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Le Quartier de l'innovation: un début timide

L'annonce du Quartier de l'Innovation ressemble bien plus à une opération séduction qu'à un simple aléa de la vie. De surcroît, il ne faudrait pas oublier de mentionner que Montréal fêtait la semaine dernière parallèlement ses 371 années d'existence. Voilà, en somme, un autre élément qui me pousse à penser que le choix du moment relève davantage d'un raisonnement stratégique visant à assurer un maximum de visibilité.
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Il y a environ une semaine, Jean-François Lisée, ministre responsable de la région de Montréal, participa - en compagnie d'une brochette d'acteurs du monde universitaire, municipal et entrepreneurial - au lancement officiel du nouveau Quartier de l'Innovation. Malgré quelques mentions dans les médias traditionnels, un projet aussi important et ambitieux pour la métropole québécoise aurait dû recevoir une couverture médiatique beaucoup plus prestigieuse que ne l'a généré l'annonce timide de lundi dernier. Histoire de pallier à cette dérision, voici donc les grandes orientations de ce nouveau quartier thématique.

D'abord, soulignons que cette annonce n'a rien de surprenant, dans l'optique où celle-ci s'inscrit dans un processus plus général, entrepris il y a déjà plusieurs années, de thématisation spatiale. À titre d'exemple, mentionnons le Quartier International (QIM) et le Quartier des spectacles (QdS). Alors que pour le QIM et le QdS la ville de Montréal souhaitait se comparer à des quartiers d'envergure internationale comme le Loop (Chicago) et Kista (Stockholm) ou le MuseumQuarter (Vienne) et Broadway (New York), il semble qu'encore une fois la métropole - à l'instar de la Silicon Valley (Californie), du Innovation District (Boston) ou encore du 22@ (Barcelone) - semble entretenir de grandes ambitions pour l'ancien quartier Griffintown (sud-ouest de l'île). Or, le nom même de Griffintown - avec ses connotations péjoratives, reliées essentiellement aux années du cheap labor irlandais et aux récits vernaculaires -, ainsi que la trame narrative ancestrale paraissaient destinés à subir des modifications afin de transformer l'imaginaire et les représentations y étant associés.

D'ores et déjà, dans les dernières années, la ville avait mis en marche un processus de revalorisation de cet ancien quartier ouvrier. Les projets de la Cité du multimédia, de la Cité du commerce électronique, du Nordelec, de l'ETS, entre autres, ainsi que l'implantation successive de plus de 350 entreprises et près de 20 000 emplois dans le domaine des technologies de l'information et des communications (TIC), constituaient la phase préliminaire de cet important programme de revitalisation urbaine et économique. Griffintown - avec son histoire, avec les désirs de renouvellement des récits et représentations, avec la présence de nouvelles entreprises du savoir et des communications - s'avérait donc un écosystème de choix pour implanter une nouvelle narration de la créativité et de l'innovation à Montréal, une conception qui, en plus, s'imbriquait parfaitement dans le schéma global de la métropole.

Tout cela est bien beau, mais que signifie et surtout que représente le Quartier de l'Innovation? Résultat d'une collaboration entre l'École de technologie supérieure (ÉTS) et l'Université McGill, le projet est présenté comme un laboratoire vivant où collaborent (et collaboreront) des entreprises, des chercheurs, des citoyens et des organismes afin d'accroître le potentiel de créativité et d'attractivité de la ville. Pour être juste, il s'agit d'un projet, pour reprendre le terme anglais, de « innovation cluster » où trois créneaux seront principalement mis en valeur: Recherche, Formation et Industrie. Par conséquent, ces trois éléments seront intégrés à une perspective centrale de « créativité », laquelle enchâssera les dimensions sociale et culturelle.

Ainsi, ce n'est donc pas un parc industriel ou technologique que la ville et ses associés souhaitent mettre en place, mais davantage un quartier innovant, un endroit où des fonctions aussi diversifiées que le résidentiel, le commercial, l'industriel, le ludique, le savoir et le festif se côtoieront en toute harmonie. Une utopie? Peut-être. Toutefois, une chose est certaine; la ville et la province de Québec tentent de donner une direction à l'économie en orchestrant des projets à haute valeur ajoutée, et ce, dans le but de renforcer la visibilité de Montréal sur l'échiquier international. Après tout, la notoriété de la ville passe par ce genre de gestes concrets et non par un énième investissement dans l'industrie du textile ; pas que j'entretienne des préjugés sur cette industrie, mais il faut néanmoins reconnaître, en toute honnêteté, que le XXIe siècle est celui de la créativité, du festif, du savoir et du spectaculaire. L'époque industrielle, qu'on le veuille ou non, est pratiquement révolue dans la métropole.

