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La Plus Haute Autorité: Monsieur Jacques Parizeau (6/8)

Au tout début de 1993, je reçus un appel du bureau du premier ministre qui avait annoncé que dans la perspective d'un prochain référendum, son gouvernement tenait à savoir ce que les Québécois avaient à dire. Aussi avait-il créé cette commission sur l'avenir du Québec. On me dit que Monsieur Parizeau tenait à ce que j'y participe en temps que commissaire pour la région du Bas-Saint-Laurent.
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Au tout début de 1993, je reçus un appel du bureau du premier ministre de Monsieur Jacques Parizeau qui, quelque temps plus tôt, avait annoncé que dans la perspective d'un prochain référendum, son gouvernement tenait à savoir ce que les Québécois avaient à dire sur l'avenir du Québec. Aussi avait-il créé cette commission précisément sur l'avenir du Québec : toutes les régions de notre pays-pas-encore pays devaient y participer. Et cela en plein hiver, soit de la fin de janvier jusqu'à la fin de février. On me dit que Monsieur Parizeau tenait à ce que j'y participe en temps que commissaire pour la région du Bas-Saint-Laurent.

Être commissaire était loin d'être une sinécure, et d'autant moins pour moi qui écrivais pour Radio-Canada mon téléroman « Montréal P.Q. » Je n'avais véritablement pas le temps de passer six semaines à sillonner le Bas du Fleuve, car « Montréal P.Q. », que j'écrivais sous le mode opératique, me demandait un énorme travail de recherche, sur la musique d'abord, sur les années de l'après-guerre alors que Montréal, devenue « ville ouverture », était la proie des escrocs, des fraudeurs et des voleurs dont la mafia tirait les ficelles. Tout ce qu'on a pu entendre à la Commission Charbonneau sur la corruption des fonctionnaires et des élus de la ville, on l'aurait aussi entendu sur ce Montréal de l'après- guerre. L'Éternel Retour du Même, comme l'a si bien écrit Nietzsche.

Je ne pouvais dire non, surtout pas à Monsieur Parizeau. Aussi ai-je accepté de participer à son grand projet en tant que commissaire. Je mis donc les bouchées doubles en travaillant pour ainsi dire jour et nuit afin de pouvoir livrer à Radio-Canada suffisamment de scénarios de « Montréal PQ » pour que la production de mon téléroman ne soit pas interrompue.

Être commissaire, c'était s'adonner au bénévolat: n'étaient défrayés que les coûts du transport et le logement par temps de tempête. Par conviction, dans toutes les régions du Québec, quelques centaines de femmes et d'hommes acceptèrent comme moi de servir ce que Paul Gouin appelait « la cause nationale ».

Une fois nommés tous les commissaires, nous fûmes invités au Parlement de Québec pour une prise de photos. Je me trompai de porte pour y entrer, de sorte que quand je parvins enfin au long couloir qui mène à cet escalier qui, lui-même, mène à la Chambre d'assemblée, tous les autres commissaires y étaient rassemblés, Monsieur Parizeau occupant comme il se doit l'avant-scène. À ma grande surprise, il vint à ma rencontre, me sera la main et, avec cette ironie qu'il savait manier à la Jacques Ferron, il me dit: « Mais qu'avez-vous donc fait à ma femme? Elle me parle souvent de vous. » Il savait que toutes les fois que j'allais à Montréal, Madame Lapointe et moi nous dînions ensemble, ne serait-ce que pour honorer notre amitié. Nous étions nés le même mois, à quelques jours près, et Madame Lapointe m'appelait son « jumeau cosmique ». Pris ainsi par surprise, je ne savais trop quoi répondre à Monsieur Parizeau. Il me fit alors un clin d'œil, me tapa sur l'épaule et nous allâmes rejoindre les autres dans le grand escalier.

