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La Plus Haute Autorité: Monsieur Jacques Parizeau (1/8)

Je me sens honteux ce matin, par-devers moi tout d'abord, par-devers le choix que j'ai fait de vivre en solitude. Je tiens donc à m'en excuser auprès de Madame Lisette Lapointe et de toute la famille de Monsieur Parizeau.
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Je vis l'année de tous les deuils, celle de quelques-uns de mes amis les plus chers, celles de plusieurs de mes bêtes, celle qui vous advient toujours lorsque vous êtes écrivain et que vous avez passé six ans de votre vie à rendre dans ses grosseurs l'ouvrage le plus difficile jamais entrepris dans votre existence. Vous en sortez tout juste bon à être ramassé à la petite cuiller - et c'est ce qui m'est arrivé - moi qui n'ai jamais eu la grippe de ma vie, me voilà assailli par une puissante bactérie désireuse de changer en eau de boudin le sang de cochon qui coule dans mes veines.

Un mois à faire de l'à-plat-ventrisme dans mon fauteuil - et moi qui suis si peu doué pour m'y adonner, par-devers mon moi haïssable et par-devers le monde en général, j'ai dû m'y résoudre. Je n'avais jamais éprouvé encore ce que c'est d'écrire juste une petite heure et que cela me prenne toute l'énergie qu'il y avait dans mes nerfs, mes muscles et mes os.

Et voilà que ce matin-là où je peux enfin me lever, faire quelques pas sans risquer de me trouver tout aussitôt étourdi et en perte d'équilibre, j'apprends le décès de Monsieur Parizeau, l'homme québécois de la plus haute autorité (pour paraphraser Jacques Ferron, notre plus important écrivain national). Quel désastre par-devers ma renaissance!

Je n'ai pas pleuré à la mort de mon père ni à celle de ma mère. Je me souviens du jour du décès de ma grand-mère, quand nous habitions le rang Rallonge de Saint-Jean-de-Dieu. Lorsque ma mère l'apprit, elle se réfugia dans sa chambre et mon père, larmes ruisselant sur ses joues, nous entraîna vers les champs - tant de foin à mettre à veilloches! Sur nos têtes, un soleil de plomb et mon père, sans doute trop ému par la mort de sa belle-mère, avait oublié de remplir les deux bidons d'eau. Il me demanda d'aller à la maison tirer du foqueux (une pompe qu'on actionnait manuellement) cette bonne eau froide que nous buvions dans une petite boîte de conserve - si désaltérante!

J'étais un garçon curieux et ma mère, enfermée dans sa chambre, représentait pour moi un véritable mystère. Il fallait que je sache. Sans frapper à la porte comme il était d'usage de le faire toujours, je l'ouvris. Ma mère était assise à l'indienne dans son lit, les mains croisées sur son chapelet en fausses perles du Rhin et, de ses yeux bleus comme l'est le ciel quand fulgure dedans cette luminosité singulière du soleil, elle regardait au loin, si loin regardait-elle, ma mère, qu'elle ne me vit même pas me rendre jusqu'à elle. Je lui dis: « Papa pleure. Pourquoi, toi Mam, tu ne pleures pas? » Elle me répondit: « Le règne de ta grand-mère sur la terre en était à sa fin. Et ce règne-là, elle l'a vécu sans jamais se plaindre à travailler généreusement pour son monde. On ne doit pas pleurer la mort de quelqu'un quand c'est ainsi, mais se recueillir dans la tranquillité. »

Je me souviens comme si c'était hier des paroles de ma mère - je ne les comprenais sans doute pas dans toute leur profondeur, mais elles ont marqué toute ma vie.

Ce matin-là où j'appris en ouvrant mon téléviseur le décès de Monsieur Parizeau, j'avoue que j'ai été incapable de rester fidèle à l'esprit de ma mère: j'ai pleuré, pleuré et pleuré, mon vieux chat Raspoutine me regardant et, de temps en temps, essuyant l'une de mes larmes de sa langue rêche. C'est en ces moments-là qu'on se sent comme écrasé par la solitude dans laquelle ont vit, c'est en ces moments-là que montent du moi, du soi et du ça qui nous constituent cette vulnérabilité et cette fragilité qui sont celles de l'enfance.

