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Être préposé aux bénéficiaires

On parle toujours des médecins. On parle souvent des infirmières. On ne parle que trop rarement des préposés aux bénéficiaires. Vous êtes essentiels, vous êtes un maillon important de la chaîne. Vous, qui faites de ce métier votre profession et qui trouvez la force de sourire, je vous lève mon chapeau bien haut.
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Je suis préposée aux bénéficiaires depuis plus de trois ans. Ç'a toujours été «en attendant». J'ai toujours effectué ce travail en allant à l'école. Si je pouvais difficilement demander mieux comme emploi étudiant, l'idée d'une fin imminente me rassure. Ça m'aide à tenir le cap. Même si je travaille avec les enfants, je ne pourrais jamais faire ça toute ma vie (ou du moins, durant 35 ans). C'est trop exigeant. Cependant, cette exigence est le lot quotidien de la réalité de plusieurs personnes, qui se dévouent corps et âme pour ce métier, pour cette profession. Et la plupart du temps, on passe leurs exploits sous silence, parce qu'ils sont juste préposés aux bénéficiaires. Parce qu'on n'a jamais réellement idée de ce que ça implique comme travail.

Je côtoie des personnes qui travaillent à l'hôpital depuis trente ans. Des personnes qui ressentent les effets des compressions budgétaires plus que quiconque, car elles ont connu l'avant. Des personnes à qui on ne dit pas «Essaie d'en faire autant avec moins», mais à qui on dit «Fais-en davantage avec moins». Des gens qui se font trop souvent traiter comme des numéros par une bureaucratie qui n'a cure de savoir que certaines méthodes de travail utilisées sont inadéquates, voire dangereuses. Ça fait plus de 36 mois que j'observe ces personnes courir de gauche à droite, en se faisant donner des ordres de tous bords, tous côtés. Des personnes qui continuent malgré tout. Vous n'avez aucune idée à quel point ce métier, même s'il regorge de richesses, peut s'avérer ingrat.

C'est un travail que la majorité des gens ne toucheraient pas du bout des doigts. Imaginez transporter un vieillard jusqu'à son bain en ayant l'heureuse surprise de constater qu'il s'est déféqué dessus, en plus de l'entendre rire. Il ne faut pas lui en vouloir, il fait de l'Alzheimer. Si ça se trouve, il ne sait pas où il est. Il ne sait même pas quel âge il a. Cependant, on ne mobilise pas un homme de 80 ans comme on mobilise un enfant de 4 ans; on ne peut même pas espérer une minime contribution de sa part. Il faut donc l'essuyer, en plus d'essuyer une partie du dégât qui est tombé par terre (avec les odeurs qui viennent avec), tout en assurant une surveillance constance pour qu'il ne tente pas des manoeuvres qui pourraient s'avérer dangereuses pour lui. Aussi mal en point, que ce soit un homme de 80 ans, il n'en demeure pas moins un homme. Vous essaierez de faire comprendre à quelqu'un de cet âge, qui ne se souvient même plus de son prénom, qu'il doit coopérer. Vous ne pouvez pas le prendre dans vos bras pour le calmer ou le plonger dans le bain.

J'ai travaillé un weekend en centre d'hébergement de soins de longue durée. Vous avez bien lu. Un weekend. Et pourtant, j'en ai vu d'autres. Je ne suis pas le genre de personne qui abandonne à la moindre difficulté. Je persévère, normalement. Mais pas cette fois-ci. Je n'ai pas pu. J'ai démissionné lorsqu'on m'a dit que je prenais trop mon temps avec les patients. «Trop mon temps» voulait dire vingt minutes par patient. Vingt minutes pour faire quoi , vous demanderez-vous. Premièrement, ce vingt minutes était dédié au réveil du patient (tel que mentionné plus haut, on ne réveille pas une personne âgée souffrante comme on réveille un enfant). Ensuite, je devais la laver à la débarbouillette et l'habiller. Je devais lui brosser les cheveux et les dents, lui mettre son dentier et la transporter jusqu'au fauteuil roulant à l'aide d'un lève-personne, la plupart du temps. Enfin, je devais l'amener dans l'ère commune pour qu'elle puisse déjeuner. Vingt minutes pour faire tout ça me semblait bien peu, jusqu'au moment où on me dit que je devais faire tout ça en dix minutes. Oui, oui, en dix minutes.

Et là, n'allez pas croire que je travaillais dans un de ces centres douteux qui affichent des offres d'empois à 11$/heure sur Emploi Québec. Non. C'était un beau centre, neuf. Un genre de CHSLD de carte postale. C'était comme un rêve, vu de l'extérieur. Des façades jaunes et roses, de l'herbe à profusion, des installations neuves; un quartier tranquille, un personnel d'accueil souriant. C'est sur les étages que ça se gâtait. Là où l'oeil critique du visiteur ne pouvait aller. Ainsi, je démissionnais après deux jours. Une semaine plus tard, j'étais engagée dans un hôpital pour enfants.

J'ai alors appris que les préposés aux bénéficiaires étaient loin d'être juste des préposés. Ils s'occupent de distribuer les cabarets lors des repas, de les récupérer à la fin, de peser les patients, de les transporter lors de leurs examens et d'aller les chercher lorsqu'ils sont terminés. Ils se chargent aussi de vider les chambres lors des départs et ils s'assurent que rien ne manque lors d'une admission. Ils remplissent les chariots à médicaments, la literie et se déplacent d'un bout à l'autre de l'hôpital, tantôt pour aller porter un prélèvement à la banque de sang, tantôt pour aller chercher un fauteuil roulant. Ils donnent aussi des bains, aident les nouvelles mamans lors de leur premier levé à la suite d'un accouchement, amènent des verres d'eau, beurrent des rôties et répondent aux appels des patients. Ils peuvent travailler le jour, le soir et la nuit et parfois même sur deux quarts de travail si quelqu'un n'entre pas. Ils sont demandés lorsque l'infirmière n'est pas disponible et doivent parfois se priver de la pause qui leur est due.

On parle toujours des médecins. On parle souvent des infirmières. On ne parle que trop rarement des préposés aux bénéficiaires. Vous êtes essentiels, vous êtes un maillon important de la chaîne. Vous, qui faites de ce métier votre profession et qui trouvez la force de sourire, je vous lève mon chapeau bien haut.

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