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Projet de loi 20: peut-on presser davantage un citron pressé?

Ce que je vois autour de moi depuis que je travaille, ce sont des médecins épuisés, qui travaillent plus qu'ils ne devraient, qui oublient de manger, de s'hydrater, de dormir adéquatement et qui se demandent s'ils ne devraient pas en faire plus, glisser une heure ou deux supplémentaires dans leur horaire déjà rempli.
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Je m'appelle Young Sun Son. Je suis Coréenne de naissance, Canadienne de nationalité, Québécoise de cœur. De plus, depuis 2011, je suis omnipraticienne, fière spécialiste en médecine familiale, après 9 années ardues d'études postsecondaires. Je ne répéterais pas la guerre des chiffres et la jonglerie des statistiques qu'on se lance depuis la déposition du projet de loi 20. J'aimerais plutôt partager ce dont j'ai observé autour de moi, dans notre système de la santé, étant devenu un témoin privilégié depuis déjà quelques années et faire appel à votre « bon sens », sans faire référence à ces chiffres qui peuvent être trompeurs et servir les mauvaises causes.

Pour la première fois cette année, à mon grand étonnement, on me dit et répète que les médecins ne travaillent pas beaucoup, vraiment pas assez. C'est que, voyez-vous, lorsque j'ai choisi d'aller en médecine contre l'avis de mes sages parents qui s'inquiétaient de ma santé future, on m'avait dit que les médecins travaillaient sans relâche, beaucoup plus que la moyenne des gens et que la pression et la responsabilité associées étaient très exigeantes. Même pour mes parents immigrants, qui n'avaient jamais mis les pieds à l'université, c'était une évidence.

La suite des événements ne les a jamais contredits. Les études collégiales afin d'avoir un dossier suffisamment fort pour entrer en médecine n'étaient qu'un pâle aperçu de ce qui m'attendait durant les études de médecine. Pour la première fois, je n'étais entourée que d'une majorité d'étudiants travaillant aussi fort sinon plus que moi et performant tout aussi bien. Les cinq années universitaires n'ont pas été un marathon, mais plutôt un sprint sans fin où on devait donner un maximum de nous-mêmes sans arrêt. Assez rapidement, mes nombreux loisirs ont ramassé la poussière et la médecine a pris une place centrale dans ma vie. Les études en médecine sont une épreuve qui à elles seules, discriminent les soi-disant paresseux; on ne peut pas réussir la médecine sans bûcher dur. C'est pourquoi on retrouve chez les médecins comme « trait de personnalité de groupe », un perfectionnisme visant la performance sans limites avec un sens excessif des responsabilités, les poussant à donner toujours plus que l'on ne s'attend d'eux.

Les années cliniques ont ajouté une difficulté supplémentaire soit le côté humain de la pratique; la raison pour laquelle on dit que la médecine se rapproche plus d'un art que d'une science simple et mathématique. Les patients ne sont pas comme dans les livres et ils ne sont pas tous coopérants ou gentils ou reconnaissants de notre travail. Puis, c'est durant la résidence, avec l'exigence d'un horaire surchargé, où parfois on travaillait 21 jours de suite, avec des gardes de nuit, des heures à préparer des présentations et à étudier, que j'ai pu voir comment les exigences du métier peuvent être dangereuses et nuire à la santé physique et mentale de mes pairs.

Ce que je vois autour de moi depuis que je travaille, ce sont des médecins épuisés, qui travaillent plus qu'ils ne devraient, qui oublient de manger, de s'hydrater, de dormir adéquatement et qui se demandent s'ils ne devraient pas en faire plus, glisser une heure ou deux supplémentaires dans leur horaire déjà rempli. Certains se sentent même coupables de ne pas avoir pu travailler malades... Je suggère fréquemment autour de moi: «Ben non, ralentis, respire, tu devrais travailler moins», car si je ne le faisais pas, personne ne serait là pour leur rappeler leurs limites; ni la société, ni les gestionnaires, ni les patients, ni même notre entourage immédiat incluant les collègues. Tout le monde trouve normal que les médecins travaillent fort et encore plus, comme on peut presser un peu plus de jus d'un citron déjà pressé... Et parfois on se désole de voir le taux de suicide chez les médecins, mais bon, pas trop longtemps, car de toute façon «les médecins sont les mieux placés pour reconnaître leur état de santé avant de passer à l'acte : ce sont des médecins!»

Je suis inquiète de ce projet de loi 20. Mais surtout, j'ai de la peine pour ma profession et pour mes collègues qui, même en travaillant très fort, se font dire qu'ils n'en font pas encore assez et qu'ils sont responsables de la mauvaise gestion d'un système de santé dont ils n'ont pas de contrôle. J'ai l'impression qu'on veut leur extraire tout le «jus» qu'il leur reste au détriment de leur santé et de leur bien-être. Je suis inquiète, car les médecins au Québec seront désormais plus isolés que jamais dans leur souffrance, car la source de leur vulnérabilité et de leur susceptibilité à l'épuisement, c'est-à-dire la surcharge de travail et leur engagement quotidien à «se tuer à la tâche», n'est même plus reconnue par la population. Et malheureusement, les médecins ne sont pas aussi facilement remplaçables qu'un citron...

Pour rejoindre les plus de 19 000 personnes ayant signé la pétition contre le projet de loi 20 sur la page de l'Assemblée Nationale (en date du 6 janvier 2015), c'est par ici

Pour plus d'information, visitez :

- La page Facebook « Contre la loi 20 » ainsi que le compte Twitter @contrelaloi20

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