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Diviser pour mieux régner!

En plus des débordements qu'elle peut occasionner, la stratégie politique du clivage idéologique est tout aussi néfaste sur la qualité du débat. Ce sont généralement les passions et les émotions qui prennent le dessus, et ce au détriment de la raison et de la réflexion. La nuance devient alors un mot étranger, une notion n'a pu sa place sous peine d'être châtié par les deux extrêmes.
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La société médiévale s'équilibrait principalement sur une polarisation Dieu versus le Diable, le bien versus le mal et hérésie versus conformisme, alors que la nôtre est actuellement marquée par une série de clivages politico-idéologiques qui tend à se contrebalancer grâce à la consommation (au sens général) d'un côté et à la dénonciation de l'autre. Cela dit, plus que jamais, la société est canalisée vers des positionnements divergents pour ne pas dire antagoniques. Rares sont les individus, ainsi que les discours et récits modérés, pondérés, nuancés. Que les questions soient politiques, sociales, culturelles, environnementales ou économiques, les discussions, pour la plupart, sont concentrées « vers » et monopolisées « par » les extrêmes.

Nous pouvons, à cet égard, mentionner le thème des partis politiques et de leurs programmes (entre la gauche et la droite, entre l'interventionnisme et le libre marché) ou encore des idéologies politiques (le meilleur exemple est sans contredit la question de l'indépendance du Québec). Plus récemment, le projet de Charte des valeurs québécoises a engendré un important clivage au sein de la population.

Mais qu'est-ce qu'un clivage ? Un clivage est un conflit pacifié, certains parlent même d'un conflit bureaucratisé grâce aux différentes zones de régularisation du conflit notamment les espaces politiques (parlement, assemblée, etc.), la sphère familiale (discussions, rencontres, etc.) et les zones médiatiques pasteurisées (presse, télévision, etc.). En politique, le clivage est accentué par un mécanisme appelé « wedge politics », selon lequel l'utilisation d'une thématique populiste et controversée - par exemple, les questions du mariage homosexuel, de l'avortement, de l'interventionnisme militaire et de l'immigration - sert à diviser profondément l'électorat dans le but de gagner (usurper ?) du capital politique. À ce sujet, les « wedge issues » (sujets de division) sont de plus en plus employés par les politiciens afin d'exploiter les tensions populaires, et ce à des fins exclusivement partisanes.

Les politiciens (et les empires médiatiques) ont compris que la nature balkanisante de certains sujets est une arme qui peut se révéler redoutable et certes payante. La politique du clivage, lorsqu'orchestrée savamment et volontairement, a souvent pour objectif de créer un immense débat irrationnel et émotionnel. La mise en œuvre de ce stratagème permet généralement de monopoliser l'attention médiatique, ainsi que les diverses discussions plus banales, octroyant, par conséquent et de manière subtile, une certaine marge temporelle pour légiférer ou sanctionner une loi, un amendement ou encore passer sous silence (ou presque) des agissements et/ou des actions qui pourraient entacher l'image d'un individu ou d'un parti.

Dit autrement, la division intentionnelle de l'électorat peut donc servir, à l'occasion, de subterfuge afin de détourner le regard médiatique d'une question embarrassante ou épineuse. Notons par exemple l'emploi tout récemment aux États-Unis du discours de l'interventionnisme militaire en Corée du Nord pour mieux passer discrètement le Monsanto Protection Act. Alors que l'actualité était tournée vers le maquignonnage et les menaces nord-coréennes, l'administration de Barack Obama a promulgué une loi (adoptée par le Congrès et le Sénat) qui concède pratiquement carte blanche à l'entreprise Monsanto.

Parallèlement, la montée du conservatisme (au niveau mondial) et l'utilisation de plus en plus répandue de la pratique des « wedge politics » ne sont pas fortuites. Il est effectivement difficile d'y voir un hasard ou encore une relation circonstancielle, lorsque l'idéologie même du conservatisme est axée sur la fracture des croyances et représentations, voire sur la nature éminemment controversée de leurs politiques et de leurs prises de position. Pour être explicite, leur idéologie incite à la division.

Dans cet ordre d'idées, le conflit politique ou plutôt le clivage idéologique a donc été, à travers le temps, fonctionnalisé à des fins partisanes. Cette arme de prédilection - qui notons prévaut depuis des centaines d'années, rappelez-vous Machiavel ou encore Jules César - est aujourd'hui renouvelée et revitalisée par nos élites politiciennes. Au Canada, le gouvernement conservateur, s'inspirant des tactiques électorales de l'ère Bush/Cheney, utilise abondamment cette tactique du « wedge » ; c'est d'ailleurs ce qui lui a permis d'obtenir une majorité lors des dernières élections fédérales. Tom Flanagan, un ancien conseiller de Stephen Harper, indique d'ailleurs - dans son livre Harper's Team et plus spécifiquement dans le chapitre Les 10 commandements d'une campagne conservatrice - « [qu'] il est important d'avoir des positions qui polarisent l'électorat et qui mettent dans le même panier les autres partis. Laissons les libéraux, les bloquistes, les néo-démocrates et les verts se battre pour le vote progressiste et soyons les seuls à fédérer le vote conservateur ».

Similairement, au Québec, Pauline Marois et le Parti québécois (nous aurions également pu mentionner le Parti libéral de Jean Charest ou encore les Caquistes) semblent avoir été à la même école, celle de la polarisation. De fait, le projet de Charte des valeurs québécoises s'inscrit sans l'ombre d'un doute dans une logique de « wedge politics » ; qui plus est, en laissant couler le projet dans l'oreille des médias, le PQ s'est assuré d'obtenir le pouls réel de la population. Leur positionnement ferme sur des enjeux aussi importants que les questions d'immigration, de religion, d'intégration et d'identité collective permet, en ce sens, au parti de Pauline de se faire du capital politique, comme le démontre leur récente remontée dans les intentions de vote.

Toutefois, la pratique de la division, malgré ses succès, est un couteau à deux tranchants, car bien qu'elle puisse rallier beaucoup de gens, elle peut également déplaire à plusieurs, dans l'optique où les contextes et situations évoluent rapidement. Sur ce point, l'aspect conflictuel de la charte tend de plus en plus à transcender la simple discussion, le simple clivage symbolique, au point où les répercussions et ses implications tendent à se faire sentir d'un point de vue physique et réel. Les attaques contre des individus ou des symboles religieux (l'histoire de la mosquée au Saguenay en étant un exemple concret) pourraient à ce sujet venir nuire au stratagème péquiste. En effet, lorsque la sécurité est menacée, lorsque l'ordre est attaqué, les gens tendent à serrer les rangs, voire à revenir vers le centre et le compromis ou au contraire à basculer vers l'opposé ; rappelons-nous le printemps érable !

En somme, en plus des débordements qu'elle peut occasionner, cette stratégie politique du clivage idéologique est tout aussi néfaste sur la qualité du débat. Autrement dit, ce sont généralement les passions et les émotions qui prennent le dessus, et ce au détriment de la raison et de la réflexion. La nuance devient alors un mot étranger, une notion n'a pu sa place sous peine d'être châtié par les deux extrêmes. Après toutes ces années, l'histoire se répète ; malheureusement, nous ne semblons pas apprendre de nos erreurs ..

Eh oui, nous sommes encore tombés dans le piège de la division. Certes, les mots, les méthodes, les stratégies et les acteurs changent, mais la finalité demeure la même : diviser pour mieux régner !

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