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Quelque 700 000 $ en pots-de-vin pour Gilles Surprenant

Gilles Surprenant: «ce n'était pas mon rôle d'appeler la police»
CP

Un texte de François Messier

Gilles Surprenant a finalement reçu quelque 700 000 $ en pots-de-vin de la part des dix entrepreneurs membres du cartel des égouts actif à Montréal entre 2000 et 2008.

C'est ce qui ressort des deux derniers jours du témoignage livré par l'ex-ingénieur de la Ville de Montréal devant la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction.

Au début de son témoignage, jeudi dernier, Gilles Surprenant avait plutôt estimé les sommes reçues à 580 000 $ ou 600 000 $.

Le témoin a pourtant affirmé lors de sa quatrième journée à la barre des témoins qu'il avait prévenu ses supérieurs que des collusionnaires se concertaient pour se répartir des contrats. Il avait précédemment soutenu le contraire.

« Ce n'était pas mon rôle d'appeler la police », dit Surprenant

Lorsque le procureur Gallant lui a demandé pourquoi il n'avait pas dénoncé cette collusion, Gilles Surprenant a répondu : « Tout le monde était au courant chez nous. J'en parlais. J'en parlais ouvertement à mes supérieurs. Je pense que ce n'était pas mon rôle à moi, simple fonctionnaire, d'appeler la police pour ça », a-t-il dit.

« Mes patrons étaient au courant de cette situation-là et, comme je l'ai dit, pendant neuf ans, il n'y a pas grand-chose qui a été fait », a poursuivi l'ex-ingénieur.

Lorsqu'on lui a demandé s'il avait pensé appeler les médias pour mettre le système au jour, Gilles Surprenant a répondu « pas du tout », en notant ultérieurement que beaucoup d'articles s'écrivaient à ce sujet.

Comme il l'a fait à plusieurs reprises depuis le début de son témoignage, Gilles Surprenant a tenté de minimiser sa responsabilité dans cette affaire.

« Je voulais faire une carrière normale comme tous les ingénieurs. Je n'ai pas voulu d'un système comme ça, je n'avais pas besoin d'un système comme ça », a-t-il déclaré. « Je l'ai dit, je le répète, l'argent que j'avais, je ne savais pas quoi faire avec et j'en ai remis une très grande partie ».

Il avait précédemment tenu à préciser que les contrats étaient truqués par les entrepreneurs, et non par lui, et qu'il avait lui-même évoqué l'idée de ne pas diffuser la liste des entrepreneurs intéressés à soumissionner, afin de ne pas encourager les pratiques de collusion.

Au début de la semaine, Gilles Surprenant avait affirmé que ses supérieurs, Yves Themens et Robert Marcil, étaient sûrement « au courant » de la hausse fulgurante du coût des contrats, mais assurait qu'il ne leur en avait jamais parlé.

Le témoignage de l'ex-ingénieur doit se poursuivre pendant une trentaine de minutes jeudi. Les contre-interrogatoires suivront.

91 contrats passés en revue; environ 700 000 $ reçus

M. Surprenant a passé l'essentiel de la journée à continuer d'expliquer la provenance des pots-de-vin reçus dans le cadre de contrats qu'il a contribués à préparer au cours des années 2000.

L'ex-ingénieur a convenu qu'il avait préparé les 27 soumissions qui lui ont été soumises depuis le début de la journée, et que ces contrats avaient tous été truqués. Il a reçu au moins 228 000 $ en argent liquide pour sa collaboration dans 26 de ces dossiers.

Mardi, il avait admis avoir reçu au moins 471 000 $ dans le cadre de 61 contrats truqués par le cartel des égouts. Il a aussi reçu deux abonnements annuels pour le Canadien d'une valeur approximative de 12 000 $.

Un entrepreneur frustré par l'annulation d'un contrat

Gilles Surprenant a réitéré mercredi que l'entrepreneur Joe Borsellino de Construction Garnier avait cessé de le payer après qu'un contrat qui lui était destiné en 2005 eut été annulé. L'affaire l'a mis de mauvaise humeur, et a sonné la fin de leur collaboration.

Cette décision avait été prise après qu'une firme privée, Macogep, eut jugé que l'estimation des coûts de trois contrats préparés par Gilles Surprenant était trop élevée. Les trois contrats avaient été annulés en 2005, mais relancés en 2006.