Recueillement. Ce mot - le plus beau de la langue française - je m'y accrochai, espérant qu'il me donne la force nécessaire de me rendre à Montréal, ne serait-ce que pour serrer dans mes bras Madame Lisette Lapointe que j'admire et que j'aime.

Mais c'était là quelque chose au-dessus de mes forces: mes jambes se faisant flageolantes dès que je reste debout, même aujourd'hui, plus d'une demi-heure. J'écrivis un petit mot à Madame Lapointe et à sa famille - mais je me doutais bien que mes chances étaient minces pour qu'il soit lu: tant de monde devait lui écrire et tant de choses difficiles à vivre devait-elle affronter.

Hier soir, un peu passé 23 heures, un officier chargé des funérailles de Monsieur Parizeau me téléphone. Ai-je reçu l'invitation de Madame Lisette Lapointe et de la famille pour assister aujourd'hui aux funérailles de l'homme de la plus haute autorité? « Non », que je lui réponds.

J'ouvre ici une petite parenthèse pour que vous sachiez que n'entre pas qui veut à l'église quand il s'agit de funérailles nationales. Ce qui est tout à fait normal, le nombre de sièges disponibles étant limité.

L'officier chargé des funérailles de Monsieur Parizeau s'excusa auprès de moi du fait que je n'avais pas reçu l'invitation et insista, au nom de Madame Lisette Lapointe et de la famille, pour que je « monte à Montréal ».

Il devait être 23 h 30 quand notre conversation prit fin. Mais comment pouvais-je me rendre à Montréal? Six heures de route en voiture, voiture qu'il m'était impossible de conduire moi-même, à cause de ces fichus médicaments extrêmement puissants qui n'avaient pas encore fini toute leur besogne en moi. Le train? Inutile d'y penser depuis que Via Rail a « priorisé » les marchandises au détriment des voyageurs. L'autobus? La firme Orléans ayant mis fin unilatéralement à son engagement de bien desservir les régions, dans l'indifférence du gouvernement du Québec, il n'y a plus qu'un autobus pour vous emmener le matin à Montréal... et cet autobus-là part des Trois-Pistoles à 8 h 45!

Le covoiturage, comme me l'a proposé l'officier du protocole? Aussi bien espérer trouver une aiguille dans une botte de foin si tard en soirée!

Puis il me fallait bien penser à mes bêtes: qui les soignerait pendant mon absence? Qui saurait prendre soin de ma petite jument qui se trouve pour ainsi dire aux soins intensifs à la suite d'un empoisonnement? Même si j'habite en région dite rurale, il ne reste plus que des producteurs laitiers: s'ils savent comment faire avec les vaches, ils ignorent tout des autres animaux parce qu'on n'en trouve pas chez eux.

Je piquai un somme au milieu de la nuit, peut-être deux heures, et dus me rendre à l'évidence: impossible de me rendre à Montréal, et d'autant moins que ma nuit écourtée me laissait un brin branlant dans mon manche. Quel pays en démanche est devenu le Québec! Quelle destruction que celle de nos régions!

Je me sens honteux ce matin, par-devers moi tout d'abord, par-devers le choix que j'ai fait de vivre en solitude. Je tiens donc à m'en excuser auprès de Madame Lisette Lapointe et de toute la famille de Monsieur Parizeau - le tout petit peu de réconfort que j'aurais pu leur apporter en ce jour difficile pour eux, eh bien! il m'aurait réconforté du même coup!!

Aussi, pour chasser de moi la honte qui m'habite, j'essaierai tout ce jour durant de faire de ma page Facebook un cérémonial - vous parlez simplement de la plus haute autorité et des rapports qui furent les miens avec elle et sa famille.

Là, il me faut me sustenter et rendre visite à ma petite jument et me reposer un brin.

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