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Commission Charbonneau : L'entrepreneur Michel Leclerc à la barre des témoins

L'entrepreneur Michel Leclerc à la barre des témoins
PC

Un texte de François Messier

L'entrepreneur Michel Leclerc de Terramex Inc. a admis lundi devant la commission Charbonneau qu'il a longtemps collaboré avec des entrepreneurs qui avaient implanté un système de collusion à Montréal dans le domaine des égouts, des trottoirs et aussi des parcs.

Michel Leclerc a raconté qu'il a versé des ristournes de 3 % de la valeur des ententes à Nicolo Milioto de Mivela Construction quand il faisait de la sous-traitance pour des contrats de trottoirs qui avaient été truqués. Il l'a aussi fait pour un contrat d'égout.

Michel Leclerc a aussi affirmé que Franco Cappello d'Excavations Super avait mis sur pied un système de collusion pour les contrats d'aménagements de parcs avec l'aide de Nicolo Milioto. Terramex, a-t-il dit, versait une ristourne de 1,5 % à M. Cappello pour les contrats truqués dans ce domaine.

Michel Leclerc a expliqué qu'il avait commencé à collaborer avec des collusionnaires en 1998, après que Nicolo Milioto soit intervenu auprès de lui. Il avait auparavant résisté à des pressions exercées par Joe Borsellino de Construction Garnier.

M. Leclerc a aussi montré du doigt deux employés de la Ville, soit un ingénieur chargé de la surveillance des projets, Guy Girard, et le grand patron des travaux publics à la Ville Robert Marcil. Le premier a accepté un pot-de-vin, a-t-il dit, tandis que le second lui a offert de le compenser pour une baisse de prix avec des extras sur un autre contrat.

Le témoignage de M. Leclerc se poursuivra mardi.

Informé du système dans les années 90

Michel Leclerc a raconté qu'il avait déjà accepté 20 000 $ pour laisser tomber deux contrats d'aménagement de parcs qu'il avait obtenus en 1996 auprès de la Ville de Verdun. Il dit avoir accepté l'argent que lui offrait un des membres de la famille Catania parce qu'il ne pouvait faire ces deux contrats de toute façon.

Mais la réalité du système collusionnaire lui est apparue peu après, lorsque Joe Borsellino de Garnier Construction lui a demandé de se « tasser » à deux reprises pour des contrats lancés par la Ville de Montréal en 1997.

Au mois de février, a raconté le témoin, Joe Borsellino était venu le voir une première fois après que Terramex eut décroché un premier contrat pour des canalisations à l'angle des rues Henri-Julien et Duluth.

Soulignant qu'il avait « oublié » d'appeler M. Leclerc à ce sujet, Joe Borsellino lui a offert 50 000 $ pour que Terramex laisse tomber ce contrat.

Après cinq minutes de réflexion, M. Leclerc a décliné l'offre. « Ce n'était pas une question d'argent, j'avais besoin de faire travailler mon monde », a dit le témoin.

Peu après, a poursuivi le témoin, M. Borsellino et un autre homme l'ont intercepté à l'angle des rues Iberville et Maisonneuve. Ils sont montés dans son camion et ont insisté à nouveau, mais en vain.

« Il y a eu un petit peu d'intimidation », a dit Michel Leclerc.

Peu après, Terramex a été victime d'un appel à la bombe, et certains de ses équipements ont été volés ou vandalisés. L'affaire n'a jamais été élucidée, mais Michel Leclerc croit que cela est relié à l'intervention de Joe Borsellino.

Selon Michel Leclerc, Joe Borsellino a aussi tenté de le convaincre de ne pas soumissionner pour un appel d'offres lancé en juin 1997 pour un contrat d'aménagement sur la place Jacques-Cartier, dans le Vieux-Montréal.

