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La Plus Haute Autorité: Monsieur Jacques Parizeau (2/8)

Personne n'a eu un mot pour les deux enfants de la, Isabelle et Bernard. J'en ai eu un petit pincement au cœur. Et d'autant plus, que personne ne parla non plus de la mère d'Isabelle et de Bernard, Alice, qui eut une importance capitale dans la vie de Monsieur Parizeau.
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Le non-dit, on le sait, a parfois plus d'importance que les mots dont on fait usage, aussi bien oralement que par l'écriture. Le décès de Monsieur Parizeau en est l'exemple presque parfait. Tout le monde, des politiciens aux journalistes, des intellectuels à ceux qu'on dit appartenir au petit peuple, a utilisé la phrase traditionnelle une fois qu'on ait appris le décès de Monsieur Parizeau: « Nos condoléances à Madame Lisette Lapointe et à la famille de Monsieur Parizeau. »

Si quelques journalistes ont rapidement mentionné le frère de Monsieur Parizeau, personne n'a eu un mot pour les deux enfants de la Plus Haute Autorité, Isabelle et Bernard. On ne les a pas identifiés quand, aux côtés de Madame Lisette Lapointe, on les voyait à la télévision serrer les mains de celles et de ceux défilant devant eux.

J'en ai eu un petit pincement au cœur. Et d'autant plus, ce petit pincement au cœur, que personne ne parla non plus de la mère d'Isabelle et de Bernard, qui eut une importance capitale dans la vie de Monsieur Parizeau tout comme elle en a eu une dans la société québécoise. Cette grande femme-là se nommait Alice et fut l'épouse de Monsieur Parizeau de 1956 à 1990. Elle décéda à l'âge de 60 ans d'un cancer. Ayant eu le privilège de la connaître et d'entretenir avec elle une relation toute amicale, permettez-moi ici d'en dire l'essentiel.

Alicja Poznanska est née à Luniniec en Pologne le 25 juillet 1930, mais passa toute son enfance à Cracovie. Dans « L'Encyclopédie canadienne » on raconte ceci d'Alicja: « Lors de la Deuxième Guerre mondiale, elle est agente de liaison dans l'armée de l'intérieur (Armia Krajowa), le plus important mouvement de résistance sous l'occupation allemande et soviétique de la Pologne. Après l'insurrection de Varsovie en 1944, elle est internée dans le camp de concentration de Bergen-Belsen en Allemagne. À la libération, elle se rend à Paris afin d'y poursuivre des études en lettres, en sciences politiques et en droit. »

C'est en 1955 qu'Alicja Poznanska émigre à Montréal. Le Québec devint sa nouvelle patrie et d'Alicja, elle fit d'Alice sa signature. Elle tomba littéralement en amour avec la culture québécoise et, plus particulièrement, la littérature.

C'est ainsi que j'ai fait sa connaissance aux Éditions du Jour alors que j'y étais l'adjoint de Jacques Hébert. Elle venait à presque tous les lancements de livres que nous y faisions - quelle dynamisme elle avait, quelle sensibilité s'exprimant dans le langage coloré qui était le sien - et ses yeux dont émanait une luminosité qui, selon le mot de Robert Musil, vous traversait de part en part.

J'étais gêné en ce temps-là et le cachais tant bien que mal en jouant à l'effronté. Mais devant Alice Parizeau, j'étais pour ainsi dire sans moyen - une « éponge » comme se plaisait Jacques Ferron à le dire, non sans malice, de moi. Je lui rétorquais ainsi: « Face à ses aînés, n'est-il pas préférable d'écouter plutôt que de leur parler tout de travers? »

Évidemment, je me « dégelai » avec le temps. À cause d'un souvenir de mon adolescence qui me revint en mémoire et dont je parlai à Alice Parizeau.

Quand mes parents et moi nous déménageâmes du rang Rallonge de Saint-Jean-de-Dieu, nous nous installâmes à Morial-Mort, rue l'Archevêque, près du boulevard Henri-Bourassa, dans un triplex habité par d'autres échappés du Bas-du-Fleuve et de la Gaspésie. Devant chez nous, une synagogue. Nos voisins: une famille bulgare, une famille ukrainienne et une famille polonaise.

Nous ne parlions pas leur langue et ils ne comprenaient pas la nôtre non plus: en 1958, la télévision n'avait pas encore nivelé par le bas la langue québécoise - de sorte que chacune des régions du Québec avait ses mots bien à elle et, surtout, un accent qui marquait la différence qui lui était propre. Dans mon coin de pays natal, nous ne connaissions pas les anglicismes: notre langage était plein des vieux mots et des vieilles expressions de la Normandie, de la Bretagne et de la Picardie. Même nos amis francophones ne nous comprenaient guère et, pour être entendus d'eux, nous apprîmes leur langue.

À dire vrai, c'est en habitant ce triplex de la rue L'Archevêque que j'ai compris que nous étions comme les Juifs se rendant à la synagogue, les familles bulgares, ukrainiennes et polonaises, de véritables immigrants... de l'intérieur.

Alice Parizeau fut très étonnée de mes confidences - et celles-ci scellèrent une amitié qui fut pour moi l'une des plus importantes de ma vie.

Je vous laisse là-dessus pour le moment - ah ce besoin de se sustenter et de voir aux affaires domestiques!

Je vous reviens dès que possible et je vous préviens de suite: je dirai encore quelques mots d'Alice Parizeau et de la grande importance qu'elle a eue par-devers la Plus Haute Autorité.

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