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Laurence Anyways de Xavier Dolan sort en France (ENTREVUE)

Laurence Anyways de Xavier Dolan sort en France (ENTREVUE)
Reuters

CINÉMA - À l’occasion de la sortie en France le 18 juillet de Laurence Anyways, Xavier Dolan a accepté de répondre aux questions du HuffPost par e-mail.

Vous portez un regard très conciliant aussi bien sur Laurence que sur Fred qui n'arrive pas à accepter l'inversion des genres. Votre regard semble plus dur sur ceux qui jugent la transformation de l'extérieur.

Oui. Sans vouloir les juger à mon tour, je considère que les gens qui jugent les êtres différents sont des exterminateurs de qualité et de santé au sein d’une société. La différence et la norme ont besoin l’une de l’autre, une civilisation dynamique et saine en a besoin, que ça lui plaise ou non. La différence fait peur aux gens qui l’envient secrètement, ou craignent qu’elle les contamine. L’ostraciser est alors plus simple que de la côtoyer. Mais les gens différents sont souvent les penseurs, les bâtisseurs, les sensibles, ceux qui solidifient l’édifice de la société en y engageant leurs idées, leur art, leur vision. Sans eux, nous sommes morts.

Le spectateur suit plus volontiers l'histoire d'amour entre Fred et Laurence que la transformation de ce dernier. Finalement, vous ne cherchez pas à expliquer pourquoi ce besoin de devenir une femme.

Non. Il est le fil conducteur du récit, mais jamais son histoire première. Il est si naturel, si évident aux yeux de Laurence qu’elle est une femme que j’ai voulu accepter sans explications, sans détours, sans "exposition" cette réalité moi aussi.

Pourquoi placer l'histoire dans les années 80-90? Pour montrer que les choses n'ont pas évoluées?

Oui.

Vous avez dit que Laurence Anyways était votre film le plus abouti. Pourquoi?

Parce que c’est le plus émouvant, pour moi. Celui dont j’apprécie le plus le rythme, la production, les costumes, le jeu. Celui que je trouve le plus harmonieux; l’émotion et le style je pense s’y accordent avec équilibre et j’en suis fier. Enfin, c’est celui que j’aime vraiment, pour la première fois. J’ai été surpris d’être fier de mon film.

N'est-ce pas un peu tôt pour affirmer que ce film servira de point de comparaison avec les autres à venir?

C’est instinctif, quand je dis ça. Je lis énormément de critiques depuis l’âge d’environ 15 ans. C’est la lecture la plus présente dans ma vie. J’ai beaucoup de plaisir à explorer l’univers des critiques de cinéma, essayer de décortiquer leur démarche, identifier leurs goûts intimes, les tendances qu’ils approuvent, les genres qu’ils décrient. Je constate, mais peut-être que je me fourvoie, qu’un cinéaste est presque indubitablement victime de comparaisons avec les œuvres-clé de sa filmographie, à partir desquelles on décriera que tout autre œuvre est une variation réussie ou moins réussie, ou, si le critique est bon prince "différente de…".

Je lis très rarement des critiques qui évaluent un film en le dénudant de tout précédant, de tout historique. C’est appréciable quand cela se produit. Je parle bien sûr au nom de cinéastes dont j’aime les films, et desquels les critiques m’intéressent, n’ayant moi-même pas fait assez de films pour faire par empirisme de telles observations. Je constate aussi dans certains cas que l’art critique s’amenuise souvent à travers la manie de la référence, voire sa nécessité, qui ne devrait jamais être le seul instrument de l’outillage analytique.

Je suis extrêmement intimidé, pour ne pas dire traumatisé, par l’inéluctable association de mon travail à mille cinéastes que ma jeune vie m’empêche de connaître, ou que partiellement. Quand je tourne, et que j’ai une idée, je me dis aussitôt: "Merde, qui me dira-t-on que je copie cette fois?" Il est inexorable de "copier", volontairement ou involontairement les artistes que l’on côtoie ou à qui l’on emboîte le pas. Les idées voyagent de façon simultanée et tout a été fait, et est désormais refait autrement. Et je ne peux m’empêcher de penser que si je n’avais pas 23 ans, je ne serais pas victime de ces associations, et qu’on ne m’imposerait pas si souvent ce titre d’épigone.

Enfin est-il impossible d’avoir ne serait-ce qu’un peu d’imagination? Ou faut-il forcément que chaque scène d’un film soit un hommage à un autre artiste que l’on ne vaut pas? Je vois dans ces associations un réconfort et une opportunité d’afficher avec ostentation sa culture davantage que de tenter de comprendre ou de s’intéresser au film qu’on regarde. Mais le pire n’est pas qu’un critique parle de citations qu’il a perçues, ce qui est a priori commun. C’est qu’il me les impose et tienne pour acquis qu’il devine qui je suis, et ce que j’ai dans ma tête. Ça me TUE.

Suzanne Clément d'un second à un premier rôle, pourquoi?

Parce que c’est une grande actrice.

La différence vous obsède?

Toutes les différences. Et il faut les apprivoiser toutes. Souvent, je réalise que je suis intolérant, encore trop, face à des différences jumelles à celles pour lesquelles je me bats.

A travers vos films, vous pointez des tabous de la société. C'est important pour vous? Le cinéma sert avant tout à ça?

Le cinéma sert avant tout à s’exprimer, j’ai bien l’impression, et à exprimer ses sentiments, ses goûts, mais en ce qui me concerne, à exprimer tout autant ses griefs envers la société, envers ses parents, envers soi-même, et à dire la colère et la violence que l’on cache.

J'ai tué ma mère est sorti en France en 2009, Les amours imaginaires en 2010 et Laurence Anyways en 2012. Vous n'arrivez plus à vous arrêter?

Non. Le plateau de tournage est une drogue dure. Quand je ne tourne pas, je tourne en rond, comme aurait dit Falardeau, un cinéaste québécois.

De votre âge, on souligne votre talent mais aussi votre orgueil (notamment parce que vous avez dit être déçu de ne pas été en Compétition officielle à Cannes). Dans ce cas, être jeune est-ce un atout ou un handicap?

Un handicap, de toute évidence.

En tant que spectateur, qu'avez vous pensé du palmarès du 65e Festival de Cannes?

Il est symbolique et assez puriste. Là où la sélection proposait une pluralité des genres, le palmarès en défend un, discarte les autres, souvent. Je pense que l’absence du cinéma américain ne peut être interprétée de bien des façons. Ce n’est pas un palmarès très drôle, et il implique peut-être l’exclusivisme - mais cela ne dure jamais qu’un an, non ? - d’un cinéma très sérieux, comminatoire, et élitiste. Est-ce positif ou négatif ? Je ne sais pas. Je suis déçu que Nicole Kidman n’ait pas gagné; je la trouve formidable dans Paperboy, un film dont je respecte la liberté et la folie, bien que je n’en comprenne pas tous les choix, et dont j’admire la direction d’acteurs, qui est magistrale. Wow!

Vous nous parlez de quoi dans votre prochain film?

Je vous parle de sadomasochisme, de violence extrême, de prise d’otages, d’otages éventuellement consentants, je vous parle de campagne, de grands champs de blés où les cris se mêlent aux croassements des corneilles, je vous parle de la mort, du deuil, du pouvoir sexuel qui l’emporte sur tout. Je vous parle, encore et toujours, d’amour!

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