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En verre et contre tous!

Alors que les appuis pour une consigne sur les bouteilles d'alcool fusent de toutes parts, le gouvernement du Québec continue de méditer au bien-fondé de la chose.
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Alors que les appuis pour une consigne sur les bouteilles d'alcool fusent de toutes parts, le gouvernement du Québec continue de méditer au bien-fondé de la chose.

Cela fait donc maintenant plus de deux décennies que l'on étudie et réfléchit à la possibilité d'instaurer au Québec une telle consigne. Pourtant, à l'exception du Manitoba, c'est déjà chose faite partout au Canada. Quand on songe que même le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest nous devancent à propos de cet enjeu environnemental, c'est un peu gênant.

Le 5 février dernier, je publiais dans le cadre de cette chronique, un billet passablement fouillé intitulé Ne pas recycler les bouteilles de vin coûte très cher aux Québécois. Le lecteur désirant faire rapidement un tour d'horizon du présent sujet s'y référera.

On sait que le ministre québécois de l'environnement David Heurtel a mentionné en avril dernier, après avoir reçu un rapport rédigé par le Centre de recherche de l'environnement, de l'agroalimentaire, des transports et de l'énergie (CREATE) de l'Université Laval qui recommandait d'imposer une consigne pour le verre, qu'il allait faire de celle-ci l'une de ses priorités.

Alors pourquoi me direz-vous revenir sur cette question? C'est que de nombreux développements à ce sujet survenus dernièrement laissent penser que cette bataille est encore loin d'être gagnée.

Si l'on dit qu'il faut battre le fer pendant qu'il est chaud, je crois qu'il faut de même souffler sur le verre quand il est chaud.

Le fil des récents évènements

Le 29 avril dernier, alors que le ministre de l'environnement était à l'extérieur du pays, la Société des alcools du Québec lança son offensive anti-consigne en tirant soudainement un lapin de son chapeau sous la forme d'une inopinée étude qu'elle avait elle-même commandée sur ce sujet et qu'elle gardait dans ses tiroirs depuis le mois de février dernier.

Alors qu'il y a quelques années à peine, soit en 2012, notre monopole évaluait le coût annuel d'opération d'une telle mesure à 40 millions de dollars, celle-ci prévient tout à coup le gouvernement et la population qu'il en coûterait plutôt 250 millions sur 5 ans. (Journal La Presse: La consigne coûterait cher prévient la SAQ).

Dans l'édition papier du journal La Presse du 2 mai dernier, le chroniqueur bien connu Alain Dubuc, résuma ainsi ce rapport dans son billet intitulé La force tranquille de l'inertie:

"Mercredi matin, j'ai failli m'étouffer avec mon café en prenant connaissance de l'étude commandée par la SAQ qui démontre à quel point l'imposition de la consigne pour les bouteilles de vin serait compliquée et à quel point elle coûterait cher.

250 millions sur cinq ans, dit l'étude. Un chiffre gonflé grâce aux procédés habituels. On additionne le coût des infrastructures nécessaires, 125 millions, aux coûts d'exploitation annuels de 17 millions, que l'on télescope sur cinq ans pour faire plus gros."

Dès le lendemain du communiqué de la SAQ, j'ai eu l'occasion lors de diverses entrevues données à la radio de faire part de mon opinion qui rejoint passablement celle de M. Dubuc et que vous pouvez écouter grâce à ce lien.

M. Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED), dans une déclaration faite au journal Le Devoir, juge pour sa part que notre monopole fait de la désinformation et perd ainsi toute crédibilité.

Le jour même du dévoilement de ce rapport commandé, la députée de Saint-Jacques Ste-Marie, madame Manon Massé, faisant part dans son communiqué ce que plusieurs personnes pensent, soit que:

"Ce n'est pas le rôle de la SAQ de faire du lobbying contre l'intérêt public...C'est indigne d'une société d'État que de payer une telle étude pour effrayer la population."

Il est important de préciser toutefois que depuis plus de 20 ans les employés de la SAQ prônent la consigne des bouteilles vendues par leur employeur, évaluant l'opération faisable, souhaitable, et tout à fait réalisable. C'est tout à leur honneur.

