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Dossier austérité: les personnes handicapées au Royaume-Uni

Les personnes handicapées au Royaume-Uni
Lisa Egan

Alors qu'en France les députés commencent l'examen de la loi de finance rectificative et alors que l'on ne sait toujours pas si il faut parler d'austérité, de rigueur ou d'"effort juste", ce reportage est le premier épisode d'une série des éditions internationales du Huffington Post sur les gens qui vivent au quotidien les mesures d'économie en temps de crise.

LONDRES - "Mon plus grand problème, c'est la peur", affirme Lisa Egan. Depuis sa naissance, cette femme de 33 ans souffre d'ostéogenèse imparfaite, une maladie génétique rare aussi appelée "maladie des os de verre". En trois décennies, elle a subi plus de 60 fractures, dont cinq au cours de la seule année 2011.

"Je me suis déjà cassé une vertèbre en dormant dans une position inhabituelle", affirme-t-elle. Cette maladie cause une usure si prononcée de son ossature que ses médecins lui ont recommandé de se déplacer en fauteuil roulant. "Je peux marcher lentement et sur des courtes distances", précise Lisa Egan, qui habite le district londonien de Camden. "Mais des problèmes imprévisibles surviennent quand même. Je peux par exemple me disloquer un genou, ou encore subir une déchirure du tendon métatarsien qui va déplacer une partie de l'os. Bref, je préfère utiliser la chaise roulante."

Plus de 100 milliards d'économie sur 5 ans

Malgré son handicap, Lisa Egan n'aime pas être considérée comme une "personne vulnérable". Intelligente et articulée, elle a écrit de nombreux articles au sujet des maladies rares. Elle aime commenter la politique et a même tenté sa chance comme humoriste. Lisa Egan est l'une des quelque 500 000 personnes qui vivent de prestations d'aide sociale au Royaume-Uni. Les mesures d'austérité qui frappent maintenant ce pays lui font craindre de ne plus pouvoir vivre de manière autonome, et même de mourir faute de soins.

La crise économique mondiale a été le thème prédominant de l'élection générale de 2010. Le nouveau gouvernement de coalition de centre droit, dirigé par le Parti conservateur, a prévu de réduire les dépenses publiques d'environ 80 milliards de livres sterling sur cinq ans.

Victimes ou "parasites"?

Plusieurs experts considèrent ces mesures comme étant les plus sévères en Occident. L'Institute of Fiscal Studies les décrit comme "la contraction des dépenses publiques la plus longue et la plus prononcée depuis la Seconde Guerre mondiale".

Les coupures budgétaires ont touché tous les pans de l'État, incluant l'armée. Mais les bénéficiaires de l'aide sociale en sont les principales victimes. En effet, leur budget a été amputé de 18 milliards de livres en 2010, et une somme additionnelle de 11 milliards de livres sera retranchée chaque année jusqu'en 2014.

Les Conservateurs ont longtemps dénoncé la "culture du moindre effort". Dès qu'ils ont pris le pouvoir, ils ont commencé à sévir contre les personnes perçues à tort ou à raison comme des"parasites" du système.

"Crédit universel"

Le premier ministre David Cameron a précisé sa pensée dans un billet de blog publié récemment sur le Huffington Post :"Nous voulons que les bénéficiaires de l'aide sociale occupent un emploi et mettent un terme à leur situation de pauvreté et de dépendance. Notre réforme vise aussi à donner un répit aux contribuables en économisant des milliards de livres. Les gens qui ont vraiment besoin d'aide recevront tous les services requis."

Le Welfare Reform Act, adopté par le Parlement britannique au début de 2012, a donc remplacé une série de programmes par un "crédit universel" dont le plafond a été fixé à 26 000 livres par personne et par année.

Ce nouveau système place des gens comme Lisa Egan dans une situation précaire. Lisa Egan reçoit actuellement une allocation d'invalidité de 95 livres par semaine. Elle utilise cette somme pour se déplacer en voiture, mais la perte de ce revenu l'obligera à vendre son véhicule.

"Ma voiture, c'est ma vie !"

"Si je perds ma voiture, c'est fini !", s'exclame-t-elle. "Je serai confinée à la maison, et je ne pourrai plus sortir faire des courses. Si je dois me déplacer en chaise roulante par la force de mes bras, comment voulez-vous que je porte des sacs en plus ? Et que dire de ma vie sociale ? Comment vais-je faire pour visiter mon père vieillissant ? Je n'ai pas la force de traîner des valises jusqu'à la gare, et le taxi coûte très cher. Ma voiture, c'est ma vie !".