Cette décision avait également mis en rogne le nouvel interlocuteur de l'ex-ingénieur chez Frank Catania et associés, Pasquale Fedele. Ce dernier l'avait convoqué au bureau de l'entreprise et l'avait « insulté » en lui disant qu'il n'était « rien ».

Gilles Surprenant a réitéré que malgré la colère de Joe Borsellino, l'entrepreneur Tony Conte de Conex lui avait dit que les collusionnaires pourraient continuer de lui remettre des sommes forfaitaires « à leur gré ». Il dit avoir compris qu'il était comme une « police d'assurance » pour eux.

Les affaires ont d'ailleurs bel et bien repris par la suite, même si Gilles Surprenant affirme que les pots-de-vin qu'il recevait étaient beaucoup plus faibles. Seul Joey Piazza de Pavages ATG a suivi l'exemple de Joe Borsellino et a aussi cessé de le payer.

Une semaine après qu'il l'eut insulté, Pasquale Fedele l'a rappelé pour lui dire qu'il avait « quelque chose pour lui ». Il lui a finalement versé un pot-de-vin de 10 000 $ pour un contrat.

Il s'agissait d'ailleurs d'un des trois contrats qui avait été relancé après avoir été rejeté. Les deux autres ont finalement été remportés par d'autres collusionnaires, Construction Garnier et Infrabec. Dans ce dernier cas, Surprenant a reçu 12 000 $ de Lino Zambito.

Le contrat obtenu par Construction Garnier a par ailleurs été accordé pour une somme de 7,4 millions de dollars, alors que la plus basse soumission reçue pour le contrat annulé avait été de... 7,2 millions.

À l'exception des trois contrats qui ont été annulés, a indiqué Gilles Surprenant, les évaluations faites par Macogep avaient plutôt tendance à confirmer les évaluations faites par la Ville.

Selon lui, le dernier pot-de-vin remonte à décembre 2008. Il avait alors reçu 7000 $ de la part de Martin D'Aoust pour un contrat de 2,9 millions de dollars remporté par Frank Catania et associés.

Martin D'Aoust et Pasquale Fedele ont été arrêtés par l'escouade Marteau en mai 2012 dans l'affaire du Faubourg Contrecoeur à Montréal. Tous deux sont accusés de fraude et abus de confiance. M. Fedele a aussi été arrêté lors d'une autre opération menée un mois plus tard à Saint-Jean-sur-le-Richelieu.

Gilles Surprenant a aussi admis que lui et Yves Themens ont trafiqué une estimation pour un contrat remporté par Conex en mai 2009. Il dit qu'il espérait recevoir un pot-de-vin. La somme n'a jamais été versée puisque Conex s'est retrouvé en faillite technique.

De faux extras découverts, mais néanmoins payés

En fin d'après-midi, Gilles Surprenant a expliqué qu'il avait enquêté sur de faux extras réclamés par l'entreprise Frank Catania et Associés dans le cadre d'un contrat exécuté sur le chemin Queen-Mary en 2006. Il avait précédemment affirmé avoir lui-même reçu un pot-de-vin de 15 000 $ dans ce dossier.

Le responsable des surveillants de chantier, Gilles Vézina, lui avait demandé de vérifier pourquoi les informations sur les quantités à utiliser prévues dans les bordereaux de soumission avaient été largement dépassées par l'entrepreneur. M. Vézina avait reçu cette commande de Robert Marcil.

Se tenant devant le plan du projet, qu'il avait mystérieusement amené chez lui avant de prendre sa retraite, Gilles Surprenant a alors expliqué aux commissaires que Frank Catania et Associés avaient réclamé pour environ 450 000 $ en faux extras dans ce contrat, soit :
  • 175 000 $ pour 2200 mètres cubes de roc qui n'avaient pas été réellement excavés;
  • 180 000 $ grâce à un stratagème portant sur le raccordement des services publics;
  • 50 000 $ ou 55 000 $ pour un tuyau plus long qu'il ne l'était véritablement;
  • 50 000 $ pour des drains plus longs qu'ils ne l'étaient en réalité.

