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Tout ça, pour ça

Au Québec, sous les pressions féministe et syndicale, une loi pour assurer l'équité salariale a été adoptée unanimement par les député-es à l'Assemblée nationale en 1996; elle vise à favoriser une équité de rémunération entre femmes et hommes sur des postes équivalents. En 2006, seulement 50% des entreprises l'avaient appliquée, mais elles encourent de sévères amendes si elles ne le font pas en 2012.
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Observant la campagne à la présidentielle française, je suis frappée de l'absence des questions concernant les femmes dans les débats. Pourtant, l'électorat féminin est courtisé, mais sans qu'il ne soit fait mention de leurs droits. À cet égard, on croirait ici comme au Québec que l'égalité entre les femmes et les hommes est chose faite et qu'il serait temps de passer à autre chose. Pourtant, au moment où la crise économique occupe tous les esprits, et où les inégalités entre les riches et les pauvres se sont approfondies, il n'est guère mentionné que les inégalités salariales entre femmes et hommes demeurent criantes.

Dans un pays où plus de 80% de la population féminine occupe un travail salarié, il est étonnant de voir que cette question de l'égalité salariale ne fasse pas les manchettes!

On peut imaginer que la discrétion proverbiale qui entoure les questions de revenu en France puisse justifier un tel silence. Car cette revendication, qui fut au cœur des mouvements féministes occidentaux depuis 40 ans, a suscité des controverses et des débats majeurs en Amérique du Nord et au Canada. Plus encore que l'égalité des salaires et de traitement à poste égal, les propositions qui faisaient de l'équité salariale une exigence ont été débattues dans de nombreuses législatures canadiennes et américaines. Au cours des années 1990, des combats intenses de travailleuses qui se voyaient discriminées, ont transformé les paradigmes anciens du travail, essentiellement masculin, pour faire valoir les diverses formes de travail des femmes et donné lieu à de nouvelles échelles salariales, où le travail des unes est mis en équivalence avec le travail des autres.

Au Québec, sous les pressions féministe et syndicale, une loi pour assurer l'équité salariale a été adoptée unanimement par les député-es à l'Assemblée nationale en 1996; elle vise à favoriser une équité de rémunération entre femmes et hommes sur des postes équivalents. En 2006, seulement 50% des entreprises l'avaient appliquée, mais elles encourent de sévères amendes si elles ne le font pas en 2012.

De fait, les écarts de salaire ont diminué depuis l'adoption de la loi : ils sont passés de 16,1% en 1997 à 12, 8% en 2007. Et même si de nombreux autres facteurs d'inégalités demeurent, le débat n'est plus restreint aux seuls cercles féministes. Ce qui est loin d'être le cas en France, où les écarts de salaires entre femmes et hommes sont en moyenne de 20%. Et si le Pacte pour l'égalité femmes-hommes soutenu par des affiches publicitaires et lancé par le Laboratoire de l'Égalité vise à faire appliquer la loi sur l'égalité professionnelle, on ne voit pas de mobilisation majeure des féministes françaises sur cette question, ou même de débat sur l'équité salariale.

Pourtant un sondage récent montre de façon très claire que la question prioritaire qui préoccupe les Français-es est celle de l'égalité salariale: 75% des sondés considèrent que l'égalité salariale entre hommes et femmes, à poste égal est une question prioritaire pour eux (1) . Et hommes et femmes s'entendent là-dessus: 79% pour les femmes, et 71% pour les hommes. L'égalité salariale est l'enjeu prioritaire de la campagne à la présidentielle pour les sondés, mais pas pour les politiciens qui briguent leurs votes. Cette question n'est mise en priorité ni dans les débats ni dans les programmes des grands partis. Le décalage entre les perceptions des politiques et celles de l'électorat ne peut être plus grand.

Aussi est-ce sans surprise que ce même sondage indique une certaine désillusion des femmes dans la capacité des candidats à l'élection présidentielle à prendre en compte les droits des femmes aujourd'hui: près de 4 femmes sur 10 ne semblent pas attendre beaucoup de la prochaine échéance électorale pour améliorer les droits des femmes. Comment s'en étonner? D'un côté, une équipe usée par cinq ans de pouvoir et de controverses, mais surtout dont la crédibilité est minée par de très hauts taux de chômage des jeunes femmes en particulier, qui sont précisément celles qui sont les plus circonspectes à l'égard des politiques (47% des jeunes femmes de 18 à 24 ans). Et de l'autre, une équipe socialiste qui ne semble pas vouloir utiliser le capital de sympathie qu'avait suscitée la campagne de Ségolène parmi les femmes.

Candidate à l'élection présidentielle française en 2007, Ségolène Royal avait réussi deux paris audacieux : d'abord se présenter comme candidate à la présidentielle, dans un contexte de machisme politique peu ordinaire; et en inaugurant une forme de primaires qui lui ont permis de briguer, puis d'obtenir l'investiture socialiste envers et contre tous et surtout sans l'appui des éléphants du parti. Ces changements qui ont contribué à la démocratisation et à une certaine féminisation de la vie politique française ont permis au Parti socialiste de réaliser de véritables primaires pour la nomination du candidat à l'actuelle élection présidentielle. Ségolène Royal et Martine Aubry ont brigué les suffrages lors de cet exercice de modernisation radicale de la vie politique française que furent les primaires de l'automne dernier, qui ont vu François Hollande devenir le favori de quelque 2 millions d'électeurs.

Interrogé vendredi dernier lors du lancement de ses propositions pour les femmes, François Hollande a voulu aussi capitaliser sur l'équation qui allie pour un temps le féminisme au socialisme. C'est ainsi qu'il s'est présenté comme un candidat féministe! Au-delà de son discours, attendu, sur la parité femmes-hommes aux législatives (qu'il considère acquise, puisque les circonscriptions socialistes sont maintenant attribuées à parité) et les initiatives qu'il prendrait pour l'imposer aux autres partis s'il était élu, peu de mesures concrètes ont été retenues parmi les nombreuses revendications féministes (non cumul des mandats, nouvelles places de garderie,mesures concrètes de conciliation famille-travail etc.. ). Et s'il a une faible avance dans le score qu'il obtient, avec 15% des femmes qui pensent qu'il est le plus à l'écoute en matière de droits des femmes( devançant Eva Joly et François Bayrou qui arrivent à 10%, suivis de près par Nicolas Sarkozy avec 9% et Marine Le Pen qui obtient 8%), il lui reste beaucoup de chemin à parcourir.

Mais le portrait global n'est pas brillant, puisque plus d'un Français sur trois (34%) n'accorde en effet sa préférence à aucun candidat, et que les femmes sont plus nombreuses que les hommes (elles sont 39% à ne choisir aucun candidat)! Ce qui augure un nombre élevé d'abstentions aux élections, si rien n'est fait d'ici là pour répondre aux attentes des Françaises et des Français sur leurs préoccupations majeures. Car tous parlent d'inégalité entre riches et pauvres, mais bien peu sont celles et ceux qui se la représentente sous des traits féminins.

(1) Les Femmes dans la campagne présidentielle, résultats du sondage effectué par CSA/TerraFemina, le 22 février 2012, ETUDE N°1200279,www.csa.eu. Ce sondage a été réalisé par téléphone les 15 et 16 février 2012, auprès d'un échantillon représentatif de 1001 personnes âgées de 18 ans et plus et constitué d'après la méthode des quotas ( sexe, âge, profession du chef de ménage), après stratification par région et taille d'agglomération.

Yolande Cohen

Historienne, UQAM

Titulaire de la Chaire d'Études du Québec contemporain à Paris3-Sorbonne Nouvelle

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