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La privatisation des semences: un enjeu mondial

L'adoption récente du projet de loi C-18 met en lumière un phénomène de plus en plus préoccupant: celui de la privatisation des semences et de leur contrôle par des compagnies multinationales.
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Ce billet du blogue Un seul monde a été écrit par Julie Lapalme, chargée de recherche et de plaidoyer à Développement et Paix.

Au Canada, l'adoption récente du projet de loi C-18 par la Chambre des communes, en troisième lecture, met en lumière un phénomène de plus en plus préoccupant, celui de la privatisation des semences et de leur contrôle par des compagnies multinationales. Cet enjeu, qui est présent dans les pays du Sud comme dans les pays du Nord, reste parfois méconnu. Pourtant, il représente une menace pour la souveraineté et la sécurité alimentaire des populations locales, pour la biodiversité de la planète et pour l'avenir de notre alimentation.

Un contrôle grandissant

Les semences constituent la base de notre système alimentaire. Depuis des millénaires, les petit-e-s agricultrices et agriculteurs ont développé un savoir-faire permettant aux semences de grandir dans leur environnement naturel et de résister aux aléas du climat et à d'autres fléaux. C'est grâce à ce savoir-faire que l'on retrouve aujourd'hui une grande variété de fruits et de légumes, contribuant ainsi à préserver la biodiversité agricole mondiale.

Depuis quelques décennies, le secteur privé exerce un contrôle grandissant sur les semences. Selon le groupe ETC, une ONG qui travaille sur les impacts socio-économiques des nouvelles technologies, plus de 50 % du marché mondial des semences est aujourd'hui contrôlé par trois compagnies. C'est grâce à des brevets ou à des certificats que ces compagnies obtiennent la « propriété intellectuelle » de certaines semences. Ce faisant, elles tentent d'éliminer les droits séculaires des agriculteurs de conserver, d'utiliser et d'échanger les semences.

Or, les semences industrielles standardisées n'ont pas la flexibilité et l'adaptabilité des autres semences. Elles requièrent toujours le même ensemble technologique (pesticides chimiques, engrais, grosse machinerie et travaux d'aménagement), sans lequel elles ne peuvent croître. Il va sans dire que cet ensemble technologique est hautement dépendant du pétrole.

En plus des semences industrielles standardisées, certaines entreprises ont développé des semences génétiquement modifiées. Conçues pour résister aux herbicides et aux parasites, ces semences ont besoin, pour pousser, d'engrais chimiques et de pesticides, fabriqués par ces mêmes compagnies. Comme elles sont brevetées par des firmes multinationales, les agricultrices et agriculteurs ne peuvent plus conserver leurs semences pour la prochaine récolte et doivent en acheter de nouvelles auprès de ces entreprises, créant ainsi un cycle de dépendance économique.

Les multinationales bénéficient d'un avantage considérable. Elles peuvent promouvoir leurs semences grâce à des traités de libre-échange et à d'autres conventions internationales. Ces accords encouragent les gouvernements à adopter des lois qui interdisent aux agricultrices et agriculteurs de conserver ou d'utiliser leurs propres semences parce qu'elles ne sont pas brevetées ou certifiées.

Des pays du Sud se mobilisent

Ces mesures créent une résistance dans les pays du Sud, où les petit(e)s agricultrices et agriculteurs constituent souvent la majeure partie de la population. Même si le travail de ces personnes fournit une grande partie de la nourriture disponible sur les marchés locaux, elles sont souvent les premières touchées par l'insécurité alimentaire. L'interdiction de conserver et d'utiliser leurs semences vient accroître leur vulnérabilité de même que celle des communautés locales qui en dépendent.

Par exemple, en Colombie, une grève nationale des agricultrices et agriculteurs a éclaté en 2012, lorsque la loi 970 a rendu illégale la conservation des semences par les femmes et les hommes paysans. L'adoption de cette loi était une condition requise par les États-Unis afin qu'ils signent un accord de libre-échange avec la Colombie. La loi 970 ouvrait la voie au monopole des multinationales sur certaines semences, en plus d'accorder à l'Institut colombien de l'agriculture le droit de saisir et de détruire les semences paysannes. Après des mois de manifestations, la loi a été suspendue.

En Zambie, la population a longtemps résisté à l'introduction des semences génétiquement modifiées. En 2002, des organisations locales ont réussi à persuader le gouvernement zambien d'interdire l'entrée de maïs génétiquement modifié. L'interdiction persiste jusqu'à maintenant, malgré la pression croissante de certains pays pour la lever.

Le Canada est aussi touché

Comme le montre l'adoption récente par la Chambre des communes, en troisième lecture, du projet de loi C-18, appelé Loi sur la croissance dans le secteur agricole, le Canada est lui aussi menacé par la privatisation des semences. Le projet de loi C-18 implique entre autres, l'adhésion du Canada à l'UPOV 1991, une convention internationale gouvernant les droits de propriété intellectuelle sur les nouvelles variétés végétales. En vertu de cette convention, les « obtenteurs » de nouvelles variétés végétales, soit principalement de grandes multinationales semencières, acquièrent plus de pouvoir et de contrôle sur le système agricole canadien, au détriment des agricultrices et agriculteurs. Ceux-ci voient d'ailleurs leur droit de choisir, conserver et utiliser leurs semences devenir un privilège révocable.

Des alternatives possibles?

Quelles sont les alternatives à la privatisation croissante des semences? Dans son rapport final au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, au terme d'un mandat de six ans en qualité de Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation, Olivier De Schutter a recommandé de réformer de manière radicale et démocratique les systèmes alimentaires mondiaux.

Afin de parvenir à ce changement systémique, plusieurs efforts sont requis. Entre autres, il faut favoriser la diversité génétique des cultures, essentielle à la subsistance des petit-e-s agricultrices et agriculteurs et de leurs communautés et à la préservation de la biodiversité. Mais plus encore, les citoyen(ne)s doivent réclamer leur droit au chapitre quant à la provenance et au mode de production des aliments qu'ils consomment. En d'autres mots, ils doivent se réapproprier un pouvoir décisionnel sur leur alimentation et plus largement, sur leurs systèmes alimentaire et agricole.

Les résultats des mobilisations sociales qui ont eu lieu en Zambie, en Colombie et dans d'autres pays, permettent de croire qu'une plus grande participation des populations locales dans la définition de leur système alimentaire est non seulement nécessaire, mais aussi possible.

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