Gilles Surprenant a affirmé que Gilles Vézina était au courant des résultats de son enquête et qu'il l'avait informé que son rapport était prêt. Selon lui, Gilles Vézina aurait normalement dû informer Robert Marcil de l'existence de ce rapport.

Ce dernier ne lui a toutefois jamais demandé, et les sommes ont bel et bien été payées à Frank Catania et Associés.

M. Surprenant a expliqué que dans le cadre de son enquête, il avait discuté avec son ami et confident Luc Leclerc, qui était responsable de la surveillance de ce chantier, et avec son adjoint François Thériault. Le témoin avait déjà dit être au courant que les deux hommes recevaient aussi de l'argent de la part des membres du cartel.

Interrogé par Me Gallant, il fini par admettre que M. Leclerc lui avait déjà mentionné qu'il pouvait recevoir 10 % à 15 % des faux extras réclamés par les entrepreneurs, extras qu'il contribuait à faire approuver. L'ex-propriétaire d'Infrabec Lino Zambito avait plutôt évoqué un pourcentage de 25 %.

Lorsque Gilles Surprenant a parlé du dossier du chemin Queen-Mary avec Luc Leclerc, ce dernier lui aurait pourtant affirmé qu'il se fiait aux informations que lui avait fournies M. Thériault, qui était présent tous les jours sur ce chantier, et aux informations fournies par un responsable du mesurage.

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Des enveloppes provenant de 10 collusionnaires

Les sommes reçues par Gilles Surprenant au cours des années 2000 variaient de 3000 $ à 22 000 $, en fonction de la valeur des contrats. Elles lui étaient versées, selon les cas, par :
  • Joe Borsellino, de Construction Garnier
  • Lino Zambito, des Constructions Infrabec
  • Tony Conte ou son fils Lewis, de Conex Construction routière
  • Paolo Catania, Pasquale Fedele ou Martin D'Aoust de Construction Frank Catania et Associés
  • Antonio Catania ou Paolo Catania de Construction Catcan
  • Domenico Arcuri ou Dominic Cammalleri de Mirabeau Construction
  • Antonio Bentivegna ou son fils Aurelio de Bentech
  • Francesco Capello des Excavations Super
  • Domenico Aloisio, de Construction A.T.A.
  • Joey Piazza de TGA Montréal

L'ex-ingénieur a estimé que sa ristourne avoisinait en moyenne 0,5 % de la valeur des contrats truqués en moyenne, soit un peu moins que ce que Lino Zambito avait dit. L'ex-propriétaire d'Infrabec avait évoqué que Surprenant recevait une ristourne de 1 %.

Gilles Surprenant a précisé que les autres avantages qu'il a reçus au fil des années, qu'il s'agisse d'invitations à des soupers ou à des parties de golf, s'ajoutaient aux pots-de-vin reçus en argent liquide.

Ses supérieurs muets sur la hausse des coûts

Gilles Surprenant a par ailleurs répété que, malgré le fait que les contrats de la Ville de Montréal étaient gonflés de 30 % à 35 % au milieu des années 2000, personne ne lui a jamais posé de questions à ce sujet.

« Je n'ai pas été témoin de quelque moyen que ce soit qui aurait été pris pour peut-être enrayer le phénomène », a-t-il dit. « Pour moi, ça aurait pu arrêter immédiatement et ça aurait été parfait », a-t-il soutenu.

Les employés de son département, a-t-il encore dit, savaient tous que les entrepreneurs qui présentaient des soumissions étaient toujours les mêmes, incluant les supérieurs, mais personne n'a fait quoi que ce soit à ce sujet.

L'ex-ingénieur a expliqué plus tôt dans son témoignage que le système de collusion avait pris son essor à partir de l'an 2000, au moment où la liste des soumissionnaires intéressés par des projets avait été rendue publique.

Le système a fonctionné tant et si bien que les travaux de construction se sont rapidement mis à coûter 35 % plus cher à Montréal que dans d'autres villes de taille comparable. Selon Gilles Surprenant, cette hausse s'appliquait non seulement au domaine des canalisations, mais aussi à ceux du pavage et des trottoirs.

Cela a été rendu possible grâce à la complicité de ses deux supérieurs immédiats, Yves Themens et Robert Marcil, qui étaient assurément au courant de la situation, a dit le témoin.

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