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Commission Charbonneau: une faction calabraise de la mafia italienne est au pouvoir à Montréal

Les Calabrais ont repris le contrôle de Montréal
PC

Les principaux acteurs du crime organisé italien à Montréal sont issus à l'heure actuelle d'une « faction de l'aile calabraise », a affirmé devant la commission Charbonneau la caporale Linda Féquière, spécialisée dans les activités de la mafia italienne à la Gendarmerie royale du Canada.

Cette analyste affectée à l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé (UMECO) était appelée à la barre des témoins mardi matin. Elle a fait cette affirmation après être revenue sur l'histoire des groupes mafieux au pays, en se penchant plus particulièrement sur son évolution sur le territoire montréalais.

Selon Mme Féquière, le règne du clan sicilien dirigé par la famille Rizzuto sur le territoire de Montréal s'est exercé du début des années 80 jusqu'à l'opération Colisée, au terme de laquelle 91 personnes liées à leur organisation ont été arrêtées à l'automne 2006.

Le pouvoir était alors entre les mains de Vito Rizzuto. Ce dernier a profité des liens que son père Nicolo avait réussi à tisser avec des trafiquants de drogue colombiens lors de son exil au Venezuela, à la fin des années 70, au moment où il était à couteaux tirés avec le clan Cotroni-Violi.

Le clan Rizzuto a pris le contrôle du clan calabrais dirigé par Vic Cotroni et Paolo Violi, qui a été au pouvoir des années 40 aux années 70. Ce clan relevait de la famille mafieuse new-yorkaise Bonanno. Paolo Violi était lui-même un capo (capitaine) des Bonanno.

Notant que Nicolo Rizzuto père et Nicolo Rizzuto fils ont été récemment assassinés et que Paolo Renda a disparu, la commissaire Charbonneau a demandé à la caporale Féquière qui contrôlait aujourd'hui le crime organisé italien à Montréal.

« Je vais répondre très sommairement parce que ces gens-là font l'objet d'enquête », a répondu Mme Féquière. « Mais il suffira de dire qu'ils appartiennent à une faction de l'aile calabraise du crime organisé italien ».

« Je ne suis pas en train de dire que la faction sicilienne est complètement disparue, a-t-elle ajouté. Par contre, il y a un retour du crime organisé d'origine calabraise qui s'est faite suite à l'arrestation et à l'extradition de M. Vito Rizzuto. »

Au milieu des années 2000, a précisé Mme Féquière, la mafia sicilienne commençait à perdre de l'ampleur partout dans le monde, et non seulement à Montréal. Cela s'explique notamment par le fait qu'elle avait été davantage visée par des enquêtes policières.

La condamnation de plusieurs chefs mafieux, l'adoption de lois antimafia en Italie et aux États-Unis, la création de programmes judiciaires pour les repentis, et l'émergence d'autres groupes mafieux, dont la 'Ndrangheta calabraise, ont aussi contribué à cette situation.

Selon Mme Féquière, la 'Ndrangeta est d'ailleurs devenue aujourd'hui le principal partenaire des trafiquants de drogue colombiens.

La caporale a aussi révélé que des suspects suivis dans le cadre de l'opération Colisée était actifs dans diverses sphères d'activité légitimes, dont:

  • la construction;
  • l'immobilier;
  • l'alimentation;
  • la vente au détail, la transformation et la distribution d'aliments;
  • la restauration;
  • des cafés, des bars et des crémeries;
  • des activités à caractère environnemental;
  • des firmes de sécurité privées.

Rizzuto communiquait avec ses acolytes en prison

Le caporal Vinicio Sebastiano, également de la GRC, a ensuite été appelé à la barre des témoins. Il est venu expliquer comment l'Unité mixte sur le crime organisé (UMECO), dirigée par la police fédérale, a mené l'enquête qui a abouti à l'opération Colisée.

