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Il n'y a pas de « demi-francophones »

Depuis plusieurs jours, je participe (par textes interposés) à un débat sur la condition du français au Québec. En fait, je défends ma position depuis maintenant un an et elle se résume de la manière suivante: le multilinguisme brouille les cartes sur le français. Cependant, j'ai compris récemment que ce qui inquiète vraiment ceux qui sont en désaccord avec ma thèse, ce n'est pas le supposé déclin du français. Plutôt, c'est la montée de l'anglais qui préoccupe les esprits.
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Depuis plusieurs jours, je participe (par textes interposés) à un débat sur la condition du français au Québec. En fait, je défends ma position depuis maintenant un an et elle se résume de la manière suivante: le multilinguisme brouille les cartes sur le français. Cependant, j'ai compris récemment que ce qui inquiète vraiment ceux qui sont en désaccord avec ma thèse, ce n'est pas le supposé déclin du français. Plutôt, c'est la montée de l'anglais qui préoccupe les esprits.

L'usage de l'anglais est effectivement à la hausse et les opposants de ma position ont tout à fait raison de le souligner. D'ailleurs, je l'ai souligné moi-même que l'anglais avait progressé, mais ce fait tout seul ignore la réalité. Puisque les statistiques du recensement sont affectées par le changement de questionnaire, regardons les données par période où les données sont comparables.

De 1991 à 2006

Entre 1991 et 2006, la connaissance du français chez les individus ayant une langue maternelle autre que les deux langues officielles (les « allophones ») est passée de 68,6% à 75,3%. Chez les anglophones, la connaissance du français est passée de 60,7% à 70,4%. Entre 1991 et 2006, la connaissance de l'anglais chez les « allophones » est demeurée à 67,5%. Toutefois, la connaissance de l'anglais chez les francophones est passée de 31,6% à 36,1% au cours de la même période. En plus, lorsqu'on regarde la langue d'usage chez les allophones, le français a progressé. En 1996, on parle d'une proportion de 17% qui utilisait le français le plus souvent à la maison contre 20% en 2001 et 24% en 2006. En guise de comparaison, l'anglais est passé de 22% en 2001 à 21% en 2006.

Ainsi, entre 1991 et 2006, on voit une explosion du multilinguisme au Québec. Cette explosion du multilinguisme s'explique non seulement par une augmentation importante de la connaissance des langues chez les allophones, mais aussi d'une augmentation (moins importante on admet) de l'anglais chez les francophones. Est-ce que ceci signifie que le français est en danger? Pour affirmer que le multilinguisme menace le français, il faut affirmer que les francophones ne peuvent pas transmettre leur langue alors que le dernier recensement montre que ce n'est pas le cas.En fait, il montre que les anglophones et allophones sont moins capables de transférer leurs langues à leurs enfants. En plus, le français a augmenté sa présence au travail tant chez les allophones que les anglophones. En même temps, l'anglais a augmenté sa présence auprès des travailleurs francophones, il faut l'admettre.

Il n y a pas de demi-francophones ou demi-anglophones

C'est pour cela que je conteste toute la logique de ceux qui parlent d'un déclin du français parce qu'ils affirment (dans leurs calculs) qu'un francophone qui parle « anglais et français » compte pour la moitié de son poids parce que les langues sont mutuellement exclusives. Ainsi, si un francophone parle l'anglais avec sa progéniture (qu'il a produit avec une femme anglophone), il compte pour un « demi-francophone ». Même si ses enfants vont à l'école en français (grâce à la loi 101) et qu'il travaille en français, il sera « un demi-francophone ». Balivernes!

En fait, en appliquant cette logique défaillante, on pourrait parler d'un déclin de l'anglais dans le reste du Canada puisque l'anglais comme langue d'usage a diminué - une absurdité vous en conviendrez.

C'est pour cela que lorsqu'on regarde les chiffres de Statistique Canada entre 2006 et 2011, on n'observe aucun déclin (selon les combinaisons linguistiques), un déclin statistiquement non-significatif (le français comme première langue officielle parlée et la capacité de soutenir une conversation) ou même une hausse statistiquement non-significative (en additionnant le français comme « langue parlée le plus souvent » et « langue parlée régulièrement). En gros, de 1991 à 2011 (sur 20 ans), le Québec s'est francisé considérablement et s'est anglicisé légèrement - donc il est devenu de plus en plus multilinguistique.

Le multilinguisme fausse considérablement toutes les statistiques présentées par les tenants de la position adverse. Pourquoi? Selon Statistique Canada, les immigrants disent qu'ils trouvent que le français est plus utile que l'anglais pour se chercher du travail, s'intégrer socialement, poursuivre des études, s'ajuster à la vie au Québec et se faire des nouveaux amis. Les immigrants du Québec « étaient nombreux à déclarer que l'apprentissage de chacune des deux langues officielles était important ou très important pour eux ». Ils veulent apprendre les deux langues parce qu'il y a un rendement économique (la langue est une forme d'éducation ayant des rendements importants) lié à la connaissance des deux langues officielles. En même temps, les francophones apprennent l'anglais pour les bénéfices économiques qui y sont liés.

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Puisque la question c'est la connaissance du français et la transmission de celui-ci, considérons un scénario hypothétique. Imaginons un francophone de Montréal qui épouse (ou vit en union libre) avec une allemande (par exemple) et que ce couple a deux enfants. Si la mère allemande cherche à conserver sa culture et favoriser l'avenir de ses enfants, l'allemand et l'anglais pourraient vraisemblablement devenir les langues d'usages à la maison (il y a un progrès des combinaisons de « anglais et autres » selon Statistique Canada). Ainsi, les statistiques diront qu'il y a un déclin du français. Elles diront ceci en dépit du fait que les deux enfants iront à l'école en français, que le père travaillera en français et que la mère (si elle n'est pas déjà francisée) apprendra le français pour améliorer son avenir et interagir avec ses enfants. Mais qui, face à une telle situation, parlerait sans rire d'une perte pour le français?

Dans une telle situation où les interactions entre individus transcendent et fusionnent les lignes ethnolinguistiques, l'agrégation des données de recensement cache les complexités des choix individuels. En réalisant leurs calculs sans tenir de ces faits, ils cherchent à balayer la réalité avec des définitions éronnées.

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