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Ottawa pourra envoyer les demandeurs du statut de réfugiés en prison jusqu'à un an

En prison, les demandeurs de réfugiés
CP

Des demandeurs du statut de réfugié pourraient côtoyer des criminels dans des prisons à sécurité moyenne si le gouvernement conservateur réussit à faire adopter un projet de loi en ce sens. La durée de leur détention pourrait s'étendre jusqu'à un an.

Deux incidents récents, impliquant des navires remplis de réfugiés tamouls, ont incité les conservateurs à déposer le projet de loi C-31 (Loi visant à protéger le système d'immigration du Canada) en février dernier. Le gouvernement vise ainsi à décourager les demandeurs d'asile qui, selon eux, affluent en grand nombre le long des côtes canadiennes, coupent les files d'attente et abusent du système de sécurité sociale.

Le projet de loi était soumis à un second vote lundi soir, avant d'être transféré à un comité d'étude où les députés conservateurs siègent en majorité. Le ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme, Jason Kenney, s'est entretenu avec le Huffington Post Canada la semaine dernière, et se dit convaincu que le projet C-31 est conforme à la Charte canadienne des droits et libertés.

Ses opposants sont plutôt d'avis qu'il est inconstitutionnel et qu'il viole l'article 9, qui garantit à chacun la protection contre l'emprisonnement arbitraire. (La Cour suprême s'est prononcée une fois à ce sujet, en 2007, dans l'affaire des certificats de sécurité imposés à Adil Charkaoui.)

Le directeur par intérim du Conseil canadien des réfugiés Rob Shropshire est catégorique : «La Cour a stipulé clairement qu'une détention sans contrôle est arbitraire. Elle a insisté sur la nécessité de procéder rapidement à l'examen des cas. Que le gouvernement songe à emprisonner des demandeurs d'asile aussi longtemps soulève de nombreuses questions et ternit la réputation du Canada en matière de droits de la personne.»

Or le ministre Kenney affirme que plusieurs «immigrants illégaux» ne seront pas détenus un an. Avec les nouvelles règles simplifiées, deux mois devraient suffire pour déterminer lesquels sont de véritables réfugiés et les libérer en conséquence. «L'affirmation que nous allons emprisonner les réfugiés est fausse», a-t-il dit.

Actuellement, les demandeurs du statut de réfugié sont détenus juste assez de temps pour établir leur identité. Mais ceux qui comportent un danger pour la sécurité du public ou risquent de faire faux bond aux autorités peuvent être détenus plus longtemps.

L'Agence des services frontaliers du Canada dispose de 369 places dans des «centres de prévention» situés à Toronto, Richmond et Laval. Mais en vertu des règles actuelles, les personnes à risque, ou celles qui entrent au pays lorsque les centres de prévention sont pleins, sont déjà transférées en prison. C'est ce qui est arrivé aux 492 demandeurs d'asile qui ont accosté en Colombie-Britannique en août 2010.

Les passagers du MV Sun Sea ont séjourné au Fraser Regional Correctional Centre, un établissement à sécurité maximale, où ils ont dû obéir aux mêmes règles que les criminels purgeant leur peine. Les femmes sans enfant ont été transférées au Alouette Correctional Centre, une prison à sécurité moyenne, tandis que les femmes avec enfants ont abouti dans un centre pour jeunes contrevenants de Burnaby.

Une forte opposition

Peter Showler, directeur du Forum sur les personnes réfugiées de l'Université d'Ottawa, croit que les demandeurs d'asile ne devraient jamais côtoyer des détenus condamnés en vertu du Code criminel. «Ça me rend complètement fou, mais personne au pays ne semble comprendre la gravité de la situation, affirme-t-il au Huffington Post. Il y a déjà eu quelques accrocs de ce genre, et ils vont malheureusement se multiplier.»

Gary Anandasangaree, avocat du Congrès tamoul canadien, trouve que le projet de loi C-31 est carrément inacceptable. «Nous avons un système pour les jeunes contrevenants. Or si un jeune demandeur d'asile est étiqueté “indésirable”, il sera passible d'un an de prison dans un établissement pour adultes sans possibilité d'appel.»

Jason Kenney ne s'en formalise pas outre mesure. Selon lui, les Canadiens considèrent le système actuel trop permissif. Il affirme en outre que les peines minimales obligatoires d'un an sont nécessaires parce que le processus de révision des peines engorge le système.

«Lorsque 500 personnes arrivent d'un seul coup, nous sommes obligés de contrôler leurs motifs de détention après 48 heures, 7 jours et 30 jours. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié perd un temps fou à gérer ce système de portes tournantes, alors qu'elle devrait en priorité identifier ces gens et établir la validité de leurs propos.»

Selon le ministre, le projet de loi C-31 est «modeste» par rapport aux mesures qui ont été prises aux États-Unis, en Australie et au Royaume-Uni. «Les centres de prévention sont une solution à court terme. Si le problème de l'immigration illégale prend de l'ampleur, nous n'aurons d'autre choix que d'imiter ces pays et d'agrandir les établissements carcéraux.»

«Les immigrants illégaux qui arrivent au Canada ne fuient pas la persécution», a ajouté M. Kenney. «Si leur vie en dépendait, ils accosteraient en Malaisie ou en Thaïlande plutôt que de traverser la moitié du globe pour atteindre le Canada.»

«Leur objectif n'est pas de trouver un endroit sûr le plus rapidement possible. Leur objectif est d'immigrer au Canada. Nous devons donc envoyer le signal que nous ne tolèrerons plus le trafic d'êtres humains. D'ailleurs, certaines de ces opérations sont mortelles.»

