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La posture de la distance

Alors que depuis plus de quinze ans, les sanctions contre la Corée du Nord pour résoudre la question nucléaire s'avèrent inefficaces, il est démoralisant de constater que la question «doit-on ou non négocier» reste encore débattue.
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South Korean passengers watch TV news reporting North Korea's apparent nuclear test, at the Seoul train station on February 12, 2013. North Korea's apparent nuclear test had an explosive yield of between six and seven kilotons, South Korea's defence ministry said, revising its earlier estimate of 10 kilotons or more. Ministry spokesman Kim Min-Seok said seismic monitors had detected a tremor with a 4.9 magnitude emanating from the North's nuclear test site. AFP PHOTO / KIM JAE-HWAN (Photo credit should read KIM JAE-HWAN/AFP/Getty Images)
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South Korean passengers watch TV news reporting North Korea's apparent nuclear test, at the Seoul train station on February 12, 2013. North Korea's apparent nuclear test had an explosive yield of between six and seven kilotons, South Korea's defence ministry said, revising its earlier estimate of 10 kilotons or more. Ministry spokesman Kim Min-Seok said seismic monitors had detected a tremor with a 4.9 magnitude emanating from the North's nuclear test site. AFP PHOTO / KIM JAE-HWAN (Photo credit should read KIM JAE-HWAN/AFP/Getty Images)

Depuis l'essai nucléaire du 12 février par la Corée du Nord et la condamnation de la communauté internationale, on assiste à l'éternel retour de la crise nucléaire - avec quelques variantes de saison : spéculations sur la position chinoise (la Chine va-t-elle durcir le ton envers son alliée ?) ou, en France, une volatilité beaucoup plus grande du sujet "Corée du Nord" dont se détournent les audiences françaises.

Mais au fond, rien n'a changé: cet éternel retour se joue selon les mêmes termes, avec chacune des parties campées sur ses positions habituelles. Aux yeux de la communauté internationale, la Corée du Nord est un agent de la prolifération nucléaire et contrevient à toutes les résolutions qui ont été votées la concernant par le Conseil de sécurité des Nations Unies, notamment la plus récente (2087) le 22 janvier à la suite au lancement d'une fusée Unha-3 porteuse d'un satellite - mais dont la technologie est similaire à celle d'un missile. De son côté, la Corée du Nord affirme être en droit de poursuivre un programme spatial à des fins pacifiques et de se doter d'une véritable capacité nucléaire défensive notamment contre une éventuelle agression américaine - ce qu'elle avait d'ailleurs réaffirmé dans sa réponse immédiate, le 22 janvier, à l'adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 2087 qui avait suivi le tir de Unha-3.

Comme les précédents, ce nouvel épisode dans le développement nucléaire et militaire de la Corée du Nord a suscité dans les médias et sur internet un florilège de commentaires reprenant les habituels motifs d'analyse de ce pays que définiraient ses "provocations militaires" et l'excentricité de ses dirigeants. On tend à oublier que les faits s'inscrivent dans des enchaînements d'événements qui renvoient aussi bien à la dynamique des relations intercoréennes (la fin de la décennie du rapprochement entre 1998 et 2008) qu'à des évolutions internes dans chacune des deux Corées (le retour des conservateurs au pouvoir au Sud depuis 2007 et l'installation au pouvoir de Kim Jong Un au Nord), dans un contexte de tensions de moins en moins larvées en Asie orientale entre la Chine et les États-Unis. L'éternel retour de la crise nucléaire, depuis son éclatement en 1994, ne relève donc pas uniquement d'une manipulation de la Corée du Nord mais aussi d'un refus de la communauté internationale d'entendre le discours de Pyongyang. Quant à la présentation des dirigeants nord-coréens comme "imprévisibles" et "irrationnels" - ce qui est un des topos favoris des médias - elle pose plutôt la question de l'existence même du totalitarisme nord-coréen, de sa forme et de sa longévité plutôt qu'elle ne contribue à en éclairer les ressorts.

Selon la partition bien huilée de tout épisode de la crise nucléaire nord-coréenne, est relancé le débat récurrent entre partisans de l'engagement ou de l'endiguement pour le règlement de la question - la balance tendant, comme de coutume, à pencher en faveur de ces derniers prônant les sanctions. Pour quels résultats?

Alors que depuis plus de quinze ans, les sanctions contre la Corée du Nord pour résoudre la question nucléaire s'avèrent inefficaces, il est démoralisant de constater que la question "doit-on ou non négocier" reste encore débattue - et le sera sans doute encore pendant longtemps: elle constitue un "fonds de commerce" juteux pour l'analyse stratégique et internationale. Perpétuer ce dialogue de sourds semble oublier la contestation montante du club des puissances nucléaires par les pays émergents et ignorer que la Corée du Nord, et la péninsule plus généralement, sont engluées dans une situation dépendante d'enjeux géopolitiques qui, en réalité, les dépassent très largement et renvoient à la rivalité Chine/États-Unis en Asie orientale. On oublie, surtout, que la péninsule est un front actif de cette rivalité puisqu'elle reste de facto en état de guerre. Tant que le régime de l'armistice de 1953 continuera de fonctionner - sans qu'un traité de paix soit intervenu - il n'y aura pas de règlement à cette question et nous pourrons donc tranquillement, éternellement, avec plus ou moins de bonheur quant aux résultats de nos prédictions, spéculer et souhaiter que les choses se passent différemment de ce qu'elles sont en réalité.

Qu'est-ce que la recherche en sciences sociales peut apporter dans une telle situation d'impasse de la pensée ? Éviter la géofiction par une "posture de la distance" consistant à travailler selon un agenda de temps long. Autrement dit, proposer une approche de la péninsule en général et la Corée du Nord en particulier dont la vocation première ne soit pas de résoudre un quelconque "problème nord-coréen" ou "coréen" mais d'offrir une "lecture dense" des choses. En d'autres termes réintroduire la complexité du problème au lieu de le simplifier outrageusement.

C'est le cas du débat récurrent "engagement-endiguement". Peut-être faut-il s'interroger sur certains aspects de la décennie 1998-2008, époque du rapprochement entre les deux Corées, qui fait figure aujourd'hui de parenthèse dépassée, à l'inspiration excessivement optimiste (1). Il ne s'agit pas de regarder vers le passé pour s'en inspirer et proposer de nouvelles solutions immédiatement utiles ; il s'agit plutôt, à partir d'une analyse fouillée de ce qui a pu se passer pendant cette période, d'installer les conditions nécessaires à la compréhension des deux Corées et de leurs relations pour susciter l'exploration de nouvelles voies et, peut-être, pouvoir élaborer un jour une politique un peu plus constructive que le retour du même.

(1) Tel est l'objectif d'un programme de recherche conduit à l'EHESS sur les conséquences de la décennie du rapprochement intercoréen (1998-2008). Valérie Gelézeau, Koen De Ceuster et Alain Delissen, 2013, Debordering Korea. Tangible and Intangible Legacies of the Sunshine Policy (Routledge).

Redécouvrez ces moments de tension dans le diaporama vidéo ci-dessous

Kim Jong-Un va au parc d'attraction

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