Le gouvernement révise actuellement la somme que reçoit chaque bénéficiaire d'allocations d'invalidité. Au cours de ce processus, qui se poursuivra jusqu'à la fin de 2013, les individus doivent passer une série de tests d'aptitude en matière de préparation des repas, de communication et même d'hygiène personnelle.

Lisa Egan n'a pas encore été convoquée à son évaluation, mais la perspective de perdre l'allocation qui lui donne un grand degré d'autonomie est une véritable épée de Damoclès. "Ils évaluent tous les prestataires et jugent qu'un tiers d'entre aux sont aptes au travail, même s'ils souffrent de dépression grave et de troubles suicidaires", ajoute-t-elle.

37% ou 0,5% ?

Les statistiques confirment les dires de Lisa Egan. Après une première série d'examens effectuée au mois de mars, le Département du Travail et des Retraites a jugé que 37 pour cent des 141 000 bénéficiaires de l'allocation d'invalidité sont aptes au travail. Pourtant, une estimation officielle publiée en 2011 démontre qu'à peine 0,5 pour cent du coût de ce programme est attribuable à la fraude ou aux erreurs administratives. Voilà qui contredit l'affirmation - très en vogue chez certains politiciens - que les "tricheurs" doivent être éliminés pour générer des économies.

Au Royaume-Uni, les soins infirmiers à domicile et autres soins spécialisés sont prodigués en vertu d'un programme distinct. Administré par les municipalités et non par le gouvernement central, ce programme était subdivisé en trois parties : soins modérés, soins intermédiaires et soins essentiels. Lisa Egan pouvait se compter chanceuse, puisque le district de Camden prodiguait les soins intermédiaires, ce qui n'était pas le cas de toutes les municipalités. Mais cette catégorie n'a pas survécu au plan d'austérité.

Perte simultanée

"Les gens ont vraiment besoin de ces soins", affirme Sue Marsh, 38 ans, atteinte d'une forme aiguë de la maladie de Crohn."Ils ont une peur bleue de les perdre."

"Les personnes atteintes de la maladie de Crohn ou de la maladie de Parkinson, par exemple, ont une condition physique instable. En cas de réapparition de leurs symptômes, ils étaient admissibles à une aide soutenue jusqu'à leur rémission. Malheureusement, cette époque est révolue." "La perte simultanée des allocations d'invalidité et des soins spécialisés est une véritable catastrophe", ajoute-t-elle.

Ivan, le fils de Cameron, souffrait de paralysie cérébrale

L'appui de David Cameron à ces mesures d'austérité draconiennes a surpris bon nombre de Britanniques. En effet, le premier ministre a vécu une expérience de premier plan en matière de handicap. Son fils Ivan, décédé en 2009 à l'âge de six ans, souffrait de paralysie cérébrale et d'épilepsie sévère.

"Ça m'a fait réfléchir", avoue Sue Marsh. "David Cameron a eu un enfant atteint de problèmes aigus. Il doit penser que tout adulte moins gravement atteint est parfaitement capable de prendre le taureau par les cornes et se trouver un emploi."

Lors d'une récente séance parlementaire, David Cameron a expliqué qu'il avait dû remplir lui-même un formulaire d'invalidité en raison de la paralysie de son fils. Cette mise en contexte, prononcée à la Chambre des communes, n'a pas empêché les réformes de suivre leur cours.

"J'ai vraiment la trouille"

Pour certains bénéficiaires, la crainte de perdre leur allocation d'invalidité est insoutenable. Au mois de février, un dénommé Craig Monk - qui avait perdu une jambe dans un accident quelques années plus tôt - s'est pendu à son domicile du Lancashire. Lors de l'enquête policière, un voisin a révélé que Craig Monk était rongé par des soucis d'ordre financier.

Le mois dernier, Karen Sherlock, une femme atteinte de plusieurs maladies débilitantes - dont la neuropathie diabétique, la gastroparésie, la rétinopathie diabétique, la haute pression et l'insuffisance rénale chronique - est morte d'une crise cardiaque juste après avoir perdu une partie de son allocation.

Dans son dernier billet de blog, Karen Sherlock écrivait d'ailleurs à quel point elle était inquiète."Comment ont-ils pu avoir le culot de m'enlever le peu que j'avais ? Je suis une malade chronique. Même avec une greffe du rein, mon état ne s'améliorera pas. Je ne pourrai pas guérir par magie."

Lisa Egan comprend tout à fait cet état d'esprit. "S'ils me privent de mon allocation d'invalidité, je n'ose même pas imaginer à quoi ma vie ressemblera. J'ai vraiment la trouille."

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