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Le don de sperme ou la quête impossible des origines - TÉMOIGNAGES

Le don de sperme ou la quête impossible des origines
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Naître, puis grandir dans sa famille, traverser l'adolescence avec son lot de questions, devenir adulte, se forger une identité, des repères... puis apprendre, parfois 10, 20 ou 30 ans plus tard que son père ou sa mère n'est pas son parent biologique. Que le scénario que l'on s'est parfois construit -"si je suis comme cela, c'est parce que j'ai hérité de mon père" est faux. Qu'une partie de la vie vécue repose sur une sorte de mensonge. C'est la douloureuse expérience que connaissent certains enfants nés du don de sperme, ou d'ovocyte. Le Huffington Post a recueilli les témoignages de deux d'entre eux: Clément et Victoire, 23 et 30 ans. Il faut toutefois rappeler que le fonctionnement du système de don du sperme repose sur la confiance que peuvent avoir certains donneurs dans le fait que leur anonymat sera bien respecté.

Le contexte : la justice a refusé à une femme née d'un don de sperme l'accès à ses origines

Agathe, une jeune femme de 32 ans, souhaitait recueillir des informations non identifiantes sur son père biologique (antécédents médicaux, raisons du don, nombre d'enfants nés de l'échantillon...) mais aussi savoir si son frère, né également d'un don de sperme, l'était du même donneur. Elle demandait en outre que son père biologique soit contacté, afin de savoir s'il souhaitait se faire connaître. Mais la justice l'a déboutée ce jeudi 14 juin, estimant que les informations contenues dans le dossier d'un donneur de gamètes lors d'une insémination artificielle, constituaient un secret protégé par la loi française. Ce jugement était très attendu en raison du caractère inédit de la démarche, une première en France pour une naissance par insémination artificielle avec donneur (IAD). Actuellement, il existe en France 70.000 personnes nées sous anonymat d'un don de sperme.

Les témoignages:

CLEMENT, 23 ANS

Clément "cherche toujours"

"Cela a été un véritable choc", explique Clément. Cette annonce, le jeune homme l'a reçue à l'âge de 12 ans, de la bouche de son père. "Je lui ai sauté dans les bras", raconte-t-il. "Cela m'a d'abord rassuré parce que je trouvais que je ne lui ressemblais pas. Je savais qu'il y avait un problème, car mes parents m'avaient expliqué qu'ils avaient eu des difficultés à m'avoir. Je pensais que j'avais été adopté. Donc d'une certaine manière cela m'a rassuré".

"Quand ils m'ont révélé cela, j'ai voulu savoir qui était le père. J'étais dans une démarche d'information, parce que mes parents n'avaient pas toutes les réponses à mes questions. Je suis allé voir le gynécologue de ma mère, puis à l'âge de 16 ans, je me suis rendu dans le Cecos (Centre d'Étude et de Conservation des Œufs et du Sperme humain, ndlr) où j'avais été conçu. Ma mère pensait qu'il n'y aurait pas de problème pour que je puisse avoir accès à certaines informations mais le médecin nous a tout de suite dit que cela ne serait pas possible. J'étais adolescent, je m'engueulais alors pas mal avec mes parents, comme un adolescent, et le médecin m'a dit que je faisais une crise d'adolescence. Que plus tard je ne chercherais plus à savoir. Mais je cherche toujours. Je suis revenu le voir quand j'avais 22 ans, mais il n'a pas voulu m'aider, c'est un vrai salaud".

"J'ai l'impression qu'on se fiche de nous"

Aujourd'hui Clément fait des études de droit, comme une réponse à ce qu'il estime être une "injustice". Il est convaincu que la loi "changera". "Il commence à y avoir une pression, l'opinion publique est de plus en plus informée", raconte-t-il. Il explique ne pas vouloir savoir qui est le donneur, ni "chercher un père" - "J'en ai déjà un. Et un père, ça suffit!" dit -il en riant."Mon père, ce n'est pas celui qui s'est masturbé une fois, c'est celui qui s'est levé tous les matins", ajoute-t-il encore.

Il souhaite simplement avoir accès à quelques informations qu'il estime importantes, comme le nombre d'inséminations auxquelles le donneur a participé, ou ses antécédents médicaux, parce que cela peut avoir "des conséquences sur sa vie", explique-t-il, comme si le donneur avait du diabète, ou s'il venait à rencontrer une femme conçu par ce donneur, les risques de consaguinuité. "Je demande l'accès à des données non-identifiantes" (la loi permet théoriquement d'avoir accès à un certain nombre de données si celles-ci ne permettent pas ensuite de retrouver la trace du donneur, ndlr). Ces informations ne changent rien à la vie du donneur! Mais pour nous cela change beaucoup". Comme d'autres enfants nés sous anonymat, Clément raconte son sentiment de frustration, et l'impression d'être négligé par la loi. "J'ai l'impression qu'on se fiche de nous, et qu'on nous laisse dans une attente perverse", raconte-t-il.

VICTOIRE, 29 ANS

"Une amputation"

"J'ai appris que j'étais née d'un don de sperme anonyme à l'âge de 18 ans. C'est mon père qui me l'a annoncé. Pour mes soeurs et moi, cela a été très difficile, on s'est toutes mises à pleurer. Je l'ai vraiment vécu comme une amputation. D'un coup, toute mon histoire a été remise en question. Mes petites soeurs se sont remises plus vites. Elles n'ont pas souffert comme moi ensuite. Je me suis sentie d'autant plus seule. Pendant une semaine, je n'ai pas pu me regarder dans une glace. "Qui suis-je?", me demandais-je sans cesse. Cela a pris une grande place dans ma vie"

"J'en ai besoin pour avancer"

Ce qui dérange Victoire, c'est surtout "le fait de savoir que certaines personnes sont en possession d'informations" qui la concernent et auxquelles elle n'a "pas accès". "J'en ai besoin pour avancer", explique-t-elle. "Mes parents ont signé un contrat avec le médecin, mais moi? J'ai l'impression d'être snobbée, qu'on est laissé au bord de la route. Le droit à l'enfant est très développé en France, mais le droit de l'enfant, on s'en fiche. J'aimerais que nous soyons entendus. Cela me permettrait de tourner une page".

"Donner son sperme implique une responsabilité"

Le point de vue d'Emmanuel Hirsch, professeur d'éthique médicale:

"En révélant l'identité du donneur, le législateur a estimé qu'on risquerait d'avoir une baisse du don de sperme (la loi de bioéthique de 1994, révisée en 2001, ndlr). Il a pris cette position, qui est un compromis.

Ma position personnelle n'est pas celle du législateur, car elle pose beaucoup de problèmes.D'une part, certains pays ont levé l'anonymat des donneurs, et cela n'a pas entraîné de baisse du nombre de donneurs. D'autre part, il faut mesurer les effets de l'anonymat. On peut vouloir des enfants, mais quelles conséquences cela a-t-il pour eux? Aujourd'hui, nous nous comportons comme s'il s'agissait d'un acte anodin, pour nous défaire de nos responsabilités. La campagne de l'Agence de biomédecine est éloquente à cet égard, elle est infantilisante.

Il n'est pas possible de dire que la question ne se pose pas. Donner la vie à travers ses gamètes est un geste qui contient une dimension de responsabilité. C'est un acte qui engage. On ne donne pas indéifféremment des gamètes comme on donne du sang ou même un organe. Car les gamètes ont une histoire."

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