L'usage du vélo connaît une croissance fulgurante à Montréal. La fréquentation des pistes cyclables a augmenté de 20% dans la dernière année, selon une compilation que La Presse a obtenue. La cohabitation entre cyclistes et automobilistes provoque des frictions, a constaté notre journaliste.

C'est l'heure de pointe de fin d'après-midi sur la piste cyclable de la rue Berri, à l'angle de la rue Ontario. Lorsque le feu passe au vert, une longue file d'une trentaine de vélos se met en branle.

Des touristes en patins à roues alignées bloquent la voie. Des piétons traversent au feu rouge. Une voiture qui descend la rue Berri tourne à droite sur Ontario, sans s'arrêter devant les cyclistes qui prennent leur élan pour monter la côte.

«Il faut avoir les nerfs solides pour faire du vélo ici», dit en riant Hassimiou Soumah, qui s'apprête à monter en selle pour rentrer chez lui, dans le quartier Villeray, à sept kilomètres vers le nord.

L'homme de 55 ans se rend au travail à vélo, près de l'intersection Berri et Ontario, depuis deux décennies. Parce qu'il aime ça. Mais depuis quatre ou cinq ans, la balade sur deux roues devient moins agréable. «Il y a trop de monde à vélo et pas assez de pistes cyclables», dit-il.

Hassimiou Soumah a bien raison: la fréquentation des pistes cyclables a augmenté de 20% entre 2010 et 2011, selon la plus récente compilation réalisée par la Ville de Montréal, que La Presse a obtenue. Le nombre de vélos dans les voies cyclables de l'île a fait un bond spectaculaire de 58% depuis 2008, selon les chiffres de la Ville.

Les pistes de la rue Berri, du boulevard De Maisonneuve et de la rue de Brébeuf sont tellement populaires que des bouchons de circulation s'y forment aux heures de pointe du matin et du soir. Jusqu'à 8500 vélos roulent chaque jour (plus de 1 million par année) sur les voies cyclables De Maisonneuve et de Brébeuf.

Même en pleines vacances des mois de juillet et août, alors qu'une bonne partie des travailleurs a déserté le centre-ville, des files de 40 ou 50 vélos s'étirent sur plusieurs dizaines de mètres.

«Il y a parfois de la congestion sur les pistes cyclables, mais c'est plus agréable qu'en voiture ou en métro», dit Jean-Guy Gfeller, un mordu de cyclisme de 54 ans qui dit rouler plus de 150 kilomètres par semaine, été comme hiver.

Le vélo devient plus qu'un loisir et s'impose comme un moyen de transport à Montréal, constatent tous les habitués du milieu cycliste à qui nous avons parlé.

Avec les cônes orange qui poussent partout en ville, les déplacements sur deux roues prennent souvent moins de temps qu'en voiture, affirment les cyclistes. Sans oublier que le vélo est aussi bon pour le portefeuille que pour la santé.

S.O.S. pistes cyclables

Devant l'explosion sans précédent - et presque inespérée - du nombre de vélos, la Ville doit accélérer l'aménagement de pistes cyclables, fait valoir Suzanne Lareau, directrice de Vélo Québec. «Il est clair que les infrastructures ne répondent pas à la demande», dit-elle.

Le plan de transport de Montréal prévoit doubler le réseau cyclable, de 400 à 800 kilomètres, d'ici à 2015. L'administration Tremblay admet que l'objectif sera difficile à atteindre. On sera à près de 600 kilomètres à la fin de l'année 2012. La Ville crée une trentaine de kilomètres de voies cyclables par année, au coût de 10 millions.

La Ville et les groupes de pression comme Vélo Québec s'entendent sur un point: il faut aménager les «chaînons manquants», de courts liens entre pistes cyclables qui rendent la circulation plus facile - et plus sûre.

«On vise les secteurs qui ont l'impact le plus important sur la circulation. Ça se calcule parfois en nombre de mètres et non en kilomètres», explique Serge Lefebvre, chef de la division des transports actifs et collectifs à la Ville de Montréal.

Les marteaux-piqueurs et camions de voirie travaillent ainsi sur un lien entre les quartiers Rosemont et Plateau Mont-Royal, dans la rue Masson à la hauteur d'Iberville. La piste cyclable du boulevard De Maisonneuve sera aussi prolongée entre la rue Berri et le pont Jacques-Cartier, pour relier le centre-ville et la Rive-Sud.

Frictions

En attendant, l'engorgement des pistes cyclables peut décourager certains cyclistes, croit Suzanne Lareau, de Vélo Québec. «Il y a tellement de circulation dans les voies cyclables que je préfère souvent rouler dans les rues», dit-elle.

L'abondance de vélos dans les rues étroites du Plateau Mont-Royal commence à créer des frictions entre cyclistes, automobilistes et piétons, affirme un policier de l'arrondissement. «On voit pas mal d'engueulades entre cyclistes et automobilistes», dit le patrouilleur, qui a demandé à ne pas être nommé.

La majorité des automobilistes et des cyclistes cohabitent sans trop de problèmes, selon ce policier. Mais il suffit qu'un cycliste «oublie» d'arrêter à un stop ou roule à contresens, ou encore qu'une voiture frôle un vélo - ou s'engage dans une rue en bloquant une piste cyclable - pour faire jaillir les insultes.

Pour joindre notre journaliste: mfortier@lapresse.ca

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EN CHIFFRES

Engouement pour le vélo à Montréal

L'engouement pour le vélo commence à peine: plus de 18% des déplacements en voiture dans l'île de Montréal pourraient se faire sur deux roues, conclut une étude de l'École polytechnique.

Les chercheurs ont déterminé la probabilité d'usage du vélo en fonction de la météo, des distances à parcourir, de l'âge des Montréalais et des habitudes de vie des femmes et des hommes, notamment. Ils concluent que 18,2% des 1,9 million de déplacements en voiture, chaque jour à Montréal, ont le potentiel de se faire à vélo. Cela représente 356 000 déplacements sur deux roues.

Hausse de la fréquentation des pistes cyclables

24% de 2008 à 2009

14% de 2009 à 2010

20% de 2010 à 2011

Source: Ville de Montréal

Proportion des déplacements à vélo vers le travail

27% Amsterdam

18% Copenhague

11% Stockholm

2,2% Montréal (en 2010)

Sources: Vélo Québec et École polytechnique