M. Leclerc a refusé d'agir de la sorte. Il a présenté une soumission de 3,5 millions de dollars et l'a emporté. Il dit ne plus avoir entendu parler de M. Borsellino par la suite. Il a terminé son contrat sans problème particulier.

« Fallait se tenir debout [...] être tenace avec eux pour être capable de travailler, de faire travailler notre monde », a réitéré M. Leclerc, qui est interrogé par la procureure en chef de la commission, Sonia Lebel.

Selon le témoin, Terramex n'avait « pas le droit d'obtenir des contrats » dans le domaine des canalisations à Montréal. Le travail se répartissait plutôt entre Construction Garnier, Excavations Super, Catcan, Construction F. Catania et associés, TGA, ATA (devenu Bentech), Soter, Simard-Beaudry, Conex, Infrabec, Timberstone et Arctic Beluga.

Nicolo Milioto et 3 % pour « la politique »

Michel Leclerc a ensuite expliqué qu'il avait rencontré Nicolo Milioto de Mivela Construction en 1998, lorsqu'il a commencé à aller chercher les documents d'appel d'offres pour des contrats de trottoirs à Montréal.

Terramex voulait seulement faire des bordures en granit sur ces contrats, a expliqué M. Leclerc.

Le témoin affirme que Nicolo Milioto est rapidement venu le voir pour lui expliquer que c'était lui qui s'occupait de ces contrats à Montréal. Il a proposé au témoin de l'embaucher en sous-traitance pour les bordures en granit.

Michel Leclerc a expliqué qu'il avait alors commencé à faire de la sous-traitance pour Nicolo Milioto. Ce dernier, ajoute-t-il, exigeait de recevoir un pourcentage équivalant à 3 % de la valeur du contrat obtenu par Terramex pour « la politique ».

Cette somme était remise en argent comptant, a précisé le témoin, qui croit avoir payé cette ristourne une vingtaine de fois entre 2000 et 2009. Il a aussi versé une telle ristourne pour le seul contrat d'égout qu'il a fait après 1997. Le contrat avait été fait avec Conex sur la 16e avenue.

Michel Leclerc dit que Mivela Construction n'obtenait pas tous les contrats de trottoirs à Montréal. Terramex pouvait aussi faire des contrats en sous-traitance pour d'autres firmes, a-t-il dit, mais la ristourne de 3 % était quand même versée à Nicolo Milioto.

Le témoin dit avoir rapidement compris que certaines entreprises - CSF, TGA, BP, ATG - se partageaient les contrats de trottoirs à Montréal.

M. Leclerc dit avoir cédé à la demande de Nicolo Milioto parce que ce dernier avait su se faire « plus convaincant », que Joe Borsellino. « C'est la façon dont il s'adresse à nous... il est plus imposant », a-t-il tenté d'expliquer.

Selon lui, M. Milioto n'a pas fait de menaces directes, mais lui a fait comprendre que « ce serait mieux pour la prospérité de la compagnie ». M. Leclerc dit qu'il y a tout de même vu une menace indirecte.

Michel Leclerc dit que Terramex ne faisait pas de contrats de pavage à Montréal. Selon ses observations, Louisbourg et DJl étaient cependant les « gros joueurs » dans ce domaine, suivi de Soter et Sintra.

Des entrepreneurs contrôlant des territoires

Malgré ces démêlés avec les entrepreneurs, Michel Leclerc dit avoir continué de soumissionner pour des contrats d'aménagement, qui étaient le domaine de prédilection de Terramex.

Il a soutenu qu'il réussissait toujours à obtenir de tels contrats avec la ville-centre dans les années 2000, mais qu'il recevait « des appels » dès qu'il soumissionnait pour un contrat lancé par un arrondissement.

Selon lui, Catcan avait la mainmise sur les contrats de Verdun, Excavation Super remportait la mise dans Pointe-Claire et à LaSalle, Construction Garnier raflait toujours les contrats dans Saint-Laurent tandis que Canbec et TGA se partageaient les contrats dans Outremont/Westmount.

