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Généalogie profane du jihad

Si parmi les trois dernières catégories de jihad, deux sont effectivement violentes, aucune de celles-ci ne saurait réellement justifier le terrorisme individuel au cœur d'États non musulmans.
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Après la publication de deux billets concernant la laïcité et l'athéisme, j'ai été accusé de faire le jeu de l'islam radical des jihadistes en m'attaquant à la tradition judéo-chrétienne. Dans le présent billet ainsi que dans le suivant, j'entends démontrer qu'il est loin d'en être ainsi.

Dans un premier temps, j'examinerai le phénomène du jihad dans une optique tout à fait matérialiste en prenant en compte le contexte socioéconomique et politique de l'islamisme.

Dans un second temps, j'aimerais proposer quelques thèses visant une solution à long terme du problème jihadiste sans avoir recours à la haine belliciste occidentale qui a justement donné naissance au problème. J'emprunterai donc la devise spinoziste «Ni rire, ni pleurer, mais comprendre», afin d'envisager une sortie de crise rationnelle.

Tout d'abord, soulignons le fait que le mot jihad ne peut pas être systématiquement traduit par guerre sainte dans les textes sacrés. Il est également avéré qu'il commence toujours par la division et l'identification du domaine de l'Oumma (communauté des croyants) et du domaine de l'impiété parfois nommé «domaine de la guerre». Le but conséquent est d'éliminer l'impiété. Cependant, il existe plusieurs façons d'interpréter cette mission. Bien que plusieurs courants de l'islam acceptent jusqu'à un certain point la définition littérale et belliqueuse du jihad, ceux-ci ne font pas l'unanimité. Pour faire advenir une cohérence avec l'ambigüité du terme «jihad», certains courants utilisent une interprétation allégorique visant à l'identifier à une guerre spirituelle contre les vices. C'est ainsi que le terme peut à la fois signifier une ascèse spirituelle et une guerre sainte étant donné qu'elle est transposée dans l'«âme». Il s'agit donc de faire la paix en soi en éliminant le domaine de la guerre.

Ce qui dans une interprétation littérale signifierait la guerre contre les impies devient donc, dans l'interprétation allégorique, un travail sur soi dans une optique pieuse. Bien que ce jihad soit présent et respecté dans tous les courants de la religion musulmane, la définition purement spirituelle de ce dernier rencontre toutefois certaines limites historiques. En effet, les grands mystiques adeptes de celle-ci ont fait face à une répression de la part d'autorités musulmanes.

Alors qu'il existe un jihad dit «majeur» exclusivement spirituel, trois types relativement violents coexistent: l'offensif, le défensif et finalement, le jihad total dont l'apparition est assez récente. Le type offensif est surtout lié aux conquêtes militaires et territoriales. Historiquement, celui-ci s'est surtout illustré avec les premières conquêtes musulmanes. Il s'agit d'une obligation dite collective puisque cette dernière concerne la collectivité en tant qu'entité transcendant les individus la composant. Pratiquement, cela signifie que ce jihad est une obligation qui concerne le calife ou tout autre chef d'État musulman ainsi que le sommet hiérarchique de l'armée. Les citoyens appartenant à la religion musulmane sont peu concernés par cette obligation codifiée dès le IXe siècle dans un contexte historique de conquêtes impérialistes. Encadré par des règles, son déclenchement est entre les mains des souverains musulmans. Ceux-ci sont assistés et conseillés par des religieux veillant à ce que les excès allant à l'encontre de la doctrine musulmane ne se produisent pas.

Bien que le dernier type de jihad soit lié à la guerre, il n'est généralement pas l'occasion d'actes terroristes individuels. En fait, ce sont plutôt des conflits planifiés par des autorités plus politiques que religieuses. La situation est tout autre avec le jihad défensif. Ce dernier est une obligation individuelle nécessaire à la survie de l'Oumma. Il concerne donc le croyant ou la croyante en tant que personne et non la collectivité. C'est une mesure d'urgence dont la gravité est telle qu'il peut abroger plusieurs pratiques religieuses dans la stricte mesure où cela assure la sécurité de l'Oumma. Cependant, ces abrogations sont conditionnelles au fait qu'un jihad de type défensif est un état d'exception limité dans le temps. Alors que la guerre sainte offensive pouvait être proclamée par les autorités politiques musulmanes, le jihad défensif requiert un tout autre protocole compte tenu de son état d'exception. C'est aux autorités religieuses peu hiérarchisées et centralisées que sont les oulémas et les mollahs que revient en grande partie le droit le proclamer.

Si parmi les trois dernières catégories de jihad, deux sont effectivement violentes, aucune de celles-ci ne saurait réellement justifier le terrorisme individuel au cœur d'États non musulmans. Or, il en existe un dernier type dont l'émergence est récente et qui peut justifier les actions exigées par des gens comme Ben Laden, Abubakar Shekau ainsi que le calife al-Baghdadi de l'État islamique.

Le jihad total est le descendant généalogique d'une théorie d'Hassan al-Banna (1906-1949), un membre fondateur des Frères musulmans. Selon ce dernier, la communauté musulmane était menacée dangereusement par l'hégémonie culturelle du monde non-musulman et pour cette raison, un jihad défensif devait être proclamé à échelle mondiale. C'est en 1979 que se concrétisera cette idée lorsqu'un État laïque et matérialiste, l'Union soviétique, envahira l'Afghanistan. L'impérialisme ainsi que l'impiété des Soviétiques furent le prétexte pour qu'un consensus assez large s'établisse entre les oulémas et mollahs de partout à travers le monde. À l'occasion de ce jihad mondial interpelant tous les croyants, une quantité importante de ressources humaines, militaires et financières se concentrèrent en Afghanistan pendant plusieurs années. De plus, il faut également souligner le rôle des États capitalistes alignés sur Washington. Ceux-ci donnèrent du soutien à des groupes armés contre l'Union soviétique, notamment à un réseau qui devint plus tard Al-Qaïda. En février 1989, lorsque les Soviétiques se retirèrent de l'Afghanistan, il y avait donc dans le pays une concentration de jihadistes professionnels qui s'organisèrent en groupes permanents.

Depuis la chute de l'URSS, l'implication occidentale au Moyen-Orient a réuni une fois de plus les ingrédients nécessaires afin que la poudrière islamique explose. En guise d'amorce pour le prochain texte, rappelons-nous l'importance de l'impérialisme dans l'émergence de cet islam radical. Il est certain que répéter une fois de plus les erreurs du passé serait tout à fait irresponsable et dangereux.

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