Le trafic d'être humains, un prétexte

Pour le député néo-démocrate et ex-critique en matière d'immigration Don Davies, l'objectif du projet de loi est d'endiguer l'afflux d'immigrants. La lutte au trafic d'être humains n'est qu'un vernis pour le rendre plus acceptable. «Le Code criminel prévoit déjà une amende d'un million de dollars et la prison à vie pour les trafiquants d'êtres humains. En vérité, le message que les Conservateurs veulent transmettre aux réfugiés est : “N'essayez pas d'entrer ici, sinon on va vous punir”.»

Selon M. Davies, il est fort probable que le projet de loi C-31 soit déclaré inconstitutionnel. Mais pourquoi les conservateurs tiendraient-ils à dépenser des millions de dollars en pure perte ? «À mon avis, ils souhaitent tout simplement mobiliser la frange intolérante et xénophobe de leur électorat.»

Gary Anandasangaree a rencontré quelques uns des Tamouls qui ont accosté en Colombie-Britannique. «S'ils ont risqué leur vie sur les eaux du Pacifique, c'est parce que le dépôt d'une demande d'asile politique était impossible depuis le Sri Lanka, estime-t-il. Et s'ils avaient accosté dans un pays tiers, ils auraient risqué d'y passer plusieurs années ou plusieurs décennies sans statut légal, en attendant que l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés ne les dirige vers un pays d'accueil.»

«En espérant décourager l'arrivée massive de Tamouls, le gouvernement conservateur va créer deux classes de demandeurs d'asile: l'une constituée de gens qui arrivent à l'aéroport avec des documents potentiellement faux, et l'autre constituée de gens qui arrivent en groupe, par voie maritime principalement, et qui risquent d'être détenus durant un an si le ministre juge leur arrivée irrégulière.»

«Je me console en me disant que les tribunaux vont tempérer les articles les plus problématiques de la loi», conclut M. Anandasangaree. Or le Congrès tamoul canadien ne pourra pas porter le flambeau de la contestation, faute de moyens. «Nous n'avons pas d'argent, et le programme de contestation judiciaire a été aboli lorsque les conservateurs ont pris le pouvoir en 2006.»

Malgré ces avis divergents, Jason Kenney croit dur comme fer que les Canadiens appuient son projet de loi et qu'ils souhaitent des mesures encore plus sévères. Lorsqu'il parcourait le pays pour présenter son ambitieux projet de réforme de l'immigration, un homme d'origine sikh lui aurait demandé : «Pourquoi accordez-vous le statut de réfugié à ces gens ? Vous devriez les renvoyer immédiatement.»

«L'arrivée de rafiots remplis de Tamouls a suscité une réaction encore plus négative chez les immigrants récents, souligne M. Kenney. Pourquoi? Parce que la vaste majorité d'entre eux ont pris leur mal en patience et sont entrés au pays légalement. Pour avoir un système qui fonctionne, nous devons appliquer des règles justes en toutes circonstances. Nous ne pouvons en aucun cas tolérer que des gens coupent la file d'attente.»

«D'ailleurs, nous avons annoncé notre intention d'apporter des réformes au système d'immigration avant la dernière élection, et nous avons gagné pas mal de votes auprès des communautés ethniques», a-t-il ajouté.

Pas d'unanimité

Paul Attila, porte-parole du groupe Immigrants For Canada, a été récemment nommé à la Fondation canadienne des relations raciales. Cet homme d'origine égyptienne se dit inconfortable avec la détention des demandeurs d'asile, mais croit tout de même que le projet de loi C-31 est un pas dans la bonne direction. Les fraudeurs cesseront d'être favorisés au détriment des immigrants réguliers qui attendent patiemment le traitement de leur dossier.

Mais tous les Canadiens issus de l'immigration ne sont pas de cet avis. Balpreet Singh, conseiller juridique de la World Sikh Organization of Canada, dit avoir organisé un certain nombre d'assemblées à Surrey et à Brampton pour informer sa communauté. Bon nombre de Sikhs jugent le projet de loi draconien et inutilement coercitif. «C'est vraiment triste de voir le Canada tourner le dos à sa tradition de pays d'accueil. »

Les Sikhs ont fui l'Inde en grand nombre au tournant des années 1990, et se disent très préoccupés par le pouvoir discrétionnaire du ministre. Celui-ci pourra ajouter à sa guise un pays à une liste de pays «sûrs» – ce qui rendra inéligibles tous les demandeurs d'asile qui en proviennent.

«Un pays peut être sécuritaire pour la majorité de sa population, mais pas pour les membres de certaines minorités ethniques. Nier à ces gens la possibilité d'expliquer leur situation est totalement injuste», précise M. Singh.

Obert Macando est du même avis. Ce réfugié politique âgé de 40 ans se dit surtout préoccupé par l'image que les nouveaux arrivants auront de leur pays d'accueil. «La violence que j'ai subie et dont j'ai été témoin au Zimbabwe m'a complètement brisé, explique-t-il en entrevue téléphonique. Mais à l'été 2003, le Canada m'a accueilli à bras ouverts et m'a redonné ma dignité d'être humain.»

«Avec les changements proposés, il sera non seulement plus difficile d'y entrer, mais les nouveaux arrivants risquent d'y être accueillis plus froidement», ajoute M. Macando.

Du côté du Parti libéral, l'ancienne ministre Judy Sgro reconnaît que des gens abusent de notre système d'immigration, mais considère que les conservateurs font fausse route. «Peu importe le système en place, il y aura toujours quelques fraudeurs. Mais l'important est d'essayer d'améliorer le système, pas d'enfermer inutilement les demandeurs d'asile pendant un an. Tout ça n'a aucun sens, la réputation du Canada va en souffrir.»

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