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Ma femme, l'enseignante humiliée

Ma femme, comme l'ensemble des hommes et des femmes qui enseignent à nos enfants, travaille plus d'une dizaine d'heures par semaine bénévolement. Et vous souhaitez accroître ses tâches sans la payer davantage?
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Monsieur le ministre,

Je vous écris en considération de ma femme, qui est enseignante au primaire. Elle ne sait pas que je prends la parole, que je vous écris cette lettre. Je le fais de mon propre chef, pas en son nom, mais plutôt pour elle, ainsi que pour tous les enseignants et les enseignantes du Québec.

Vous savez, ma femme est une personne dévouée, fière et généreuse qui, comme beaucoup de nos enseignants québécois, ne compte pas ses heures. Chaque matin, elle arrive à l'école plus d'une demi-heure à l'avance et quitte une heure après le départ des élèves... parfois plus tard. Chaque soir, après le souper, elle passe plusieurs heures à planifier ses activités et ses cours, à corriger les devoirs, à évaluer ses élèves, à préparer les bulletins, à communiquer avec les parents.

Le week-end, c'est la même routine qui se répète depuis quelques années déjà... Le samedi matin, après notre déjeuner, ma femme doit impérativement organiser et structurer la semaine qui vient; elle passe donc la majeure partie de sa journée de congé à travailler, et ce sans être payée. Loin d'être seule dans cette situation, son quotidien est celui de milliers d'enseignants et d'enseignantes. Ma femme, c'est aussi votre mère, votre père, votre frère, votre sœur, votre tante, votre ami(e)...

Monsieur le ministre, à la lumière de vos décisions et de votre attitude, je dois candidement avouer que vous me décevez grandement. Votre conception du monde de l'éducation m'apparaît sombre et sordide, tout comme votre respect pour la profession enseignante.

D'ailleurs, vos offres, en plus d'être inacceptables, sont complètement déconnectées de la réalité. Que ce soit l'accroissement du nombre d'élèves par classe, l'augmentation de la semaine de travail, et ce sans compensation monétaire, la proposition de gel salarial jusqu'en 2016 ou encore la pseudo «augmentation» d'un pour cent par année sur trois ans (2016-2019), il va sans dire que je suis sidéré par votre comportement indigne de votre fonction.

Monsieur le ministre, j'aimerais humblement vous rappeler que votre travail ne consiste pas à saccager l'éducation, ni à humilier ses représentants et ses serviteurs, mais bien à le faire évoluer, à le faire rayonner, tout comme vous êtes mandatés pour accroître la considération à l'égard de la profession et de ses tenants.

Monsieur le ministre, malgré cette croyance que ma femme travaille uniquement 32 heures par semaine, je peux vous affirmer, sans l'ombre d'un doute, que son horaire s'approche beaucoup plus de 45-50 heures.

Vous en doutez? Je vous mets donc cordialement au défi de préparer les activités et les cours pour la semaine, de corriger tous les devoirs (examens, travaux, etc.), de faire le suivi avec les nombreux parents, d'évaluer hebdomadairement vos élèves, de participer aux divers comités, de vous présenter aux formations, de vous impliquer dans les multiples rencontres (directions, intervenants, spécialistes, etc.), de prendre part aux réunions (multi-niveaux, syndicales, etc.), d'être présent lors des surveillances attitrées, et bien entendu d'enseigner près de 25 heures.

Ainsi, en prenant la peine de soustraire les heures obligatoires d'enseignement, j'aimerais que vous me démontriez - à moi, à ma femme, ainsi qu'à tous les autres - que vous êtes en mesure de réaliser l'ensemble des tâches énumérées précédemment, et ce, dans les sept heures restant à votre horaire de 32 heures. À n'en point douter, vous n'y arriverez pas, à moins d'y consacrer des heures supplémentaires non rémunérées.

Conséquemment, ce que je comprends d'une telle conclusion, c'est que ma femme, comme l'ensemble des hommes et des femmes qui enseignent à nos enfants, travaille plus d'une dizaine d'heures par semaine bénévolement. Et vous souhaitez accroître ses tâches sans la payer davantage? J'espère que vous saisissez les raisons de la grogne actuelle...

Monsieur le ministre, votre mission première est de renforcer la qualité de l'éducation; mais, pour ce faire, vous devez obligatoirement prendre en compte les hommes et les femmes de terrain. Ma femme, chaque jour, se bat pour vous, pour nous, pour nos enfants, pour notre avenir... En contrepartie, le général, plutôt que de l'épauler, lui met des bâtons dans les roues, dénigrant littéralement son travail, remettant en question son dévouement et ses aptitudes.

Pourtant, au cœur de l'armée, tout général qui sacrifierait ses soldats serait rapidement remplacé ou renversé. Monsieur le ministre, il est plus que temps de cesser l'humiliation et d'honorer vos troupes!

Monsieur le ministre, je vous laisse, non sans crainte, mais néanmoins avec espoir... avec l'espoir que vous saurez comprendre et reconnaître que les enseignants sont les porteurs d'avenir, les messagers pour la jeunesse, qui se cherche et qui désire s'épanouir. Je termine cette missive sur une magnifique citation d'Hannah Arendt, cette grande philosophe de la pensée:

«L'éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité, et de plus, le sauver de cette ruine qui serait inévitable sans ce renouvellement et sans cette arrivée de jeunes et de nouveaux venus. C'est également avec l'éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d'entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n'avions pas prévu, mais les préparer d'avance à la tâche de renouveler un monde commun.»

Bien à vous,

Le mari d'une enseignante humiliée.

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