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Tricentenaire de Jean-Jacques Rousseau: son héritage revendiqué à droite comme à gauche

Rousseau était-il de droite ou de gauche?
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Rousseau a -t-il toujours quelque chose à nous dire? A l'occasion du tricentenaire de sa naissance, nous avons demandé à une personne et à un mouvement, qui chacun revendiquent l'héritage du philosophe et citoyen de Genève, de commenter quelques citations incontournables. L'un étant plutôt classé à droite - il est un membre de l'UMP - et l'autre plutôt à gauche - on les a appelés les "apprentis révolutionnaires", un point commun avec le sage des Lumières.

Si pour Bernard Accoyer, président sortant de l'Assemblée nationale et député de Haute-Savoie, "la pensée de Rousseau est tournée vers la liberté et la démocratie", une lecture "trop littérale" du philosophe nous conduirait au "collectivisme". Tandis que pour les Indignés français, Rousseau est "totalement pertinent pour critiquer le capitalisme actuel".

Où l'on voit que Jean-Jacques Rousseau a ses adeptes à gauche comme à droite.

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CRITIQUE DE LA PROPRIÉTÉ

"Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne". Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.

Bernard Accoyer : "Comme tous les philosophes, Rousseau ne doit pas être pris au pied de la lettre : il nourrit et stimule notre réflexion, alors que la simple récitation de ses formules nous dispenserait de penser. Ainsi, une lecture trop littérale de ce passage classique nous conduirait au collectivisme. Ce serait oublier que la pensée de Rousseau est aussi tournée vers la liberté et la démocratie. Or, l'expérience l'a montré, la propriété individuelle est une garantie de la liberté, celle-ci disparaît quand les individus sont redevables de tout à l'Etat. Ce que Rousseau condamne, c'est l'égoïsme et tout particulièrement la situation dans laquelle la propriété privée va jusqu'à porter atteinte à l'intérêt général. Aujourd'hui, notre droit reconnaît la propriété, mais pas comme un principe absolu : elle peut être limitée ou abolie quand l'intérêt général le commande, ce qui est une conception très rousseauiste du contrat social"

Les Indignés : "Utiliser n'est pas posséder. La terre n'est à personne", critique Isa, membre des Indignés, pour laquelle il reste "à discuter et à s'entendre sur comment l'occuper et conserver un "espace", "des choses" propres à soi". "La propriété, droit individuel inaliénable dans une société libre, doit être strictement limité par l'intérêt collectif et le bien public. Cela d'un point de vue légal mais aussi moral", constate quand à lui Nico, un autre membre.

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CRITIQUE MORALE DE LA RICHESSE

"Je voudrais, dites-vous, être riche pour faire bon usage de mes richesses, et si je désire d'avoir du bien ce n'est que pour avoir le plaisir d'en faire et de secourir les malheureux. Comme si le premier bien n'était pas de ne point faire de mal. Comment est-il possible de s'enrichir sans contribuer à appauvrir autrui, et que dirait-on d'un homme charitable qui commencerait par dépouiller tous ses voisins pour avoir ensuite le plaisir de leur faire l'aumône. Vous qui raisonnez ainsi qui que vous puissiez être, je vous déclare que vous êtes une dupe ou un hypocrite : ou vous cherchez à tromper les autres ou votre cœur vous trompe vous-même en vous déguisant votre avarice sous l'apparence de l'humanité". Discours sur la richesse.

Bernard Accoyer : "Cette citation ne doit pas être détachée de son contexte : au temps de Rousseau, il n'existait pas de droits d'auteur, si bien que les écrivains comme lui dépendaient de la générosité plus ou moins intéressée de personnages fortunés qui devenaient leur protecteur. Ce qui était très humiliant pour un esprit indépendant comme Rousseau. Dans cette phrase en outre, il considère la richesse globale comme un montant de valeur fixe et figée : acquérir des biens signifie donc dépouiller les autres. Cette vision patrimoniale est celle d'une société encore agraire dans laquelle le taux de croissance demeure très faible: l'économie moderne est différente, car nous savons que le bon emploi des capitaux peut créer des activités nouvelles, de la richesse supplémentaire, ce qui bénéficie à l'ensemble de la collectivité".

Les Indignés : Pour Nicolas, l'un des membres du mouvement des Indignés en France, le texte de Rousseau est "totalement pertinent pour critiquer le capitalisme actuel qui s'enrichit, appauvrit et exploite". Le texte de Rousseau est toujours actuel, et en accord avec la "question au centre de l'actuelle crise du capitalisme" qui est de "fixer une limite politique, voire économique, à la concentration des richesses et/ou au pouvoir décisionnel qui en découle".

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LE CITOYEN SOLDAT

"L'État ne doit pas rester sans défenseurs, je le sais ; mais ses vrais défenseurs sont ses membres. Tout citoyen doit être soldat par devoir". Considérations sur le gouvernement de Pologne

Bernard Accoyer : "Sur ce point, Rousseau a été entendu. Les armées de la République ont vaincu à Valmy au cri de : "Vive la Nation". Puis la conscription s'est imposée pour deux siècles. Il est vrai que Rousseau écrivait en un temps où les batailles se gagnaient par des chocs d'infanterie et de cavalerie. Nos guerres modernes, de plus en plus technologiques, avec l'emploi d'importants moyens aériens et d'une forte capacité de projection, nous ont amenés à abandonner la conscription. Nous n'en sommes pas pour autant revenus aux armées de mercenaires des anciennes monarchies : nos soldats professionnels sont aussi des citoyens français qui défendent leur pays et ses valeurs démocratiques. Le vrai message de Rousseau, c'est l'appel au civisme : celui-ci existe dans le métier des armes comme dans la vie sociale et politique de la Nation".

Les Indignés : Dans leur ensemble, les membres du mouvement que nous avons sondés ne se reconnaissent pas dans cette citation. "Je préfère l'idée d'un citoyen actif, informé, militant, averti, critique", que celle d'un citoyen-soldat, commente Nicolas, tandis qu'Isabelle réfute l'idée d'un "citoyen soldat par devoir".

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RELIGION CIVILE

"Les dogmes de la religion civile doivent être simples, en petit nombre, énoncés avec précision, sans explications ni commentaires. L'existence de la Divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois : voilà les dogmes positifs". Contrat social, IV, 8.

Bernard Accoyer : "Rousseau se distingue des autres philosophes des Lumières, comme Voltaire ou Diderot, en considérant qu'une certaine religiosité a sa place dans la République. Bien sûr, les essais de religion civile artificiellement créée par la puissance publique ont échoué pendant la Révolution. Mais l'athéisme d'Etat, lui aussi, a échoué. La formule de laïcité qu'ont mise au point les Français garantit donc un bon équilibre : liberté de conscience et libre exercice des cultes, mais neutralité des religions dans la sphère publique. De ce point de vue, la loi française a fini par rejoindre la Profession de foi du vicaire savoyard, qui n'institue pas une nouvelle religion, mais indique comment pratiquer toute religion de manière éclairée et ouverte".

Les Indignés : L'idée d'une "religion civile" n'est pas tellement pour plaire aux Indignés, qui se demandent si, "plus d'un siècle après 1905 (loi sur la laïcité, ndlr), Cette idée pourrait nous être "d'aucun secours". "Il n'est pas nécessaire que qui que ce soit cherche à fixer ou stabiliser des dogmes pour d'autres", estime Isabelle. "Chacun cherche, croit, ne croit pas ce qu'il veut mais s'impose de ne pas imposer ses conceptions et pratiques à d'autres", ajoute-t-elle.

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