La population est d'accord pour la consigne

Et que dire du sondage Omnibus Léger fait en 2012, selon lequel la population québécoise est favorable à l'élargissement de la consigne pour les bouteilles de vin et de spiritueux dans une proportion de plus de 88%?

Au début de l'année 2015, une récente pétition sur le site de l'Assemblée Nationale récolta près de 15 000 signatures en faveur de la consigne des bouteilles de vins et de spiritueux.

Après la ville de Québec qui s'est déclaré à l'automne 2014 en faveur d'une consigne pour le verre, nous apprenions le 6 mai dernier dans un article publié dans La Presse que la ville de Montréal emboîte le pas et encourage le ministre Heurtel à aller de l'avant. Le maire de Montréal Denis Coderre déclara:

"Même si la SAQ me sort des études, qu'ils fassent leur job"

Puisque le verre représente le matériau le plus lourd dans le bac de recyclage et que celui-ci aboutit dans une très grande proportion dans des sites d'enfouissement et dont les propriétaires facturent au poids, le système actuel coûte 325 000$ par année à chacune des villes de Québec et de Montréal.

Mais saviez-vous qu'en plus des deux plus grandes villes de notre province, Laval et 26 autres villes ont elles aussi adopté une résolution pro-consigne? (Journal de Montréal: Les villes ne veulent plus ramasser le verre de la SAQ). Il y a donc présentement plus de 29 villes et municipalités du Québec qui demandent au gouvernement de légiférer en faveur d'une consigne sur le verre.

L'Union des Municipalités du Québec (UMQ) a voté elle aussi à l'unanimité une telle résolution sur laquelle leur conseil d'administration doit se pencher le 20 mai prochain. Le mouvement pourrait faire boule de neige.

Et quoi de plus naturel lorsque l'on sait que la gestion du verre dans la collecte sélective coûte 5.4 millions de dollars aux villes et municipalités du Québec et ce, sans compter les frais d'enfouissement du verre dans les dépotoirs!

Transformer des dépenses en revenus

On nous a souvent dit dans le passé qu'une consigne sur le verre serait inutile, car même si celle-ci permettrait de le récupérer par couleur, il n'y a pas de marché ici pour du verre de qualité convenablement récupéré. Lisez bien ce qui suit.

La firme Owens-Illinois possède 77 usines de fabrication de contenants de verre dans le monde, dont 19 en Amérique du Nord incluant celle de Montréal. L'usine montréalaise fabrique à elle seule 1.6 million de contenants de verre par jour. Owens-Illinois est le plus important fabricant d'emballage en verre au monde. Elle compte plus de 10 000 produits dans son répertoire et a réalisé un chiffre d'affaires de 6,8 milliards de dollars en 2014. J'ai parlé il y a quelques jours au directeur de l'usine de Montréal, M. François Carrier.

Celui-ci me révéla que son usine qui pouvait autrefois compter sur 65 % de verre recyclé comme matière première, a vu cette proportion tomber à moins de 30% aujourd'hui faute de pouvoir accéder au Québec à du verre de qualité. Celui qu'il utilise présentement est acheté des États-Unis, de l'Ontario et des Maritimes. (Journal de Montréal: Un fabricant en manque de verre). Il a d'ailleurs mandaté il y a quelques jours à peine la firme 2M Ressources pour qu'elle lui achète davantage de verre récupéré de bonne qualité à l'extérieur du Québec.

Il faut savoir qu'il faut beaucoup moins d'énergie pour faire fondre du verre existant pour produire une nouvelle bouteille, que de partir de zéro en faisant fondre de la silice. L'instauration d'une éventuelle bourse du carbone influencera négativement la rentabilité de cette usine si celle-ci ne peut compter dans l'avenir sur un apport plus important de verre récupéré en bon état et trié par couleur.

Bien qu'on m'ait dit que le gouvernement du Québec est censé le savoir, je le répète ici au cas où le message de cette entreprise ne se serait pas encore rendu aux bonnes personnes :

Owens-Illinois est prête à acheter TOUT le verre de qualité récupéré au Québec et de nous le payer au moins 80 $ la tonne.

