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Renouant avec le nationalisme ethnique des années 1930 et 1940 au Québec, et libérant du coup les pulsions qui sont associées à la haine de l'autre, la Charte des valeurs québécoises est l'aboutissement de décennies de silence, puis d'opposition à toute discussion publique sur l'essence historique du nationalisme québécois.
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Renouant avec le nationalisme ethnique des années 1930 et 1940 au Québec, et libérant du coup les pulsions qui sont associées à la haine de l'autre, la Charte des valeurs québécoises est l'aboutissement de décennies de silence, puis d'opposition à toute discussion publique sur l'essence historique du nationalisme québécois. En ce sens, les élites politiques et intellectuelles qui se sont faites, au fil des années, les artisans de cette volonté de ne pas débattre doivent assumer aujourd'hui une grande part de responsabilité en regard des perspectives d'atteintes aux droits de la personne qu'on vient d'annoncer.

Parlons donc un instant d'histoire et de perception du passé, et plus particulièrement des frémissements de la mémoire concernant les années 1930 et 1940 au Québec. Et pour être encore plus précis ceux en rapport avec les enjeux liés à l'antisémitisme, à l'appui à des dictatures fascistes, à la question de la conscription durant la Seconde Guerre mondiale et au support donné au régime de Vichy. Les années 1990 ont vu naître quelques pulsations à cet égard, mais depuis ce temps, le Québec vit dans une normalisation de ce passé.

Cette volonté de ne pas débattre des enjeux cités a nourri l'actuel repli identitaire qui est sous-jacent aux propositions du ministre Drainville et dont l'image est celle d'un Canadien-français qui règne désormais en seigneur devant des redevables à qui on demande d'intérioriser leur état de minoritaires. C'est ce rapport social qui se voit inscrit en filigrane dans le présent projet de Charte.

Que le couperet tombe sur la députée Maria Mourani du simple fait qu'elle a évoqué la question du «nationalisme ethnique» témoigne de cette violence qui se met aussitôt en branle afin que ces thèmes ne soient pas abordés.

Ainsi, déjà le terrain pour l'élaboration de cette Charte se préparait souterrainement dans la vendetta qui avait été orchestrée au début des années 1990 contre l'écrivain Mordecai Richler, lequel avait osé remettre à l'ordre du jour, et à la face du monde, l'antisémitisme du père du nationalisme québécois, le chanoine Groulx. La hargne, puis l'ostracisme à l'encontre de la chercheure Esther Delisle qui, à l'époque, avait abordé des thématiques similaires - dont celle de l'antisémitisme du journal Le Devoir - relevaient aussi du refus d'affronter ce passé.

Au milieu des années 1990, un autre cas de figure devait illustrer cette semblable volonté de ne pas discuter du fond des choses, et cela à l'occasion de l'orchestration d'un factice retour de mémoire concernant l'appui qui avait été donné au Québec dans les années quarante à des collaborateurs des nazis. La fatuité de la mise en scène allait cependant être vite trahie par le silence éloquent qui allait suivre au moment de débattre du soutien accordé au criminel de guerre Jacques de Bernonville.

Enfin, bouclant la boucle, le lynchage public de Jean-Louis Roux, en 1996, sur qui éditorialistes et historiens avaient fait porter la responsabilité d'expier un sombre passé pour tous s'inscrivait dans cette même logique.

Le travail de deuil n'a indéniablement pas été entrepris au Québec concernant ces thèmes tabous et qui sont liés au nationalisme. Si ce difficile exercice avait été mené, une perte douloureuse certes, mais salutaire aurait résulté de cette franche rupture avec les vieux démons qui sommeillent toujours au coeur de cette idéologie.

Mais ce sont les faux-fuyants qui ont plutôt la cote. Par exemple, au milieu de l'affaire Bernonville, un journaliste français, sidéré de voir l'appui donné par l'élite cléricale et nationaliste du Québec au bourreau nazifié, avait écrit un article au titre excessif, mais révélateur de l'effroi ressenti dans certains cercles en France face à un pareil soutien. Son texte s'intitulait: «Une province nazie de langue française: le Québec». Gageons que les auteurs de la Charte auront plus à cœur de prévenir ce genre de mauvaise presse à l'échelle internationale que de s'attarder aux conséquences du message qui a été envoyé le 10 septembre, lequel se traduira - on peut en être certain - par une multiplication des faits divers humiliants et vexatoires que devront dorénavant encaisser dans la vie de tous les jours les Québécois de religion musulmane, mais aussi de d'autres confessions et de divers horizons culturels.

Cette Charte prend donc les allures d'un aboutissement alors qu'elle est vue en revanche par certains comme le début d'une entreprise qui se doit d'avoir une portée encore plus large. Ainsi, il y a quelques jours, le chroniqueur Mathieu Bock-Côté se réjouissait de l'avènement de ces propositions et, du même souffle, en appelait à aller plus loin et à s'attaquer désormais à une revalorisation de l'histoire nationale pour consolider le sentiment identitaire des Québécois par un enseignement accru de cette histoire qu'on jumèlerait à une politique de commémoration conséquente. Pareille approche occupe pourtant depuis longtemps le haut du pavé puisque déjà, les tribunes et les instances stratégiques sont monopolisées au Québec dans le but de façonner une mémoire fixée sur l'identité nationale.

La récente annonce faite par le gouvernement du Parti québécois d'instaurer dès l'automne 2014 un cours obligatoire au niveau collégial sur l'histoire nationale du Québec contemporain va d'ailleurs dans ce sens et répond à ces finalités d'ordre idéologique, nonobstant, et quel que soit le professionnalisme des enseignants qui seront impliqués. Il n'y a malheureusement en effet qu'à recenser une nouvelle fois les débats qui se font et ceux, en contrepartie, qui ne se font pas sur la place publique en regard du passé québécois pour comprendre que l'histoire nationale au Québec est à mettre en concordance avec l'histoire nationaliste. Alors, que peut-on bien vouloir de plus dans le domaine du plein épanouissement de cette identité fabriquée?

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