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Le pépin de Louise Chabot quant aux salaires des fonctionnaires

La présidente de la Centrale des Syndicats du Québec (CSQ), Mme Louise Chabot, a affirmé que ce n'est pas vrai que les fonctionnaires du Québec sont « gras durs ». Le pépin, c'est que Mme Chabot ne compare pas des pommes avec des pommes et ne tient pas compte de la valeur de la sécurité d'emploi.
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Dans un article récent sur le Huffington Post Québec, la présidente de la Centrale des Syndicats du Québec (CSQ), Mme Louise Chabot, a affirmé que ce n'est pas vrai que les fonctionnaires du Québec sont « gras durs ». Pour appuyer cette affirmation, elle mentionne la publication récente de l'Institut de la Statistique du Québec démontrant qu'il y a un écart de 8,3% en faveur du secteur privé. Le pépin, c'est que Mme Chabot ne compare pas des pommes avec des pommes et ne tient pas compte de la valeur de la sécurité d'emploi. Le pépin n'est pas petit puisqu'en réalité, les travailleurs du secteur public sont mieux rémunérés - toutes choses étant égales par ailleurs - que ceux du secteur privé.

Pommes pour pommes?

Pour lancer cette affirmation, Mme Chabot utilise les statistiques de l'Institut de la Statistique du Québec (ISQ) qui compare les employés de la fonction publique avec ceux des entreprises privées. Mais déjà là, on voit que Mme Chabot ne comprend pas les statistiques qu'elle avance. Elle mentionne qu'il s'agit d'un écart salarial « par rapport à l'ensemble des personnes salariées du Québec ». Ce n'est pas le cas, l'étude de l'Institut de la Statistique compare les employés du secteur public avec les entreprises privées comptant plus de 200 employés. La différence de rémunération globale entre l'ensemble des travailleurs du secteur public et l'ensemble des travailleurs du secteur privé se situe en fait à 30% ... en faveur du secteur public. Étant bon prince, il est vrai que la formulation offerte par l'ISQ dans le résumé des faits saillants de l'enquête peut porter à confusion. Cependant, lorsqu'on se prépare à faire des demandes salariales au gouvernement qui représenteront des centaines de millions de dollars, la lecture du rapport complet ne devrait pas constituer une demande excessive pour la présidente de la CSQ. Déjà, une lecture complète du rapport mitige les propos de Mme Chabot puisque 39% des effectifs de l'administration publique ont un avantage salarial sur leurs compatriotes du secteur privé. Selon la logique d'équité de Mme Chabot, il faudrait réduire les salaires et avantages de ces fonctionnaires afin de rétablir l'équilibre avec le secteur privé.

Cependant, même la comparaison de l'ISQ est boiteuse. Les grandes entreprises affichent généralement des niveaux de productivité supérieurs à la moyenne justifiant conformément des salaires plus élevés. En contrepartie, nous n'avons aucune mesure de la productivité du secteur public. On ne peut pas affirmer que les fonctionnaires sont sous-payés comparativement à leurs collègues du secteur privé si la productivité est conformément plus basse. Pour mieux voir la réalité, il faut essayer de comparer les travailleurs en tenant compte de leurs années d'expérience, éducation et heures travaillées. En faisant cela, on réalise que le travailleur du secteur public obtient généralement un avantage salarial. Ainsi, il y a une « prime » salariale - non justifiée par l'expérience, l'éducation ou les heures travaillées - qui provient simplement du fait d'avoir été embauché par le gouvernement. Et ceci tient pour une multitude de pays.

