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Sommet sur l'éducation? Parlons du fossé..

De retour au Québec, où j'espère trouver un poste universitaire, je me dis: tant mieux, ça bouge ces temps-ci. Printemps érable. Sommet de l'éducation. Je dois être à la bonne place. Je me suis vite détrompé! À voir le peu de disponibilités et les salaires offerts, j'en arrive à l'impasse : au Québec, même si je réussi à dénicher un de ces rares postes, il me sera quasiment impossible de rembourser ma dette. Pendant ce temps, à l'étranger, non seulement les postes sont plus nombreux, mais ils sont rémunérés à un niveau proportionnel à l'investissement que représente mon diplôme. Sitôt arrivé à la maison, me voilà déjà décidé à repartir.
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Afin de célébrer la soumission de ma thèse de doctorat, j'ai invité ma gang à boire du champagne dans mon flat un peu crasseux, que je partageais avec quatre colocataires au centre-ville de Londres. Soyons honnêtes. Ce n'était pas vraiment du champagne, mais un vin mousseux cheap qui goûtait précisément ce qu'il valait. Il faut quand même être économe. C'est bien beau d'étudier au pays de Shakespeare afin de rapatrier une expertise particulière, mais je prends des allures d'un Marchand de Venise: certains s'achèteraient une maison avec le genre d'hypothèque que j'ai sur mon éducation.

De retour au Québec, où j'espère trouver un poste universitaire, je me dis: tant mieux, ça bouge ces temps-ci. Printemps érable. Sommet de l'éducation. Je dois être à la bonne place. Je me suis vite détrompé! À voir le peu de disponibilités et les salaires offerts, j'en arrive à l'impasse : au Québec, même si je réussis à dénicher un de ces rares postes, il me sera quasiment impossible de rembourser ma dette. Pendant ce temps, à l'étranger, non seulement les postes sont plus nombreux, mais ils sont rémunérés à un niveau proportionnel à l'investissement que représente mon diplôme. Sitôt arrivé à la maison, me voilà déjà décidé à repartir.

Certains blâment le sous-financement des universités pour expliquer la publication au compte-goutte des offres d'emplois, se disant que toute augmentation de l'investissement mènerait à une offre proportionnelle de postes bien rémunérés. Mais la culture interne de ces établissements ne fonctionne pas ainsi. Plus d'argent investi ne m'aidera pas si je me heurte à une iniquité salariale croissante entre le personnel-cadre et le personnel enseignant, et entre les jeunes que l'on qualifie de «chargés de cours» et les «professeurs titulaires» plus âgés qui ont pourtant des diplômes et des connaissances identiques (ou parfois même vétustes). Si on leur signe un chèque, à qui ira la cagnotte, à qui les pinottes? Allons voir.

Un professeur à temps plein au Canada gagne en moyenne 87 500$, mais cela ne représente que 53% du personnel enseignant. Le 47% restant, qui regroupe les temps partiels et les chargés de cours, ne gagne en moyenne que 40 000$, malgré leurs 22 années (ou plus) d'éducation.

En enseignement secondaire et primaire, ce genre de système à deux vitesses ne serait jamais toléré. Mais à l'université, on a coupé de 10% le nombre de professeurs depuis dix ans, tout en augmentant le nombre de chargés de cours de 30%. Et comme aucun professeur n'a pu être démis de ses fonctions, cela fut accompli en offrant moins de promotions aux jeunes. Si je restais ici, j'aurais donc de bien meilleures chances de tomber dans la catégorie des 47% exploités que celle des 53% bien nantis, et ce, pour longtemps...

«T'aurais dû juste choisir un domaine plus payant, si tu voulais faire de l'argent», me dit-on. Ce à quoi je réponds : « Je préfère choisir le domaine que j'aime et ensuite un pays plus accueillant. » Partout ailleurs, le doctorat est mieux valorisé qu'ici. Alors qu'aux États-Unis, 42% des docteurs travaillent dans le secteur privé, au Canada, on ne les retrouve quasiment qu'à l'université qui embauche 87% des titulaires d'un doctorat. De plus, au Canada, le docteur gagne en moyenne 8% que ceux possédant une maîtrise, mais aux États-Unis, la prime est de 43%.

Les docteurs canadiens souffrent aussi d'un taux de chômage 50% plus élevé que celui des maîtres, et ils se situent à plus du triple de celui des docteurs américains. Ce déséquilibre n'est pourtant pas le résultat d'une surproduction de diplômés du troisième cycle. Au contraire, en termes de production par habitant, le Canada se situe au 23e rang sur les 34 pays de l'OCDE, parmi les cancres de la classe. Au Portugal, en plus de produire le plus grand nombre de doctorants de l'OCDE, c'est aussi là qu'on retrouve leur plus faible taux de chômage!

Oui, je me suis mis à regarder ailleurs. Non seulement retrouve-t-on près de dix fois plus d'ouvertures sur les sites web universitaires étrangers que ceux du Canada, mais, de plus, même les postes juniors en Angleterre sont payés entre 52 000 et 71 000$. En Australie, un chargé de cours à temps plein gagne entre 87 000 et 100 000$ dans mon domaine. Et pour ce qui est d'une carrière à plus long terme, on y ouvre aussi des postes de professeur régulièrement, plutôt que de les sabrer année après année.

Le marché est rendu mondial et compétitif, mais le Canada et le Québec ne jouent pas dans la même catégorie. Nous formons une ligue de repêchage pour le reste de la planète.

Manifestation étudiante du 22 août 2012

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