Un dénommé Catalonia appelait en outre M. Leclerc lorsque Terramex lorgnait un contrat dans Lachine.

M. Leclerc a dit croire que les entrepreneurs collusionnaires avaient parfois des collaborateurs « à l'intérieur » des villes puisqu'il recevait des appels très rapidement après être allé chercher des documents d'appels d'offres.

De la collusion dans le domaine des parcs

En après-midi, M. Leclerc a expliqué qu'un système de collusion a aussi été en place pour les contrats d'aménagements de parcs au milieu des années 2000, et que cela avait fonctionné pendant deux ou trois ans. Les collusionnaires versaient 1,5 % de la valeur des contrats obtenus à Franco Cappello d'Excavations Super.

M. Cappello est celui qui avait mis l'affaire sur pied, a expliqué Michel Leclerc. Il avait convoqué différents entrepreneurs du domaine aux locaux de Mivela Construction, et sept ou huit d'entre eux s'étaient bel et bien présentés.

M. Milioto, a relaté Michel Leclerc, disait « qu'on devrait essayer de s'organiser comme les entrepreneurs de trottoirs et d'égout, dans le but de partager le travail et d'avoir de meilleurs coûts pour travailler ».

Franco Capello, Joe Borsellino, Rick Andreoli de Canbec, Joe Salvo de Salvex, ainsi qu'un dénommé Ventura de Bentech et un dénommé Bobby Mormina s'étaient présentés à cette rencontre, a dit Michel Leclerc. Les mêmes joueurs étaient présents lors d'une deuxième rencontre, organisée quelques semaines plus tard.

M. Leclerc dit qu'il a payé la ristourne de 1,5 % à deux ou trois reprises à M. Cappello. Il ne sait cependant pas si l'argent allait « à la politique » dans ce cas. Lui-même croyait que MM. Cappello et Milioto empochaient l'argent.

Un jeu de dupes

Selon M. Leclerc, la bonne marche du système de collusion demandait que les entrepreneurs fassent des soumissions de complaisance pour couvrir le candidat choisi par le cartel.

« C'est pour éviter les soupçons », soutient M. Leclerc, qui explique que l'entrepreneur choisi (par exemple Martin D'Aoust de F. Catania, Paolo Catania de Catcan, Joe Borsellino de Garnier ou M. Capello d'Excavations Super) donnait aux autres collusionnaires le prix sous lequel il ne fallait pas soumissionner.

Il ne se souvient pas que le stratagème ait éveillé les soupçons de la Ville puisque, selon ses souvenirs, aucun appel d'offres n'a été annulé. Michel Leclerc dit qu'il a peut-être fait entre 25 et 30 soumissions de complaisance sur 10 ans, surtout dans le domaine des canalisations.

Des employés de la Ville montrés du doigt

En fin d'après-midi, la procureure Sonia Lebel a présenté au témoin différents contrats pour lesquels Terramex avait soumissionné au fil des années, afin de déterminer dans quels cas il avait présenté des soumissions de complaisance.

La procureure lui a notamment montré un contrat d'égout 438 000 $ obtenu par Conex en 2004. Michel Leclerc a dit que Conex n'était en quelque sorte qu'un prête-nom dans cette affaire, puisqu'il avait effectué ce contrat au complet.

Il a expliqué que Nicolo Milioto lui avait expliqué que le « groupe » ne voulait pas qu'il remporte une soumission en bonne et due forme. M. Leclerc dit qu'il a fait ce contrat pour 308 000 $, ce qui a permis à la procureure de conclure que Tony Conte avait empoché 130 000 $ pour « prêter son nom ».

Michel Leclerc a dit que la Ville avait mis du temps à le payer pour ce contrat, et qu'il avait appelé l'ingénieur chargé de projet Guy Girard pour s'enquérir de la situation. Ce dernier lui a donné rendez-vous dans un restaurant de Montréal pour discuter de l'affaire.

