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Laïcité ouverte: haro sur l'aveuglement volontaire

Seymour se dit d'accord: la laïcité ouverte ne doit pas permettre de discrimination sexuelle sous prétexte d'accommodement religieux.
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Il est primordial que les intellectuels du calibre de Michel Seymour continuent de participer aux débats publics concernant la liberté de religion et d'expression, la laïcité et la sécularisation. Il s'agira d'enjeux parmi les plus importants du XXIe siècle, au Québec comme ailleurs.

Que M. Seymour ait pris le temps de répliquer à ma lettre au Devoir du 19 avril dernier doit donc être salué. Je me désole toutefois qu'évitant soigneusement le sujet de cette lettre, il ait commodément décidé de revenir sur la Charte des valeurs péquiste, dont il n'était aucunement question mais que Seymour considère représenter les principes de laïcité «stricte» qu'il m'impute.

On ne me tiendra donc pas rigueur d'en référer à nouveau au cas américain, un angle mort du débat québécois et que Seymour, m'accusant pourtant d'user de «rhétorique facile» et de «raccourcis», ne mentionne pas une seule fois. Car il s'agit d'ouvrir les frontières du débat, et non de «rendre service à la cause souverainiste» comme Seymour m'y enjoint. En tant que citoyen, je considère troublant qu'un universitaire chevronné attende d'un collègue qu'il taise ses réflexions afin de ne pas nuire à une cause ou une autre. Si dénoncer les dérives homophobes et misogynes amorcées aux États-Unis au nom de la liberté religieuse nuit à «la cause», alors soit. Ce débat est trop important pour être soumis à une perspective provincialiste.

Seymour me fait enfin les reproches habituels: mon texte recèlerait un «repli identitaire» et un «nationalisme du ressentiment». Mais envers qui ou quoi témoigne-t-il d'intolérance? Envers les décideurs instrumentalisant la liberté de religion au profit d'idées rétrogrades? J'avoue. Envers les croyants se permettant de discriminer femmes et homosexuels au nom de «convictions sincères»? Coupable. Envers un gouvernement du Québec et une Cour supérieure considérant que les mariages religieux ne concernent pas l'État? Absolument. Envers une conception de la laïcité qui facilite la vie des acteurs susmentionnés? Je le confesse et, si Seymour suggère qu'il faille tolérer ce que je dénonce, il y a lieu d'être inquiet.

Seymour se dit d'accord: la laïcité ouverte ne doit pas permettre de discrimination sexuelle sous prétexte d'accommodement religieux. Or, comme le cas de la SAAQ auquel je référais l'a montré, elle le permet, et sur approbation de la Commission des droits de la personne de surcroît. Alors, dîtes-nous M. Seymour: en quoi refuser d'être servi par une fonctionnaire québécoise parce qu'il s'agit d'une femme est-il moins «ignoble» que de refuser de servir un homosexuel du Mississippi? Vous reconnaissez aisément l'ignominie du second cas, mais considérez que le premier relève d'un simple «désaccord sur certains points» entre partisans de la laïcité ouverte. Ce double discours est affligeant. Combien de «désaccords» aussi fondamentaux êtes-vous prêt à tolérer?

Ayant décidé de répliquer à ma lettre «par l'absurde», Seymour estime que de dénoncer les dérives engendrées par la laïcité ouverte au Mississippi revient à dire que cette laïcité «ne peut être freinée par d'autres droits». Or, il y a une différence entre l'absurde, consistant à souligner le décalage entre l'idée qu'on se fait du monde et la réalité, puis le ridicule, relevant de la plaisanterie. Prétendre comme le fait Seymour que les principes inhérents à la laïcité ouverte ne peuvent mener à des dérives inacceptables sans qu'il soit nécessairement question de «laxisme débridé» ou d'une totale prépondérance accordée à la liberté religieuse relève du ridicule.

Ce qui est absurde est plutôt ce refus enfantin de concevoir que les principes qu'il défend puissent être invoqués avec succès pour justifier des fins qu'il n'approuve pas. Si Seymour s'était intéressé au HB1523 du Mississippi et aux principes des Religious Freedom Restoration Acts adoptés par plus d'une trentaine d'États américains depuis Burwell c. Hobby Lobby (2014), il n'aurait eu à se réfugier ni dans l'absurde, ni dans le ridicule. Dans tous ces cas, les principes centraux de la laïcité ouverte défendus autant au Québec qu'aux États-Unis ont servi à subordonner les droits des femmes et des homosexuels à la liberté religieuse, et ce nonobstant le fait qu'il n'y ait entre ces droits, aux États-Unis pas plus qu'au Québec, de hiérarchie de jure.

Le Religious Freedom Restoration Act fédéral, adopté en 1993, stipule que la liberté religieuse ne peut être restreinte que si cela sert un intérêt public supérieur et qu'il s'agit du moyen le moins contraignant de le servir. Lorsque Seymour prétend que les droits des femmes et des LGBT constituent un tel intérêt public, que la laïcité ouverte protège, il omet donc la deuxième condition régulièrement invoquée par les partisans de ce type de laïcité, y compris au Québec. Or, c'est cette deuxième exigence qui a permis à la Cour suprême des États-Unis (à 5 contre 4) de juger en 2014 que les petites entreprises - 90% des entreprises et plus de 50% des salariés américains - n'ont pas à couvrir les frais des pilules contraceptives de leurs employées si cela heurte les croyances religieuses des propriétaires.

Ces deux principes sont au cœur des lois corollaires adoptées à travers les États-Unis depuis deux ans, et sont derrière le HB1523 voté au Mississippi récemment. Rien de tel ne pourrait se produire au Québec, n'est-ce pas? Ne soyons pas si chauvins: la décision de la Cour suprême américaine dans Burwell c. Hobby Lobby n'aura qu'étendu aux petites entreprises ce qui était déjà applicable aux organismes religieux et à but non lucratif, un type d'exemption que l'on retrouve encore dans la Charte québécoise des droits et libertés: «une distinction, exclusion ou préférence justifiée par le caractère religieux d'une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d'un groupe ethnique est réputée non discriminatoire» (art 20).

Voyez-vous M. Seymour, alors que vous me reprochez de «distinguer les groupes religieux des autres groupes», c'est la loi qui le fait.

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Mai 2017

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