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Violences contre les Etats-Unis: simple coïncidence ou écho du 11-septembre?

Simple coïncidence ou écho du 11-septembre?
Reuters

SALAFISME - Un attentat et un embrasement général. La seule diffusion sur Internet d'extraits d'un pamphlet incendiaire bas de gamme, "L'innocence des musulmans", suffit-elle à expliquer le torrent de violences anti-américaines qui se déverse depuis trois jours dans plusieurs pays musulmans?

Alors que les Etats-Unis accusent Al-Qaïda d'être à l'origine de l'attaque contre le consulat américain de Benghazi en Libye, au cours de laquelle leur ambassadeur et trois autres Américains ont été tués, et alors que les manifestations hostiles aux USA se multiplient dans les pays dont la plupart ont été touchés par le printemps arabe, difficile de démêler le vrai du faux sur les origines de la colère qui s'y exprime.

D'autant que le calendrier des événements a de quoi inciter à la prudence: l'attaque de Benghazi s'est déroulée le 11 septembre, comme un lointain écho aux attentats du 11 septembre 2001, et les manifestations condamnant la diffusion du film anti-islam ont redoublé d'ardeur dans la foulée de la mort du diplomate américain.

Dans ce contexte fiévreux, et en l'absence de revendications claires, plusieurs questions s'imposent: faut-il mettre sur le même plan l'attaque de Benghazi, intervenue sur fond de manifestation contre le film anti-islam, et les attroupements violents constatés au Yémen, en Iraq, en Iran ou en Egypte? Faut-il y voir une action délibérée et concertée de cellules d'Al-Qaïda?

AL-QAÏDA EST-ELLE VRAIMENT DERRIÈRE L'ATTENTAT DE BENGHAZI?

Les Etats-Unis et la Libye l'affirment, les experts sont plus circonspects. "Il y a des détails encore assez flous, mais clairement on a la signature d'Al-Qaïda", a tranché le président républicain de la commission du renseignement au Congrès, Mike Rogers. Les autorités libyennes ont elles aussi accusé l'organisation terroriste, impliquant au passage les partisans du régime déchu de Kadhafi. La date du 11 septembre constitue pour les Américains un élément à charge.

Mais dans les faits, rien ne permet pour l'heure de lier l'attaque concertée contre le consulat américain aux cellules d'Al-Qaida. D'une part, l'attentat n'a toujours pas été revendiqué. De l'autre, il existe d'autres mouvements salafistes en Libye qui, tout en partageant l'idéologie d'Al-Qaïda, n'appartiennent pas à la même nébuleuse. Comme le rappelle Geoff D. Porter, directeur de North Africa Risk consulting, "il apparaît désormais clairement qu'il y a au moins deux groupes salafistes radicaux, voire plus, qui sont sinon des alliés déclarés d'Al-Qaïda, en partagent au moins l'idéologie jihadiste salafiste" en Libye.

"Aujourd'hui, Al-Qaïda est une franchise. Impossible de savoir si une organisation terroriste qui s'en réclame est réellement en lien avec la nébuleuse", note Frédéric Encel, professeur de relations internationales à l'ESG Management School. L'auteur de Comprendre la géopolitique (Ed. Seuil) mise davantage sur "un réseau jihadiste salafiste local qui a prospéré sur le Printemps arabe", même s'il n'est pas impossible que des membres d'Al-Qaïda aient infiltré la manifestation libyenne pour viser le consulat américain.

LA DATE DU 11 SEPTEMBRE ÉTAIT-ELLE UN HASARD?

Là encore, difficile d'être catégorique. Mais la coïncidence serait surprenante. Pour le chercheur et historien spécialiste des questions stratégiques et du terrorisme, Pierre Conesa, "il est possible que le calendrier ait joué". "Mais les auteurs de ces violences, visiblement organisées, qui ont choisi le 11 septembre, ne sont pas nécessairement issus d'Al-Qaïda", confie-t-il au site FTVi.

Le choix du 11 septembre présente un intérêt marketing évident: en visant des intérêts américains, les auteurs de l'attaque, quels qu'ils soient, ont donné une résonance mondiale à leur action. "C'est une boule puante adressée aux Etats-Unis. La concomitance des violences et du 11 septembre leur confère une visibilité évidente. Mais l'attaque de Benghazi renvoie davantage à un bras de fer entre les salafistes et les pouvoirs locaux", estime Frédéric Encel.

LE FILM ANTI-ISLAM EST-IL À L'ORIGINE DE L'EMBRASEMENT DES PAYS MUSULMANS?

La diffusion sur Internet d'extraits du film "Innocence of Islam", qui s'en prend directement à la personne du Prophète Mahomet, est présentée comme le détonateur des manifestations violentes qui secouent certains pays musulmans. Selon un responsable américain, des extrémistes se sont servis d'une manifestation contre ce film à Benghazi comme "prétexte" pour s'en prendre au consulat avec des armes de petit calibre mais aussi des lance-roquettes. Ailleurs, des ambassades américaines ont également été prises pour cible, mais sans faire de victimes dans le personnel américain ou étranger.

Pour l'anthropologue Malek Chebel, cité par Direct Matin, "la réaction religieuse dépasse la rationalité. Il y a une identification très forte du croyant au Prophète et on ne trouve pas de théorisation du blasphème comme tel dans l'Islam. Dès lors, la part de l'irrationnel est très forte, amplifiée par les phénomènes de foule".

Mais pourquoi celui-ci et pourquoi maintenant? L'explosion de colère autour d'un film que très peu de gens ont vu a tout du prétexte, à en croire le spécialiste du monde arabe, Mathieu Guidère. "La vidéo est une provocation qui permet aux néo-fondamentalistes de se manifester, de faire pression sur leurs gouvernements qu'ils jugent trop modérés. Ils les poussent à radicaliser leur discours. Plus qu'une bataille contre l'Occident, il s'agit d'une bataille politicienne interne", explique l'islamologue au quotidien Métro.

Le scénario d'une instrumentalisation à grande échelle de la colère suscitée par le film n'est d'ailleurs pas à exclure. La poussée de fièvre quasi-simultanée dans plusieurs pays du Printemps arabe (Libye, Tunisie, Yémen, Egypte) où les mouvements intégristes ont prospéré, atteste de l'existence d'une "internationale salafiste" pour Frédéric Encel, qui rappelle qu'il circule déjà des "milliers" de films hostiles à l'islam sur Internet.

  • La vidéo du film L'innocence des musulmans qui a déclenché la crise
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