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La fin du grand intégrateur travail

Le travail constitue-t-il encore une valeur centrale dans nos sociétés contemporaines et «sur-industrialisées»? Sur cette question, un débat socio-économique fait rage: le travail, comme élément principal de notre identité, est-il sur le point de s'estomper ou demeure-t-il encore l'élément prédominant de notre affirmation individuelle?
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Le travail constitue-t-il encore une valeur centrale dans nos sociétés contemporaines et « sur-industrialisées »? Sur cette question, un débat dichotomique fait rage, auquel sont confrontés, d'un côté, les partisans de la thèse développée par Rifkin (1996) - qui affirme que le travail, comme élément principal de notre identité, est sur le point de s'estomper - et, de l'autre, les tenants de la vision soutenue par Barel (1990), pour qui le travail demeure encore l'élément prédominant de notre affirmation individuelle. Qu'en est-il vraiment?

Pendant longtemps le travail a été présenté, vécu et perçu comme le grand intégrateur de l'humain à la société. Au fil du temps, et encore plus depuis les premiers balbutiements du capitalisme, la majorité des individus se sont accomplis dans leur emploi quotidien. La réalisation de soi passait inévitablement par le travail effectué; par exemple, les individus, lorsqu'ils se présentaient à autrui, se définissaient par leur statut professionnel, démontrant fierté, sûreté et dévotion dans les tâches qu'ils accomplissaient répétitivement jour après jour.

Bien plus, le travail était aussi un important intégrateur de la vie sociale, dans la mesure où l'individu, à travers son organisation, son entreprise, ou son corps de métiers, tissait des liens avec les autres. Le travail était, conséquemment, une méthode d'affirmation personnelle, un gage de réussite et, pour reprendre les termes de Bourdieu (1977), un élément de positionnement social. En somme, historiquement, le travail a joué un rôle d'accroissement de la richesse (économique, sociale, culturelle) personnelle et collective, ainsi que d'émancipation et d'épanouissement. Même sur le plan de la religion, le travail était une façon de se distinguer, de « gagner son ciel ».

Or, aujourd'hui la précarité - notamment au niveau des conditions, des bénéfices, du statut - et l'incertitude - reliée principalement au chômage, aux diminutions salariales, aux coupures budgétaires, au renvoi de collègues, etc. - ont affaibli le statut du travail comme repère de la vie privée et publique. L'émergence et, conséquemment, l'accentuation des conditions (ou plutôt des non-conditions), des horaires éclatés, du travail surnuméraire (ou sur appel) constituent des répercussions négatives de l'orientation prise par nos sociétés et nos gouvernements. À cet effet, la rationalisation néolibérale, ainsi que son dérivé « la globalisation » ont créé, au nom de l'efficacité et du rendement, cette conjoncture et, par conséquent, la chute du grand intégrateur travail.

Sur ce point, les conséquences, aussi bien sur l'individu que pour l'intérêt commun, sont actuellement désastreuses comme le prouve l'augmentation des problèmes d'ordre personnels. D'ailleurs, l'effritement de la confiance, la remise en question identitaire, l'ambiguïté des choix et la difficile assumation qui en résulte sont des obstacles qui peuvent facilement mener à des problèmes plus fondamentaux comme l'(auto)exclusion, la stigmatisation, la dépression ou autres. Sans doute l'exemple le plus frappant pour l'imaginaire, du moins depuis la crise financière de 2008, est celui de la Grèce.

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Mais, plus près de nous, dans notre propre cour, il y a les jeunes qui, le printemps dernier, ont partiellement manifesté cette peur rattachée au problème de la désintégration du travail. Malgré une scolarisation sans précédent, nos jeunes découvrent le mythe de l'éducation, celui de la « sur-scolarité » et, par le fait même, de l'insécurité. Il n'est pas étonnant qu'ils vivent des périodes d'angoisse et de rébellion; après tout, leurs parents, lors des Trente glorieuses, décrochaient, sans même avoir de diplôme, des emplois avec des conditions avantageuses, d'excellents salaires et pourvus d'une sécurité à long terme. Or, après des études prolongées, le jeune, qui croyait avoir assuré son avenir, réalise les dessous d'un système vicieux; il prend conscience que les décisions prises jadis ne lui sont guère favorables. Pourtant, tout au long de sa vie, la société l'a conditionné à faire des études, lui promettant en retour un bon emploi... Rappelez-vous, un instant, les paroles de vos parents: « Va à l'université Mathieu, si tu veux réussir et avoir une bonne job ». Qu'on le veuille ou non, beaucoup de jeunes se sont fait avoir!

Devant ce contexte, la prostitution morale et éthique - certainement un des contrecoups de l'affaiblissement du travail en tant qu'élément de structuration de la vie sociétale - est devenue une tangente à la mode. Plus que jamais, les gens sont prêts à tout pour assurer (c'est un grand mot) leur avenir, pour monter dans la hiérarchie ou encore pour s'inviter dans les cercles importants. En fait, certains sont prêts à en faire beaucoup pour moins que cela.

Cela dit, ce phénomène a pour conséquence, nous le constatons chaque jour, la décomposition des liens communaux et de l'esprit de solidarité, engendrant, dans cet ordre d'idées, un renforcement du principe du « me, myself and I ». Nous assistons ainsi au triomphe de l'individualisme, un résultat direct des choix opérés par nos dirigeants, qui pourtant affirmaient vouloir consolider les liens sociaux. Était-ce encore une façon de diviser pour mieux régner ou tout simplement un mauvais choix de société?

SOURCES:

- Barel, Y. (1990), Le grand intégrateur, in Connexions, No. 56.

- Baudelot, C. et M. Gollac (2003), Travailler pour être heureux, Ed. Fayard, 351 pages.

- Bourdieu, Pierre (1979), La Distinction: Critique du jugement social, Les Éditions de Minuit, 672 pages.

- Meda, D. (1995), Le travail, une valeur en voie de disparition?, Flammarion, 358 pages.

- Rifkin, J. (1996), La fin du travail, La Découverte, 476 pages.

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