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Projet ICI CHEZ SOI de l'ONF. Theresa: évincée, mais pas abandonnée (VIDÉO)

Theresa : évincée, mais pas abandonnée (VIDÉO)

Loger des personnes itinérantes dans le cadre d’une étude comme Chez soi n’est pas simple. On recrute des participants. On leur procure un toit, des meubles. On signe un bail avec des propriétaires qui ne savent pas trop dans quoi ils s’embarquent. On rencontre les participants plusieurs fois par semaine. Pour les cas les plus lourds, on leur donne accès à des traitements médicaux et autres services qui les aident à se remettre sur pied. On fait tout pour qu’ils trouvent un semblant d’équilibre dans leur vie et recommencent à avoir des projets.

Ici, Chez soi est un documentaire Web de l'ONF dans les coulisses de Chez soi, une grande enquête de la Commission de la santé mentale du Canada pour stopper l'itinérance chronique. Le concept? Donner un toit aux sans-abri.

Mais qu’arrive-t-il lorsqu’un participant se voit expulsé par son propriétaire? On fait quoi lorsqu’ il ne prend pas de mieux? Quand il a dépassé les limites? Invité chez lui des personnes peu recommandables? Détruit une partie de l’appartement?

Intéressé par ce genre de situation extrême, Manfred Becker, réalisateur des films du documentaire Ici, Chez soi à Toronto, raconte l’histoire de Theresa.

Meurtrie, parfois agressive, attendrissante à d’autres moments, Theresa appartient à une catégorie de personnes qui vivent un état d’itinérance chronique. Dès le début du film, c’est une Theresa colérique qui annonce à la caméra et à sa travailleuse sociale qu’elle est évincée de l’appartement trouvé par les gens du projet.

Femmes et itinérance

Theresa est une femme. Une femme malade, vulnérable, avec des besoins différents de ceux des hommes du projet. À l’annonce de son éviction, Bouchra, qui travaille pour Chez soi, tente de la rassurer en lui rappelant un principe de base de l’approche Housing First : avoir un toit est un droit pour tout le monde. Il en va de la dignité et de l’humanité de chacun.

Parmi tous les participants à l’étude, le tiers est constitué de femmes. Pour mettre en lumière l’histoire de Theresa, nous avons discuté avec Léonie Couture, directrice générale et fondatrice de l’organisme montréalais La rue des Femmes. Elle en a vu des cas comme Theresa : « Les personnes dans la rue sont toutes malades. Une personne en état d’itinérance vit une grande détresse. Homme ou femme, elle vit une déconnexion profonde. »

Le point de vue de Mme Couture sur l’itinérance et la santé mentale fait écho à celui de l’équipe du projet Chez soi : les personnes qui vivent dans une précarité aussi marquée n’arrivent pas à entrer en contact avec les autres. Les causes, souvent enfouies, remontent presque toujours à l’enfance. Dans le cas des femmes, les traumatismes diffèrent souvent de ceux des hommes. La rue des Femmes a comme mission d’accompagner des femmes pour les aider à se rétablir et à guérir de leurs problèmes relationnels. Gros défi.

L’itinérance cachée et la violence sont des situations qui touchent particulièrement les femmes. L’an dernier, des organismes qui offrent de l’hébergement aux femmes lançaient déjà un cri d’alarme, notamment en ce qui concerne l’aide à long terme. Selon un dossier publié dans la Gazette des femmes en août dernier, « les femmes itinérantes sont plus vulnérables aux violences de la rue. Elles courent 20 fois plus de risques que toute autre femme de se faire agresser, et sont plus sujettes aux agressions que les hommes dans la même situation. »

L'itinérance, un problème de santé

« L’itinérance, c’est très complexe. Il y a des drogues épouvantables, des substances effrayantes. Et beaucoup de problèmes de santé mentale. À La rue des Femmes, on refuse de plus en plus de cas. » Sa fondatrice souligne aussi que l’humiliation et le mépris à l’endroit des personnes itinérantes touchent autant les hommes que les femmes.

Les participants peuvent continuer à consommer drogues et alcool en faisant partie de Chez soi, même lorsqu’ils sont logés. Si l’objectif reste leur rétablissement physique et psychologique, la consommation est tolérée. C’est au participant ou à la participante de choisir le bon moment pour changer ses habitudes.

En regardant le film sur Theresa, Mme Couture reconnait qu’on a tendance à diaboliser les comportements violents ou menaçants chez les personnes itinérantes, particulièrement chez les femmes. « Un comportement est la manifestation d’une souffrance », rappelle-t-elle. La directrice générale de La rue des Femmes précise que les abus physiques, émotionnels ou sexuels sont des événements traumatisants qui sont souvent à l’origine de problèmes de santé mentale comme l’anxiété, la dépression ou la dépendance.

Oui, une travailleuse sociale comme Bouchra peut faire de son mieux pour limiter les effets négatifs d’un moment de crise. Mais pour sortir Theresa de cet état de déconnexion, il faudra du temps. Selon Élonie Couture : « Il faut accueillir ces femmes et préparer le terrain. L’itinérance est un mécanisme de survie. Mais c’est un état duquel on peut sortir. Quand au niveau relationnel c’est trop difficile, l’angoisse monte, le stress augmente, la personne disjoncte, poursuit-elle. Je crois que pour se rétablir, les femmes en situation d’itinérance doivent soigner leur capacité à entrer en relation. »

Heureusement, Theresa est suivie par Bouchra et l’équipe d’intervenants de Chez soi, ce qui augmente significativement ses chances de succès. Mme Couture est touchée par l’histoire de Theresa. « C’est triste qu’elle soit évincée. Mais je crois que dans son logement, elle était tellement souffrante qu’elle a continué à consommer. Et quand on souffre, on n’a pas accès à son cœur, à son intelligence. »

Il est là, le défi de Chez soi : en logeant et en accompagnant des personnes en état de santé physique et psychologique très grave, on fait le pari qu’elles pourront se rétablir. Bouchra fait la promesse à Theresa qu’elle sera relogée, malgré son éviction. Elle ne sera pas abandonnée à elle-même.

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