Pour résumer, il est question d'investissements majeurs - combien exactement? Les chiffres n'ont pas encore été avancés - en matière d'intervention territoriale et d'esthétisation du quartier. Il est question d'un important volet urbain et d'une attention spéciale sur le plan social. En somme, il n'est donc pas question d'un lieu de travail, mais plutôt d'un amalgame de rôles où assurément l'objectif ultime est d'intégrer, dans le style du Quartier des spectacles, les notions d'habiter, de travailler, de créer, de vivre et de se divertir. En théorie, cette vision est louable, mais la question que je me pose est: « Pourquoi les entreprises et les investisseurs voudraient-ils venir s'installer dans un quartier de l'innovation? ». La réponse est simple, soit pour les avantages en rapport avec l'agglomération, ce que plusieurs économistes appellent les économies d'agglomération.

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O'Flaherty (2005) - s'inspirant des modèles développés par Von Thünen, Lösch et Marshall, entre autres - parle d'ailleurs de deux types d'économies d'agglomération: celles découlant de la localisation (concentration d'entreprises d'un même secteur d'activités) et celles découlant de l'urbanisation (concentration d'entreprises de différents secteurs d'activités). À cet égard, il montre que la concentration spatiale d'entreprises, dans ce cas-ci innovantes, permet d'obtenir des bénéfices importants, notamment des rendements croissants d'échelle et des économies d'échelle (internes à l'entreprise). Bien plus, les retombées informationnelles et l'accessibilité à un bassin de travailleurs spécialisés constituent également des bénéfices non négligeables directement en liens avec l'agglomération, un rôle qu'aspire à devenir le Quartier de l'Innovation.

En dernière analyse, je me pose une autre question; une qui ne concerne pas tant l'annonce elle-même, mais plutôt le choix du moment. « Ce choix est-il le résultat du hasard ou relève-t-il d'une stratégie de mise en marché, voire de médiatisation? » Quelques éléments nous permettre de croire en la seconde hypothèse, malgré que... Ah enfin! Dans un premier temps, l'annonce du QI s'est faite en marge de la visite de Jason Kenney dans la baie de San Francisco, où le ministre conservateur avait un objectif incitatif avec son projet StartUp Visa; un voyage politico-économique qui visait essentiellement à attirer (au Canada, mais pas au Québec) des travailleurs et entrepreneurs immigrants (actuellement aux États-Unis) qui subissent les contrecoups du système H-1B.

Dans un second temps, l'annonce du QI s'est faite aussi à moins d'une semaine de la grande conférence internationale C2-MTL, un évènement qui réunit des centaines de chefs d'entreprise et qui possède une renommée mondiale. Sur ce point, la conférence avait justement pour thème « Montréal : capitale mondiale de la créativité ». N'est-ce pas un drôle de hasard? ... Pour ma part, l'annonce du Quartier de l'Innovation ressemble bien plus à une opération séduction qu'à un simple aléa de la vie. De surcroît, il ne faudrait pas oublier de mentionner que Montréal fêtait la semaine dernière parallèlement ses 371 années d'existence. Voilà, en somme, un autre élément qui me pousse à penser que le choix du moment relève davantage d'un raisonnement stratégique visant à assurer un maximum de visibilité. Pourtant, comme nous l'avons noté en ouverture de ce texte, la médiatisation semble avoir fait défaut lors du lancement officiel. Le peu d'articles sur le sujet semble d'ailleurs valider cette affirmation... Donc, en fin de compte, était-ce la conséquence du hasard ?

Sources

- Ingram, Gregory (1998). Patterns of Metropolitan Development : What have we learned?, in Urban Studies, Vol. 35, No. 7, pp. 1019-1035

- O'Flaherty, Brendan (2005). City Economics, Harvard University Press, pp. 11-33

- Parr, John (2002). Agglomeration economies : ambiguities and confusions, in Environment and Planning A, Vol. 34, pp. 717-731

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