amour l'a fait quitter l'Angleterre pour venir ici, et il éprouvera pour la femme une affection immédiate, presque de la tendresse. C'est beau, raconter ça dans une "vue". »

Moins de préjugés

Puisque les contrats se font rares pour lui au Québec, Lothaire Bluteau fait aujourd'hui la navette entre New York et Los Angeles, après avoir aussi vécu à Paris et à Londres.

« Lorsque tu es un acteur, tu passes ta vie à te promener, explique-t-il. Quand je suis parti de Londres, en 1993, je suis allé à New York, pour me rapprocher de Montréal, puisque ma famille vit ici. Et j'adore New York. Mais, depuis 5 ou 6 ans, la vague veut que tu sois à Los Angeles. J'y allais tellement souvent pour des rendez-vous et des rencontres de casting que j'y ai maintenant un pied-à-terre. »

Lui qui a notamment participé aux séries Les Tudors et NCIS : Los Angeles se dédie autant à la télévision et au cinéma qu'au théâtre, sans discrimination des genres. Il affirme d'ailleurs que les barrières, autrefois très étanches, tombent de plus en plus entre ces différents médiums chez nos voisins du Sud.

« Avant, quand tu faisais du cinéma, tu ne faisais pas de télévision. Maintenant, si tu ne fais pas de télévision, tu ne fais pas de cinéma! Même chose pour le théâtre. On peut jouer dans une pièce et aller faire un film après. Personne ne va s'insurger. Mais il y a longtemps eu des préjugés... »

Et qu'est-ce qui motive le choix de Lothaire Bluteau pour une proposition professionnelle plutôt qu'une autre? La réponse, brève, tombe tout de go et fait sourire.

« Opter pour une affaire plutôt qu'une autre, c'est comme tenir un journal de bord. On se rend souvent compte que, si on nous avait offert le rôle 5 ans plus tôt ou plus tard, on l'aurait refusé. Mais vient un moment où on a des impressions... »

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