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Jacques Duchesneau a lui-même coulé son rapport à Radio-Canada

Duchesneau lève le voile
PC, Paul Chiasson

L'ex-patron de l'Unité anticollusion (UAC), Jacques Duchesneau, a admis jeudi à la commission d'enquête sur l'industrie de la construction qu'il a lui-même coulé son rapport final à la journaliste Marie-Maude Denis de Radio-Canada à l'automne 2011.

M. Duchesneau a expliqué que le ministre des Transports Sam Hamad ne l'écoutait pas lorsqu'il a lui présenté son rapport final le 1er septembre 2011, et qu'il avait acquis la conviction que son rapport allait finir sur une tablette, ce qu'il voulait éviter à tout prix.

Sam Hamad, a dit Jacques Duchesneau, ne « voulait pas voir le rapport » qu'il était venu lui présenter. Selon lui, le ministre a même « reculé » lorsqu'il a voulu lui en remettre une copie. Il ne « voulait même pas mettre ses empreintes digitales dessus ».

« Je n'ai pas été impressionné par la réception du ministre, je n'ai pas senti que ça l'intéressait », avait précédemment expliqué Jacques Duchesneau. « J'ai tenté de faire une présentation [...] mais je n'étais pas la saveur du jour », a-t-il laissé tomber. « J'ai été obligé d'aller un peu plus vite que prévu ».

Plus de détails à venir.

Sur la préparation du rapport

Auparavant, M. Duchesneau avait expliqué à la commission d'enquête sur l'industrie de la construction comment a été préparé le rapport qui a été révélé par Radio-Canada à l'automne 2011.

Me Claude Chartrand, qui mène l'interrogatoire, cherche à faire ressortir que le rapport de l'Unité anticollusion a été préparé en étroite collaboration avec des responsables politiques et des spécialistes du ministère des Transports du Québec.

L'interrogatoire est passé rapidement sur la période de trois mois pendant laquelle M. Duchesneau s'est retiré de l'UAC, en raison d'allégations d'irrégularités dans le cadre de sa campagne à la mairie de Montréal dans les années 90.

L'ex-patron de l'UAC a expliqué qu'il avait proposé de démissionner en novembre 2010, après que le ministre Sam Hamad eut considéré la possibilité de le suspendre en raison de ces allégations, diffusées par TVA et le Journal de Montréal.

M. Duchesneau a finalement repris ses fonctions en février 2011, après avoir été blanchi par le Directeur général des élections. Les travaux de l'UAC avaient bien progressé pendant les trois mois de son absence.

L'UAC s'attelait à cette époque à faire des diagrammes de relations afin de comprendre les ramifications des principaux joueurs dans l'industrie de la construction. On se rendait compte, a-t-il dit, qu'une compagnie pouvait en posséder 70 autres.

M. Duchesneau dit que son équipe a mis au jour une centaine de stratagèmes utilisés par les principaux joueurs de l'industrie, qu'il a qualifiés d'« oligarques ». Ce sont ces « oligarques », peu nombreux, qui peuvent déterminer qui obtient ou n'obtient pas un contrat, a-t-il expliqué.

L'ex-patron de l'UAC s'est aussi attardé au manque d'imputabilité des firmes de génie-conseil qui, dit-il, commettaient des erreurs grossières dans leurs plans et devis, erreurs dont profitaient ensuite des entreprises avec lesquelles elles étaient de mèche.

Le témoignage de l'ex-patron de l'UAC se terminera exceptionnellement à 12 h 30, l'avocat du témoin ne pouvant être présent en après-midi. Le témoignage se poursuivra lundi.

Des débuts laborieux pour l'UAC

M. Duchesneau a expliqué mardi qu'il a failli démissionner au début du mois de mars 2010, deux semaines après que sa nomination eut été annoncée, après que le sous-ministre aux Transports, Michel Boivin, eut insisté pour qu'il signe un affidavit en 11 points, qui serait annexé à son contrat, qui n'avait toujours pas été signé.

M. Duchesneau dit avoir été insulté par cet affidavit.

On pouvait notamment y lire la déclaration suivante « je n'ai jamais entretenu et n'entretiens pas de rapports ou relations, directement ou indirectement, avec des personnes associées à ce qu'il est convenu d'appeler le crime organisé ou plus simplement des personnes reconnues comme étant des criminels ».

