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Dans un système où la soi-disant opinion prend de plus en plus de place au détriment de l'information, les « spin doctors » - rien de plus que des lobbyistes de la nouvelle - se paient la traite. Le commerce de la sensation a pour effet qu'à quelques louables exceptions près, on alimente le public de détails truculents sur les manifestations, et qu'on n'a que peu à dire sur les enjeux économiques du débat
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Yves Francois Blanchet

La pratique est commune et pas toujours élégante. Tout le monde y recoure, des association étudiantes aux partis politiques, en passant par les universités et les groupes de pression à caractère économique. En français, on pourrait parler de « passer le mot », mais avec une certaine insistance, davantage un mot d'ordre intéressé qu'une information, et le désir d'influencer les médias et les décideurs afin, ultimement, de peser sur l'opinion publique.

Prenons en exemple l'obstination de certains - dont un éditorialiste qui ne fait pas ainsi honneur à la rigueur intellectuelle attendue de sa profession - à répéter que les étudiants en grève représentent l'opinion d'une minorité d'entre eux. Si donc le tiers des étudiants sont en grève, le gouvernement n'a pas à se soumettre à la volonté d'une minorité. C'est ridiculement court, surtout pour un gouvernement choisi par quelque chose comme 40% de 60% des électeurs du Québec, mais si on ne s'y attarde pas, ça a l'air plein de bon sens et ce sera repris par des chroniqueurs et des animateurs radio et télé qui aiment la formule choc sans trop d'égards pour la vérité.

En effet, selon ce raisonnement dont l'auteur même sait qu'il est ridicule, les étudiants qui ne sont pas en grève sont en accord avec la hausse. Je vous laisse juger de cette analyse. Ainsi, on doit croire que les trois quarts des Québécois que les sondages disent insatisfaits du gouvernement Charest sont au contraire très heureux de sa gestion parce qu'il n'y a pas six millions de Québécois dans la rue. Ou pour chaque décision du gouvernement, si cet éditorialiste et ceux qui s'en inspirent ne sont pas dans la rue, c'est parce qu'au fond, il sont d'accord. Avec tout. Tout le temps.

Autre exemple: la hausse des droits de scolarité représente cinquante sous par jour, et cinquante sous par jour, selon ce « mot d'ordre », c'est bien peu. C'est encore une fois ridiculement faux, notamment parce que cumulatif. Un raisonnement similaire permettrait qu'on exige une contribution, toutes proportions gardées selon leurs revenus respectifs, certainement dix fois plus élevée d'un éditorialiste que d'un étudiant. Pour le bien public. Pour n'importe quoi. C'est si peu... On ajoutera donc à la charge de notre éditorialiste une somme qui sera au moins de 1 000$ par année, pendant sept ans, pour environ 7000$ par année de plus au terme de l'exercice. Si mon calcul n'est pas bon, celui de ceux qui répètent avec une affligeante mauvaise fois que c'est un acceptable cinquante sous par jour ne l'est pas davantage.

Un dernier exemple, et ce « mot d'ordre » vient assez directement du gouvernement: le Parti québécois n'aurait pas de position sur les droits de scolarité. C'est le plus vicieux, donc le moins surprenant. Le Parti québécois a adopté sa position actuelle lors du Congrès national de 2011. Elle est fort claire: gel des droits de scolarité au niveau de 2012, avant la hause au coeur du conflit donc, jusqu'à la tenue d'un sommet sur le financement des universités. Les étudiants, enfin et bien sûr, les universités, les employeurs et l'État seront appelés à développer un mode de financement des universités équitable, responsable et durable. Il va donc de soi que dans l'intervalle, un gouvernement du Parti québécois abolira la hausse de 75% ou 82% présentement imposée aux étudiants et leurs parents, tout comme il va de soi qu'on ne présume pas du résultat d'une discussion avant d'avoir discuté... En tentant de riciculiser le sommet porté par le Parti québécois, le gouvernement libéral avoue que son propre forum de l'automne dernier était un exercice de mauvaise foi.

La démocratie a la santé de son information. Dans un système où la soi-disant opinion prend de plus en plus de place au détriment de l'information, les « spin doctors » - rien de plus que des lobbyistes de la nouvelle - se paient la traite. Le commerce de la sensation a pour effet qu'à quelques louables exceptions près, on alimente le public de détails truculents sur les manifestations, et qu'on n'a que peu à dire sur les enjeux économiques du débat. J'envie le rôle noble des journalistes, mais je n'ai parfois que peu d'estime pour ceux qui publient dans les mêmes pages ou qui squattent les mêmes ondes que les vrais journalistes pour rivaliser de sensationnalisme primaire et racoler la cote d'écoute et le lecteur. C'est bon pour vendre de la pub, ça plaît sur le fond et la forme au patron, mais le Québec n'y gagne pas.

Dans un système assurant la diversité des sources d'informations, ce genre de procédés n'aurait que plus difficilement de prise. Dans l'intervalle, le public doit être critique, participer à l'information et au débat, notamment par les médias sociaux qui s'avèrent une alternative volatile et souvent superficielle, certes, mais légitime et démocratique.

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