France Gall et Michel Berger constituaient le couple iconique de la musique française des années bonheur, ces décennies 70 et 80 dont ils incarnaient le versant lumineux, optimiste, rassurant, par opposition à la transgression, le danger et l'érotisme noir représentés par l'autre couple emblématique de ces années-là, Jane Birkin et Serge Gainsbourg.
Ce dernier avait pourtant fait chanter France bien avant Michel, et pas seulement ces fameuses "Sucettes" piégées qu'elle ne digèrerait pas lorsqu'elle en découvrirait – a posteriori – la signification autrement plus salée. Mais même acidulée, cette French Pop à la Gainsbourg, victorieuse à l'Eurovision 1965 pour le Luxembourg avec "Poupée de cire, poupée de son", ne suffirait alors qu'à en faire la quatrième de nos Yéyé Girls, après Sylvie Vartan, Sheila et Françoise Hardy, quand bien même c'est elle qui a inspiré à Claude François les paroles de "Comme d'habitude", devenu en anglais "My Way", la chanson française la plus exportée de tous les temps, de Paul Anka à Frank Sinatra (Julien Clerc et Etienne Roda-Gil écriront eux "Souffrir par toi n'est pas souffrir" à son propos).
Passée cette période Salut les Copains, c'est Michel Berger qui va lui donner sa dignité, l'élever, en imaginant pour elle une personae qui en fera, vingt ans durant, la grande sœur et la meilleure amie de toutes les jeunes filles francophones. Certes, ce Pygmalion, qui est surtout véritable producteur, à l'américaine, c'est-à-dire en charge non seulement des enregistrements mais aussi de tout le reste, le positionnement, les photos, les pochettes, les clips, la mise en scène des spectacles, le stylisme, le look, n'a réussi à lui faire exprimer les sentiments intimes, les émois, les craintes, les rêves et les secrets des adolescentes et jeunes adultes comme l'universalisme de leur désirs d'engagement, sociétal, humanitaire, que parce qu'il possédait en elle l'interprète idéale pour le faire avec sincérité et crédibilité. Tout autant que ses immenses succès – "Il jouait du piano debout", "Ella, elle l'a", "Babacar", "Musique", "Viens, je t'emmène", "Résiste", "Débranche", "Tout pour la musique", "Evidemment", etc. – ce sont souvent dans les deep cuts de ses albums, des chansons comme "Je saurai être ton amie", "La fille de Shannon" ou "Le meilleur de soi-même", que ses fans trouveront l'âme véritable de ce couple Gall/Berger, Janus artistique qui dépasse la chanson française pour en faire de la musique moderne, adaptée à leur génération rock, même gentiment, ce dont Elton John, au faîte de sa gloire Seventies, accusera réception en enregistrant à Los Angeles en duo avec France deux chansons signées Berger, "Les aveux" et "Donner pour donner" (il avait l'intention d'en faire un album entier et de partager avec elle une tournée française lorsqu'elle tomba enceinte de Raphaël, et le projet, à l'eau).
Chanteuse de jazz frustrée, capable d'improviser des vocalises sur les ad-libs de ses tubes de gentil disco de la seconde partie des années 70 et de phraser les sentiments de ses paroles pour leur conférer une véritable résonance, France Gall aura été grâce à son immense popularité, le haut-parleur des messages philosophiques que Michel Berger considérait essentiels non seulement à sa musique, mais à la condition même, au rôle qu'il considérait être celui des chanteurs dans la société. Et c'est grâce à ses qualités rythmiques, son énergie, sa dynamique, sa tonicité, son enthousiasme, que France Gall a réussi à imposer au plus grand nombre cette modernité qui permet à leurs chansons communes, symbiotiques, de toucher aujourd'hui autant les milléniaux que leurs contemporains qui la pleurent aujourd'hui.
Yves Bigot est l'auteur de Quelque chose en nous de Michel Berger, paru en 2012 aux éditions Don Quichotte
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