La fin de janvier et le mois de février de 1993 fut dans le Bas-Saint-Laurent le haut lieu d'abominables tempêtes. Presque toutes les fois que la commission tenait audience, la neige et le vent nous tombaient dessus. Nous restâmes bloqués deux jours à Matane, le blizzard soufflait si fort sur Mont-Joli qu'on ne put y tenir audience et, tard en fin d'après-midi, quand nous étions à Cabano, une autre tempête nous tomba encore dessus. Je rentrai quand même à la maison, mais sur « le gros nerf » comme on dit, parce que j'avais oublié mes verres et devais conduire avec des lunettes très noires. Je ne voyais rien, tenant la fenêtre ouverte afin de me guider sur la ligne jaune en bordure de la route (quand elle se faisait visible) « pour ne pas prendre le clos ».

Le premier mandat que je m'étais donné par-devers la commission était celui de demander aux élus municipaux: « Si vous aviez plus de pouvoir culturellement parlant, qu'en feriez-vous? » Agrandir la bibliothèque", me répondirent quelques-uns. « Restaurer ou agrandir l'aréna », me rétorquèrent les autres. De quoi comprendre que, dans mon coin de pays, passer de l'agriculture à la culture n'était pas aussi simple que je l'avais cru jusqu'alors!

En 1993, les Autochtones partout au Québec réclamaient la rétrocession d'une grande partie des terres dont nous, les Blancs, avions pris possession. Nous reçûmes plusieurs mémoires sur le sujet et la grande majorité d'entre eux étaient évidemment très défavorables, non seulement à la rétrocession des terres, ne serait-ce qu'en partie, mais aussi à toute collaboration avec les Autochtones. Dans le Bas-Saint-Laurent, les terres ancestrales des Malécites se trouvaient à Cacouna, et elles étaient les plus belles de la région. Sans même demander le consentement des Malécites, les colons s'y installèrent. Monseigneur Langevin, l'évêque du diocèse de Rimouski, profita du fait que son frère était le ministre des Affaires indiennes à Ottawa, pour mettre au enchères le territoire de Cacouna. Monseigneur Langevin aguissait ceux qu'il appelait toujours les « Sauvages ». Le but qu'avec son frère il visait était le suivant: forcer les Malécites privés de leurs terres à s'éparpiller et de telle façon que les sommes d'argent qu'on avait promis de leur verser tous les ans ne puissent leur être remises. Un véritable génocide!

Ce fut là toute ma déception en tant que commissaire. La grande majorité de ceux qui prenaient la parole aux audiences ne voulaient rien savoir de ce que je leur disais. Pire: Ils donnaient raison à Monseigneur Langevin et à son frère ministre des Affaires indiennes à Ottawa.

Tout cela pour vous dire que peu longtemps après la fin de la commission, j'écrivis le téléroman « Bouscotte » - la vengeance d'une femme malécite reprenant possession d'une partie des terres que nos ancêtres avaient volées à ses ancêtres. Le téléroman se terminait sur cette scène-ci: la Malécite Léonie, après avoir pris possession de la maison des Beauchemin, étend une natte sur la table de la cuisine, puis s'y assoit. Je dus expliquer souvent le symbolisme de cette scène. Quand les Amérindiens faisaient la guerre et la gagnaient, le chef vainqueur entrait dans le tipi du chef vaincu, y étendait une natte et s'assoyait dessus, ce qui signifiait: « Cette terre est la mienne, mes ancêtres dorment dessous et mes enfants, grâce à mon acte, auront droit à tout le bleu du ciel qu'il y a au-dessus de cette terre. »

Quand je rencontrai Monsieur Parizeau une fois la Commission sur l'avenir du Québec terminée, il me remercia d'avoir servi la cause nationale. Je lui dis: « C'est à moi de vous remercier car si vous ne m'aviez pas demandé d'être commissaire, j'aurais passé à côté de la plus belle leçon de choses que j'ai eue de toute ma vie. » Et j'ajoutai: « Vous pouvez compter sur moi quand vous ferez ce référendum que vous nous promettez. »

Monsieur Parizeau était un homme beaucoup plus chaleureux qu'on est porté à le croire. J'eus droit à l'accolade, à une solide poignée de main et à un autre de ses clins d'œil - si complices étaient les clins d'œil de la Plus Haute Autorité!

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