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Il y a huit mois, des milliers de femmes brisaient la chaîne du silence. Une question demeure: pourquoi ne pas avoir dénoncé avant? Pourquoi avoir attendu?
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Il y a huit mois, des milliers de femmes brisaient la chaîne du silence et sortaient de l'ombre à l'aide du mot-clic #AgressionNonDénoncée. Nous avons alors appris que plusieurs femmes de notre entourage avaient subit ce que l'on appelle une agression.

Des mois plus tard, une question demeure: pourquoi ne pas avoir dénoncé avant? Pourquoi avoir attendu?

Nous croyons toujours savoir comment nous aurions réagi si une telle situation nous était arrivée. C'est toujours facile, en théorie. Cependant, lorsque l'on passe de la théorie à la pratique, les choses se corsent et on réalise alors que c'est loin d'être évident. Parfois, on se donne même le droit de croire que ces femmes sont «molles»; qu'elles n'ont «pas de colonne». On croit qu'elles sont faibles. Nous sommes persuadés que nous serions allées au poste de police en courant si cela nous était arrivé.

Si c'était aussi aisé, c'est ce que toutes les femmes feraient.

Lorsque nous pensons au terme «agression», une image nous vient en tête: le cliché. Nous pensons à l'homme qui attend sa proie dans une ruelle sombre d'Hochelaga-Maisonneuve, en forçant la victime à l'aide d'un couteau qu'il aurait préalablement mis sous la gorge de celle-ci. Cependant, la réalité est souvent beaucoup plus subtile que ça; beaucoup moins évidente.

L'agresseur est parfois un ami, parfois le cousin d'un ami et parfois même un amoureux. Cela peut alors biaiser nos perceptions et nos impressions. «Mon ami ne m'aurait jamais fait ça», ou encore: «Il ne m'a pas battu. Est-ce qu'on peut considérer ça comme une agression quand même?» On se demande souvent si c'était si pire que ça. Généralement, on préfère ranger cet épisode dans un classeur barré à double tour dans notre mémoire et tout faire pour ne plus y penser.

C'est d'autant plus mélangeant lorsque l'autre personne fait comme si de rien n'était; lorsque l'autre personne côtoie des gens dans notre entourage; lorsque tu la vois rire avec tes amis. Tu as l'impression que ça minimise encore plus ce qui s'est passé. Tu te demandes si ça vaut la peine de potentiellement ruiner sa vie, et ce, même si lui n'a eu aucun égard envers la tienne. Tu as peur que les gens remettent en question ton témoignage. «Nicolas? T'es sûre? Il me semble que ce n'est tellement pas un gars comme ça...»

Malgré tous les efforts pour ne plus y penser, vient parfois le matin où c'est trop difficile. Où tu réalises que ça embrouille ton quotidien depuis très longtemps; où tu réalises que même les nuits ne t'apaisent plus puisqu'elles sont pleines de cauchemars. Vient alors le matin où tu décides de dénoncer. Tu te rends au poste de police, croyant dur comme fer que l'on accueillera ton histoire à bras grands ouverts... mais, encore une fois, la réalité est bien différente.

Êtes-vous déjà allée dans un poste de police pour dénoncer? Moi oui. Je n'y allais pas pour dénoncer une agression à caractère sexuelle, j'y allais pour dénoncer une agression à caractère conjugale. Une agression avec des mots et des mains qui avaient touché mon corps d'une manière un peu trop rude. J'avais attendu un mois avant de me présenter au poste. J'avais attendu de laisser l'homme en question. J'avais peur et je ne savais pas quoi faire.

On m'a regardée avec condescendance. On m'a demandé avec complaisance pourquoi n'étais-je pas venue plus tôt. On m'a même dit que si j'avais eu peur pour vrai, je serais venue avant! On m'a jugée, même dans l'atrocité. On n'a pas voulu prendre un rapport écrit de ce que je racontais. Il n'y avait pas de demi-mesures. On m'a dit, et je cite (je m'en souviens encore): «Si tu veux déposer une plainte, une voiture de patrouille s'en va directement chez le gars en question, il passe la nuit en prison et ce sera ta parole contre la sienne. Tu es sûre que tu as envie de t'embarquer là-dedans? Ce sont de très longues procédures, tu sais...»

Dis comme ça, ça ne donne pas trop envie. La seule chose que je voulais était qu'un rapport soit informatisé afin qu'un antécédent soit créé si jamais la situation se présentait à nouveau avec une autre fille qui croiserait son chemin. J'ai donc laissé faire et je suis partie. Lorsque j'écoutais le policier me parler, les seules questions qui me venaient en tête étaient les suivantes: «Sa main serrait-elle mon cou si fort que ça, dans le fond?», «M'a-t-il rentré dans le mur si fort que ça, dans le fond?», «Était-ce si pire que ça lorsqu'il m'a fait attendre pieds nus dans la neige par un soir d'hiver, et ce, même si mes orteils étaient devenus mauves?» Dans tous les cas, j'étais encore en vie, j'avais toutes mes dents et je n'avais jamais eu d'œil au beurre noir.

On ne m'avait pas prise au sérieux. Et il en va de même pour plusieurs agressions sexuelles. On demande aux femmes combien de verres elles ont bu cette soirée-là même si elles se souviennent avoir dit «Non». On leur demande comment elles étaient habillées, comme si une mini-jupe était une invitation ou pire, une provocation. On leur demande si elles ont des preuves concrètes alors que les seules preuves qu'elles ont se trouvent dans leur mémoire.

Alors ce sont pour toutes ces raisons, entre autres, que plusieurs femmes ont préféré dénoncer à l'aide du mot-clic #AgressionNonDénoncée plutôt que d'aller dans un poste de police. Ça leur a enfin donné le droit de s'exprimer et de s'alléger un peu du poids qu'elles traînaient sur leurs épaules depuis on ne sait combien de temps. Elles ont pu en parler sans se faire juger. Ça leur a permit de transformer la chaîne du silence en vague d'espoir, d'écoute et d'empathie.

Parce que, quoi qu'on en pense, dénoncer est loin d'être facile.

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