« Celui-là m'a jeté par terre », a déclaré M. Duchesneau. « Quand j'ai vu ça, j'ai dit : "Oui, j'ai beaucoup d'amis dans le crime organisé. En fait, quand j'ai créé Carcajou, j'avais tellement d'amis dans le crime organisé qu'ils ont voulu me tuer." Je n'ai pas apprécié particulièrement. »

On lui demandait en outre d'affirmer solennellement qu'il n'avait jamais transgressé les lois sur le financement des partis politiques municipaux lors de sa campagne à la mairie de Montréal, et que ses dettes électorales n'avaient pas été remboursées par des entreprises de construction ou leurs sous-traitants.

« À un moment donné, le sous-ministre a dit: "Écoute Jacques, si tu ne signes pas l'affidavit, il n'y a pas de contrat". Alors je me suis levé, je m'en suis allé. Il m'a dit: "Reviens, on va se parler". Finalement, l'entente qu'on a eue, c'est : "je signerai l'affidavit quand tous les membres du gouvernement signeront le même affidavit. Ça va me faire plaisir". Ça n'a pas été retenu. ».

« Comme compromis, j'ai expliqué que je prêterais le même serment que signent tous les membres du Cabinet, du Conseil des ministres. À ce moment-là, l'idée de l'affidavit est disparue », a poursuivi M. Duchesneau. L'affaire s'est finalement réglée, et il a signé son contrat le 19 mars 2010.

« L'affidavit n'était pas l'oeuvre de M. Boivin », a tenu à préciser M. Duchesneau. « C'est apparemment le bureau du secrétaire général de la province ou au niveau politique, je ne sais pas de qui ça venait, mais c'était d'une instance supérieure qui voulait que je signe cet affidavit. M. Boivin n'était que l'intermédiaire. »

« Je pense que l'annonce de la création de l'Unité anticollusion et l'annonce que j'étais pour en prendre la direction ont surpris plusieurs personnes, parce que ça avait été fait au niveau du premier ministre, du vice-premier ministre et de la ministre Boulet. [...] Quand ça a été annoncé, je pense qu'il y a des gens qui n'ont pas apprécié », a-t-il conclu.

Deux mois sans moyens ni pouvoirs pour l'UAC

Les choses ne se sont cependant guère améliorées dans les semaines qui ont suivi, de sorte que M. Duchesneau a proposé une fois de plus de tout abandonner lors d'une rencontre tenue le 25 mai 2010 avec le sous-ministre Boivin.

L'UAC n'avait alors aucun moyen, aucun pouvoir et manquait cruellement de ressources. « On était des citoyens qui allaient poser des questions aux gens », dit M. Duchesneau. « J'étais dans un carcan. »

Pour se rendre sur des chantiers de construction, les enquêteurs utilisaient leurs propres véhicules, ce qui permettait à quiconque de noter leur numéro d'immatriculation. Ils utilisaient en outre leur insigne de policier retraité, pour s'y faire admettre.

La situation s'est améliorée au terme de cette rencontre du 25 mai. « On a commencé à avoir un peu plus de pouvoirs », a expliqué M. Duchesneau.

Malgré cette amélioration, l'Unité anticollusion, aujourd'hui intégrée à l'Unité permanente anticorruption, n'aura jamais eu ses propres bureaux. L'unité, a-t-il révélé, « squattait » les bureaux du sous-ministre à Montréal.

L'UAC n'a jamais eu non plus de budget de fonctionnement. « C'est le sous-ministre qui gérait notre budget. Quand j'avais besoin de ressources, je m'adressais à lui », a-t-il dit.

M. Duchesneau a aussi révélé que tous les employés de l'UAC ont dû passer un test de polygraphe de 2 ou 3 heures avant d'être embauché. « On voulait s'assurer que personne n'ait de liens avec l'industrie de la construction », a-t-il dit. Quelques employés de soutien n'ont pas passé le test.

Un rapport qui a fait grand bruit

Jacques Duchesneau avait conclu dans le rapport divulgué par Radio-Canada que des ingénieurs de firmes de génie-conseil et des employés de Transports Québec fournissent des informations privilégiées à des entrepreneurs en construction.

Ces firmes peuvent ainsi remporter des contrats en présentant la meilleure soumission. Ils font ensuite gonfler la facture grâce à des suppléments, aussi appelés « extras ». La perte d'expertise à Transports Québec, soulignait-il, crée un terreau fertile à de nombreuses dérives.

L'ex-policier affirmait en outre qu'un « grand nombre d'entreprises québécoises du domaine de la construction entretiennent des liens avec des organisations criminelles ».

Le crime organisé, qu'il a plus tard assimilé à un véritable « acteur étatique », utilise, selon lui, l'industrie de la construction pour blanchir l'argent qu'il retire du trafic de drogues.

Un article de François Messier

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