Au milieu des années 1990, il était estimé au Canada que la prime de rémunération d'un travailleur du secteur public relativement à son équivalent du secteur privé était de 9,9%. Une plus récente estimation place cette prime à 12% en 2011 pour le Canada. En Grande-Bretagne, une prime salariale a été mise en place, mais qu'elle est plus grande pour les travailleurs les moins qualifiés. En France et en Italie, l'écart est moins important, mais tout de même présent. Aux États-Unis, même si le secteur public emploie une portion beaucoup plus petite de la population qu'au Québec, la prime approchait 15% selon des estimations faites en 2007. Selon la Fédération canadienne de l'Entreprise Indépendante (FCEI), l'écart salarial au Canada entre les travailleurs du public et du privé était de 17%. Au Québec, l'étude du FCEI parlait de 21% d'écart. L'étude de la FCEI surestime probablement l'écart puisqu'elle n'essaie pas te tenir toutes les facteurs égaux. Une autre étude - plus précise - place cette prime de rémunération à 8,6% au Québec en 2003 et à 12% si on exclut les domaines de la santé et de l'éducation. Toutes ces études, à des degrés différents, tentent de comparer des pommes avec des pommes - ce que Mme.Chabot ne fait pas.

Un écart sous-estimé

Admettons pour un moment que Mme Chabot ait raison et que l'écart de la rémunération soit inférieur dans le secteur public de 8,3 % alors que la productivité est égale. Le problème, c'est que la valeur de la sécurité d'emploi est assez grande pour éliminer la quasi-totalité de cette différence. La sécurité d'emploi réduit de manière considérable les risques d'un travailleur de se retrouver au chômage et représente donc une forme de rémunération. Dans une étude australienne, des fonctionnaires du pays ont dévoilé qu'ils étaient prêts à sacrifier entre 7% et 21% de leurs salaires pour avoir une sécurité d'emploi. Aux États-Unis, il est estimé que la sécurité d'emploi des fonctionnaires fédéraux représente entre 1,3% et 6,4% de la rémunération globale. En Allemagne, la valeur de la sécurité d'emploi des fonctionnaires est estimée environ à 12%. Si ces estimations sont correctes, la quasi-totalité de l'écart de rémunération mis de l'avant par Mme Chabot disparaît - en présumant que les statistiques qu'elle avance sont représentatives de la réalité.

Les régimes de retraite

Il faut finalement ajouter que grâce à la sécurité d'emploi, le travailleur du secteur public a un régime de retraite qui est environ 41% supérieur à celui du travailleur du secteur privé qui aurait le même régime de retraite. Le fait d'avoir un seul employeur au cours de sa vie - une situation rare dans le secteur privé, mais plus commune dans le secteur public - fait toute la différence. Puisqu'il change moins souvent d'employeur, la moyenne salariale des cinq meilleures années (qui servent de base au calcul des bénéfices) est supérieure pour le travailleur du secteur public qu'elle ne l'est pour celle du travailleur du secteur privé. Tout cela sans mentionner le fait que l'État, contrairement à une entreprise privée, peut utiliser l'argent des contribuables pour assurer les retraites des fonctionnaires.

Conclusion

Il y a plusieurs groupes de fonctionnaires qui sont peut-être mal rémunérés relativement à leur productivité. Cependant, pour la majorité des fonctionnaires, la rémunération obtenue est supérieure à celle obtenue dans le secteur privé pour une productivité égale. Si plusieurs fonctionnaires sont mal employés et trop rémunérés, il s'agit là de ressources qui sont indisponibles pour le secteur privé qui pourrait les utiliser plus efficacement. Ceci a pour effet de ralentir la croissance économique du Québec. Il y a un coût à la mauvaise utilisation des ressources humaines. En fait, à long terme, chaque emploi public mène à l'élimination d'un nombre plus grand d'emplois dans le secteur privé. Si la fonction publique ne représente pas une fraction importante de l'emploi total, cet effet est relativement petit, cependant les effets négatifs s'amplifient exponentiellement au fur et à mesure que la fonction publique grossit. Au final, le pépin de Mme Chabot, c'est qu'elle torture les chiffres pour leur faire avouer ce qu'elle désire pour les intérêts de ses membres et ce, en dépit des coûts pour la société.

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