Il a notamment rappelé que l'UMECO a pu faire de l'écoute électronique et filmer des activités se déroulant dans deux bars, soit le café Consenza, situé rue Jarry à Montréal, et le bar Laennec, situé boulevard René-Laennec à Laval.

Ces activités ont permis de comprendre que Nicolo Rizzuto, Paolo Renda, Rocco Sollecito et Frank Arcadi dirigeaient les opérations du clan depuis le café Consenza. Deux hommes relevant d'Arcadi, Francesco Del Balso et Lorenzo Giordano, se tenaient plutôt au bar Laennec.

M. Sebastiano a expliqué que les décisions sur les activités du groupe étaient prises au Consenza; les exécutants, qu'il a nommés les « young guys », se tenaient au Laennec. L'argent provenant des activités criminelles était livré par le groupe du Laennec au groupe du Consenza. Selon le témoin, 192 livraisons d'argent ont eu lieu pendant la durée de l'opération Colisée.

M. Sebastiano a expliqué que l'arrestation de Vito Rizzuto en 2004, à la demande des autorités américaines, a quelque peu réorienté l'enquête de l'UMECO. Les conversations écoutées par l'unité ont cependant permis de comprendre que Vito Rizzuto parvenait à communiquer avec ses acolytes, même lorsqu'il était emprisonné entre 2004 et 2006.

Selon M. Sebastiano, plusieurs entrepreneurs en construction ont été aperçus au café Consenza pendant la durée de l'opération Colisée, dont Michel Argento (Paramount Paving), Francesco Catania, (groupe CatCan), Nicola Milioto (Mivela), Dominico Arcuri, Tony Maggi, Nicola Milioto et Accursio Sciascia.

Les interrogatoires de Mme Féquière et de M. Sebastiano ont été menés par le procureur Denis Gallant. Avant d'être prêté à la commission, Me Gallant était procureur de la Couronne au Service des poursuites pénales du Canada, qui se spécialise entre autres dans le crime organisé.

Les journalistes soumis à une diffusion en différé

À compter de mercredi, les journalistes qui suivent la commission entendront la diffusion des travaux avec un différé de deux minutes, ce qui n'était pas le cas depuis le début des travaux.

Le différé vise à empêcher que des informations susceptibles de compromettre des procès en cours, qui pourraient être soumises à un interdit de publication, ne soient diffusées.

La commission indique qu'elle ne peut prendre le risque que de telles informations soient diffusées dans la couverture en direct qu'offre radio-canada.ca ou sur Twitter.

Une histoire de collusion new-yorkaise

Lundi, la commission a entendu l'ex-agent du FBI, Joseph Pistone, alias Donnie Brasco. Ce dernier a conclu son témoignage en rappelant que « les gouvernements et les contribuables paient toujours plus dès lors que la mafia s'infiltre dans une activité économique donnée ».

Celui qui a infiltré la famille mafieuse Bonanno en utilisant le pseudonyme de Donnie Brasco avait précédemment expliqué comment la mafia new-yorkaise a fait main basse sur l'industrie de la construction dans l'État dans les années 80.

Dans ces années, a relaté Joe Pistone, les cinq grandes familles mafieuses de New York - Bonanno, Gambino, Lucchese, Colombo et Genovese - ont réussi à mettre sur pied une organisation baptisée The Club, pour se partager des millions de dollars qu'ils détournaient à leur profit.

Pour y parvenir, a raconté Joseph Pistone, les familles utilisaient leurs propres compagnies ou utilisaient leur influence pour mettre de la pression sur celles qui ne leur appartenaient pas. Cette pression pouvait s'exercer par de l'intimidation, mais aussi par l'entremise du contrôle que les clans mafieux exerçaient sur les syndicats ou sur les compagnies contrôlant les matériaux de construction.

En matinée, Joe Pistone avait notamment affirmé que la famille mafieuse Bonanno de New York entretient des liens privilégiés avec des clans montréalais depuis de nombreuses années.

Pour me joindre :

francois.messier-nm@radio-canada.ca

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