En France, on recycle plus de deux millions de tonnes de verre par an. Le verre d'emballage provient à 60 % du verre de récupération et une bouteille ordinaire peut en contenir jusqu'à 80 %! Pourquoi? Parce que c'est payant. Écologiquement et économiquement.

Il existe un consigne du verre en Ontario depuis 2007. On récupère et recycle ainsi plus de 325 millions de contenants de verre par année, les détournant des incinérateurs et des sites d'enfouissement. Pourquoi? Parce que c'est payant. Écologiquement et économiquement.

Présentement au Québec, à chaque année, des milliers de tonnes de verre prennent le chemin de nos dépotoirs à un coût d'enfouissement moyen de 70 $ la tonne, alors que s'il était récupéré convenablement par le biais d'une consigne, nous en obtiendrions plutôt 80$ la tonne. C'est un différentiel de 150 $ la tonne.

À moins d'avoir des parts dans les entreprises qui détiennent des permis pour opérer des sites d'enfouissement au Québec, comment peut-on logiquement ne pas mettre en place le mécanisme qui permettrait plutôt de recycler annuellement des centaines de millions de contenants de verre?

Payez et n'obtenez rien en retour

Mais combien cela coûtera-t-il aux contribuables penserez-vous en tremblant, en ayant peut être encore en tête les chiffres du dernier rapport dévoilé par la SAQ? Rien en principe. Car si vous l'ignoriez, vous payez déjà depuis plusieurs années ce qu'un système de consigne coûterait à opérer, mais sans avoir pu en bénéficier!

Le 30 avril dernier, le Journal de Montréal reprenait une information qui était incluse dans mon billet du 5 février dernier : Des millions déjà payés pour recycler vos bouteilles.

On y mentionne qu'il y a déjà un coût caché de 5 sous par bouteille dans le prix coûtant total de la SAQ pour la collecte sélective. Après application de sa faramineuse majoration et autres frais, le prix de vente au détail de chaque bouteille vient d'augmenter d'environ 16 sous. Puisque la SAQ vend environ 250 millions de bouteilles par année, elle ajoute ainsi à son profit annuel plus de 40 millions de dollars.

40 millions, c'est exactement l'évaluation du coût que faisait en 2012 la SAQ pour la gestion et l'opération d'une consigne des bouteilles qu'elle vend juste avant qu'elle ne le gonfle à l'hélium très récemment.

Au final

Si l'intention du gouvernement est honnête et sincère, et qu'il ne cherche pas à se servir de ce prétexte environnemental pour simplement pomper davantage d'argent des poches des contribuables, il demandera à sa société monopolistique d'état d'inclure le même montant de consigne que l'Ontario, soit 20 sous par bouteille, aux prix de vente au détail actuels affichés sur les produits.

Nous payons déjà pour ce service et nous voulons l'avoir, tout simplement. Corriger cette lacune écologique sera globalement profitable à tous points de vue pour le Québec. Beaucoup sur cette planète l'on fait avant nous et nous pouvons aussi le faire.

On peut cependant bientôt prévoir une lutte de pouvoir entre les ministres québécois de l'Environnement et celui des Finances, responsable de la Société des alcools du Québec. Il appartiendra donc au Premier Ministre de notre province de faire preuve de leadership et de trancher en faveur de l'instauration de la consigne du verre, pour notre bien commun.

Mais puisqu'une légère pression politique est très souvent utile et nécessaire, je vous invite donc à faire savoir à votre député(e) provincial (voir liste des courriels) tous partis confondus, qu'une consigne sur le verre doit être enfin mise en place au Québec.

Notre gouvernement ne pourra ainsi indéfiniment faire la sourde oreille, en verre et contre tous.

Suggestions de la semaine:

J'ai 8 bons vins pour vous cette semaine, 3 vins blancs et 5 vins rouges.

Pour vos commentaires, questions, suggestions, etc., écrivez-moi en privé à: clubdgv@gmail.com

Le blogue personnel d'Yves Mailloux:Club des Dégustateurs de Grands Vins

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