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Et si investissement n'égalait pas nécessairement développement?

Les investissements sont nécessaires au développement, mais l'investissement n'implique pas nécessairement le développement. Pourquoi la politique de coopération internationale du Canada est-elle basée sur une fausse hypothèse et pourquoi cette confusion est-elle entretenue?
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Ce billet a été écrit par Bonnie Campbell, professeure au Département de science politique de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) et directrice du Centre interdisciplinaire de recherche en développement international et société (CIRDIS).

Les investissements sont nécessaires au développement, mais l'investissement n'implique pas nécessairement le développement.

Pourquoi la politique de coopération internationale du Canada est-elle basée sur une fausse hypothèse et pourquoi cette confusion est-elle entretenue?

Les philosophes grecs appelaient ce type d'argumentation à la logique ambiguë un « sophisme », c'est-à-dire un raisonnement qui cherche à apparaître comme rigoureux, mais qui en réalité ne l'est pas.

Une politique de coopération axée sur la promotion des intérêts privés du Canada

La Stratégie de l'ACDI sur la croissance économique durable (CED) publiée en octobre 2010, qui suggère que les investissements de l'ancienne Agence canadienne de développement international (ACDI) soutiendront directement la croissance économique durable des secteurs industriels et commerciaux des pays en développement, repose sur la logique suivante : en faisant la promotion de nos entreprises et de nos intérêts économiques, nous allons favoriser la croissance économique et la réduction de la pauvreté des populations dans les pays où nous intervenons. Certains acteurs de l'industrie canadienne vont jusqu'à suggérer que les penseurs d'avant-garde dans le domaine des politiques d'aide au développement reconnaissent que l'efficacité de l'aide sera améliorée si celle-ci s'aligne sur les investissements du secteur privé...

L'investissement est-il synonyme de développement?

Cette argumentation est problématique. Tout d'abord, les investissements ne créent pas par eux-mêmes le développement. Il n'y a aucun exemple de développement dans l'histoire qui ait eu lieu sans l'intervention de politiques publiques qui sont nécessaires pour orienter, planifier, réglementer et assurer des effets d'entrainement sur le long terme et une bonne répartition sociale de retombées. Pensez à l'expérience des pays de l'Asie du Sud-Est. Les interventions judicieuses des États furent une des clés de leur succès. Rien de cela n'aurait été possible si tout avait été laissé aux seuls investissements. De plus, il n'y a pas nécessairement convergence entre la promotion des intérêts économiques canadiens et la promotion du développement social dans des sociétés très diverses à travers le monde. Il s'agit en effet de processus on ne peut plus différents. Dans un cas, il s'agit d'opportunités de marché qui impliquent que l'on mette l'accent sur le court terme et que l'on obtienne rapidement un retour sur investissement qui réponde aux intérêts des détenteurs de capitaux. Dans l'autre, il est question de processus sociopolitiques, économiques et culturels, qui ne peuvent être pensés que par les populations concernées, qui se développent nécessairement dans le moyen et le long terme et qui peuvent impliquer une multitude d'objectifs définis par des acteurs n'ayant pas forcément et probablement pas les mêmes intérêts que les investisseurs canadiens.

Bref, suggérer qu'investissement égale développement, c'est négliger les différences dans les logiques, les intérêts, les objectifs et surtout les responsabilités et les rôles qui caractérisent d'une part, les stratégies des investisseurs, et de l'autre, les politiques de développement d'un gouvernement. Ces deux processus peuvent converger, mais on ne doit toutefois pas occulter trois faits :

  1. Ces processus répondent à des impératifs temporels, des logiques, des responsabilités et des mécanismes d'imputabilité distincts qu'il est essentiel de préciser ;
  2. Les investissements peuvent contribuer au développement à condition qu'ils s'intègrent et appuient des politiques et des stratégies de développement appropriées, adaptées aux pays concernés et déterminées localement ;
  3. Ce ne sont que les décideurs locaux qui peuvent mener de telles stratégies et politiques de développement et répondre des résultats à leur population et c'est donc ceux-ci que l'aide doit appuyer, et non les stratégies des investisseurs canadiens.

Qui doit en profiter?

L'utilisation des fonds de l'aide canadienne pour promouvoir les intérêts économiques canadiens n'est pas nouvelle. En 1987, un rapport officiel du gouvernement canadien sur l'aide publique au développement intitulé Qui doit en profiter? soulignait les risques de confusion qui existaient déjà à l'époque entre les multiples objectifs poursuivis avec le budget de l'aide. Il notait qu'il était tout à fait légitime que le gouvernement ait des objectifs politiques et économiques dans ses rapports avec les pays « en développement », mais soulignait qu'il y avait de nombreux instruments pour poursuivre ces objectifs autres que le budget de l'aide.

Si l'on pense que le mandat de ce qui devrait être fait au nom de la poursuite des objectifs du développement international demeure flou encore aujourd'hui, que l'on se détrompe.

Qui est imputable?

Depuis 2008 et comme le notait G. Goyette dans son article publié la semaine dernière dans le blogue « Un seul monde », le gouvernement a des obligations légales dans ce domaine du fait de l'adoption de la Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement qui exige que l'aide canadienne « contribue à la réduction de la pauvreté », « tienne compte du point de vue des pauvres » et soit « compatible avec les normes internationales en matière de droits de la personne ».

La dérive actuelle vers une politique de coopération axée sur la promotion des intérêts privés du Canada est préoccupante à plusieurs égards.

Au-delà du détournement des ressources publiques qui, en principe, devraient être consacrées au renforcement des stratégies et des politiques de développement à plus long terme, définies et mises en œuvre par des instances locales ou nationales qui pourront être tenues imputables des résultats obtenus par les populations des pays concernés, ces évolutions nous éloignent de nos engagements internationaux. Le dernier examen par les pairs de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les politiques d'aide canadienne prévenait le Canada de la confusion entre les objectifs de promotion du développement et ceux de la promotion d'intérêts commerciaux.

Pour la population canadienne, cette ambiguïté entretenue dans les discours comme dans les politiques de coopération internationale du Canada illustre une abdication politique du gouvernement de sa responsabilité de défendre le budget de l'aide, notamment afin d'assurer que ces fonds soient utilisés de manière à répondre aux trois critères mentionnés ci-dessus et contenus dans la Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement.

Un déficit démocratique?

Ces débats ne sont pas nouveaux. Ce qui l'est c'est le degré de cynisme que l'on retrouve présentement dans les discours et les politiques dans ce domaine de la part du gouvernement actuel. Pour revenir à nos ancêtres grecs, s'ils observaient les dérives que nous connaissons dans la gestion de notre budget d'aide, il est fort à parier qu'ils concluraient que nous nous sommes bien éloignés de pratiques qui reposent sur les mots grecs dêmos, peuple et kratos, pouvoir, autorité.

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