Entre le début des années 80 et la moitié des années 90 apparut la génération Y. Souvent caricaturée comme apolitique ou amorphe, celle-ci est constamment victime d'un paternalisme lourd et insipide de la part des générations précédentes. Dépeinte comme individualiste et sans respect pour l'autorité par une bonne partie des boomers, critiquée pour sa lâcheté et son manque de participation par plusieurs X, il semblerait à première vue qu'une véritable génération superflue soit née. Mais qu'en est-il lorsque ces qualificatifs sont mis en relation avec le contexte de socialisation des jeunes Y?
Contrairement aux boomers et aux X, les Y ont vu le jour dans un monde en constant recul sur les valeurs et les acquis progressistes : deux référendums manqués, les progrès électoraux de partis d'extrême droite en Europe, le retour du monothéisme, la mondialisation néolibérale, l'augmentation drastique des inégalités économiques, la dégradation de l'environnement, le terrorisme islamique, le développement d'une nouvelle vague de racisme contre les personnes provenant du Moyen-Orient, le phénomène de « backlash » masculiniste, etc. Le tout dans une atmosphère politique où les puissances réactionnaires se donnent un style « rebelle ». Il n'est pas une journée sans que les animateurs de radios poubelles ne tentent de se faire passer pour des « dissidents » malgré leur soutien inconditionnel aux politiques de droite et aux forces de l'ordre qui matent les véritables dissidents et dissidentes.
«Si le ''No future'' des punks précède la naissance des premiers et des premières Y, il faut admettre qu'il s'agit bel et bien du slogan de cette génération jetée dans un monde décadent, voire nihiliste.»
Si le « No future » des punks précède la naissance des premiers et des premières Y, il faut admettre qu'il s'agit bel et bien du slogan de cette génération jetée dans un monde décadent, voire nihiliste. Les statistiques sont plus déprimantes les unes que les autres : chômage, précarité, pauvreté, endettement, problèmes psychologiques, autant de domaine où les Y se distinguent. En somme, la qualité de vie de ma génération sera fort probablement moindre que celle des deux générations l'ayant précédée et ce, sans prendre en compte les effets de la dégradation de l'environnement. Le corolaire de cet état de fait est l'inévitable absurdité du travail. En effet, pourquoi se fatiguer avec le boulot si de toute façon nous sommes condamnés à moins que nos parents et grands-parents? Pourquoi gaspiller notre énergie à travailler si c'est pour ravager la seule planète qui puisse nous permettre de vivre? La prétendue lâcheté des Y trouve ici sa source. Le sentiment de l'absurdité et de l'aliénation donne le cafard. S'il est vrai que peu de gens ont explicitement conscience du phénomène, presque tous et toutes le ressentent d'une manière ou d'une autre.
Mais tout n'est pas perdu et contrairement à l'opinion que tendent à véhiculer les paternalistes. La génération Y a en elle sa propre force émancipatrice. Son aversion pour l'autorité, son individualisme (qu'il faut distinguer de l'égoïsme) et ses exigences élevées sont de véritables bombes à retardement pour le vieil ordre conservateur. N'est-ce pas d'ailleurs pourquoi ces traits de caractère sont les plus reprochés aux membres de la génération Y? Patrons, prêtres et grands timoniers de tous les peuples craignent précisément cette pulsion libertaire qui brûle dans la jeunesse de tous les temps. Alors qu'il était autrefois très facile de corrompre les jeunes en les intégrant au travail, les promesses pécuniaires ne tiennent plus qu'à un fil aujourd'hui. Quand le système fonctionne « bien », il produit des inégalités et la classe politique en profite pour retrancher des acquis sociaux. Quand il va mal, le chômage, la précarité et l'endettement serrent les individus à la gorge.
Face au nihilisme de l'avenir proposé à la jeunesse explosent périodiquement les révoltes et il n'est pas un mois sans qu'un pays d'Europe ou d'Amérique ne soit secoué par des manifestations. Ma génération a le sang chaud et au plus profond de ses désirs se cache la revendication d'une vie libérée des mécanismes de prolétarisation qui aliènent et broient les rêves pour ne laisser que la lassitude d'une vie répétitive et déclinante. En anglais, cette génération se prononce « Why » et c'est là sa caractéristique principale. Les Y questionnent toute chose et ne se contentent pas du « parce que c'est comme ça » qui sert trop souvent de réponse. L'espoir est de ce côté.
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