Selon Michel Leclerc, Guy Girard lui a demandé 5000 $ pour régler le dossier. L'entrepreneur dit qu'il a payé la somme demandée deux jours plus tard. « J'ai eu droit au traitement cinq étoiles », a conclu le témoin. « Ça c'est réglé instantanément ».

Michel Leclerc a aussi expliqué qu'il avait eu de nombreuses difficultés avec la Ville relativement à un contrat d'aménagement effectué en 2005 dans l'avenue Savoie.

L'entrepreneur dit que M. Milioto lui avait demandé de « prendre ce contrat » avant même que l'appel d'offres correspondant ne soit lancé.

Michel Leclerc raconte qu'il avait constaté que les quantités de matériaux inscrites dans les plans et devis étaient nettement inférieures à celle inscrites dans le bordereau de soumission.

Terramex a finalement décroché le contrat avec une offre à 2,287 millions de dollars. Ce prix, qui tenait compte des prix soumis par divers sous-traitants, posait cependant problème puisqu'il dépassait le budget de la Ville.

Éventuellement, le grand patron des travaux publics à la Ville, Robert Marcil, a fait savoir à Michel Leclerc qu'il devrait baisser le prix des items au bordereau de 9 % pour que le contrat ne soit pas annulé.

Robert Marcil l'aurait incité à agir de la sorte en lui disant qu'il pourrait être « compensé » avec les « extras » au contrat. Selon Michel Leclerc, l'affaire s'est bel et bien réglée de la sorte en 2009, soit quatre ans après qu'il eut remporté l'appel d'offres.

La firme Genivar avait alors pris la relève de Guy Girard, qui était parti à la retraite.

M. Leclerc a aussi dit qu'il avait souvent croisé Nicolo Milioto et Robert Marcil mangeant ensemble dans des restaurants de la Ville.

Une entreprise à l'article de la mort

Terramex ne peut plus soumissionner pour des contrats publics lancés par des municipalités ou le gouvernement du Québec.

L'entreprise ne dispose plus que d'une licence restreinte après avoir été reconnue coupable de fausse facturation en 2010.

M. Leclerc a dit que 90 % des sommes ainsi obtenues- environ 250 000 $, dit-il, lui ont permis de payer les ristournes à Nicolo Milioto.

Sa licence d'entrepreneur a en outre été suspendue pour sept jours en novembre 2011.

Selon M. Leclerc, l'entreprise « va disparaître » en raison de sa licence restreinte.

Pas de diffusion en direct

Jeudi dernier, M. Leclerc a présenté une requête à la commissaire France Charbonneau pour que son audience ne soit pas diffusée en direct, en raison d'un problème de santé « particulier et exceptionnel ».

Cette requête, qui a été acceptée, fait en sorte que le son et l'image de ce témoignage ne pourront être diffusés avant qu'il soit terminé. Ses propos peuvent cependant être rapportés.

La commission a décidé en fin de semaine de diffuser le témoignage de M. Leclerc dans la salle de presse, ce qui permettra de rapporter ses propos en direct.

Sans cette décision, les journalistes auraient dû se rendre dans la salle d'audience, où il est interdit d'utiliser un ordinateur ou un téléphone cellulaire.

S'appuyant sur les rapports de trois médecins psychiatres qui ont évalué le futur témoin, l'avocat de l'entrepreneur, Me Stephen Angers, avait plaidé que le refus de la commission d'adhérer à cette demande aurait « porté atteinte à l'intégrité tant physique que mentale de son client » et « affecté sa capacité à témoigner ainsi que le contenu de son témoignage ».

La commissaire Charbonneau a accepté la requête, en déclarant qu'il s'agissait là d'une « limitation raisonnable du caractère public des audiences ».

La requête de Me Angers et les rapports des médecins psychiatres sont frappés d'un interdit de publication.

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