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La coopération internationale et l'austérité

L'austérité précarise les mouvements de défense des droits des femmes; reconfigure l'éducation et la santé publique; menace l'environnement... Qu'en est-il de la coopération et de la solidarité internationales?
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Ce billet du blogue Un seul monde, une initiative de l'AQOCI et du CIRDIS, a été écrit par Amélie Nguyen, coordonnatrice du Centre international de solidarité ouvrière (CISO), et Laurence Guénette, coordonnatrice du Projet Accompagnement Québec-Guatemala.

L'austérité précarise les mouvements de défense des droits des femmes ; reconfigure l'éducation et la santé publique ; menace l'environnement... Qu'en est-il de la coopération et de la solidarité internationales? Ce billet résulte d'une volonté de réfléchir entre personnes impliquées dans ce secteur. Quel est notre rôle dans la lutte contre l'austérité? Quelles en sont les implications pour la cohérence des actions des organismes de coopération internationale (OCI)?

Reconnaître les systèmes qui engendrent la misère : quel rôle pour les États?

Le modèle austère actuellement imposé au Québec sévit depuis les années 80 dans les pays appauvris où œuvrent de nombreux OCI. On connaît bien les programmes d'ajustement structurels et les documents de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP). Ils imposaient un modèle unique où l'État délaissait son rôle social au profit de celui de facilitateur de l'action des entreprises et de promoteur de leurs intérêts. Le même paradigme domine, ici comme ailleurs.

Les gouvernements mettent en place les règles du jeu injustes, laissant croire à une impossibilité de contrôler politiquement la sphère économique. Ces règles deviennent hors de portée des pratiques démocratiques, affaiblissent les protections environnementales et sociales, et précarisent les populations. L'État joue désormais un rôle central dans la reproduction et l'aggravation des inégalités sociales, une tendance accompagnée par l'expansion de l'appareil sécuritaire, de la répression et de la surveillance.

N'oublions jamais que dans le Sud global, beaucoup des services essentiels fournis par des OCI, allant des infrastructures aux écoles en passant par les programmes de microcrédit, relèvent en principe de la responsabilité des États. La mise en œuvre de ces services, soit la réalisation de ces droits, nécessite des investissements considérables dont nombre d'États n'ont pas les moyens. Cette atrophie budgétaire n'est pas le fruit d'une pauvreté réelle en termes de ressources, mais découle plutôt des inégalités instaurées depuis la colonisation, de la division internationale du travail, des conditions de libre-échange qui permettent le pillage des pays, et aussi de la corruption qui gangrène nombre d'entre eux.

Que l'élite politico-économique s'en mette plein les poches pendant que les services publics se raréfient et que la population se précarise... ça ne vous rappelle pas quelque chose? Ici aussi, le plein exercice de nos droits relève de la responsabilité de l'État, alors que les services publics s'effritent avec une rapidité déconcertante. L'austérité est un choix politique et idéologique menaçant directement les droits individuels et collectifs. Le gouvernement tient sa ligne avec une malhonnêteté croissante, malgré les mobilisations populaires et la démonstration que des solutions existent pour éviter de saigner à blanc les services sociaux.

Préserver notre intégrité, refuser la complaisance

La possibilité citoyenne d'influencer réellement les décisions politiques rétrécit. Des canaux de dialogue privilégiés entre les gouvernements et les grandes compagnies contribuent à favoriser le profit qu'on dit tributaire d'un « développement », qui ne cesse en fait de s'éloigner. Le droit international économique permet la violation éhontée du droit des peuples à exercer la démocratie, les compagnies poursuivant les États qui choisissent de légiférer en faveur du bien commun et les gouvernements qui « déçoivent les attentes légitimes » des compagnies transnationales.

L'austérité, conjuguée au pouvoir accru des compagnies face aux États, risque d'affecter l'indépendance et la cohérence des actions des OCI. Le tarissement du financement public des organisations de la société civile en pousse plusieurs à envisager le financement provenant du secteur privé. Les organismes subissent les coupures, mais leur souhait le plus sincère demeure de poursuivre leurs projets, même en faisant beaucoup avec moins. On envisage d'être plus souple dans les considérations d'éthique et de cohérence, parce qu'il faut bien trouver de l'argent quelque part, pour financer une mission en laquelle on croit.

La différence est pourtant fondamentale : le public défend l'intérêt public et le bien commun. Le privé, même s'il peut améliorer ses pratiques, est toujours motivé par le profit. Il promeut, protège, s'organise à la faveur de projets qui peuvent servir ses intérêts, lesquels n'ont aucune raison évidente d'être en cohérence avec le bien commun. À l'heure de la suprématie des compagnies sur les droits humains, du « citoyen corporatif » et de l'acharnement industriel malgré les changements climatiques, il est difficile d'en douter.

Au sein de l'initiative Devonshire, des compagnies redorent leur image aux côtés de projets de coopération internationale, encouragées par la notion de « responsabilité sociale des entreprises » qui est incontestablement au goût du jour. Pourtant, certaines de ces compagnies provoquent des drames humains et environnementaux d'une ampleur alarmante. C'est ainsi qu'on trouve dans ce partenariat les logos de plusieurs entreprises minières, alors que certains de nos organismes travaillent en solidarité avec leurs victimes directes. Malheureusement, l'austérité actuelle risque de mener de nouvelles organisations à envisager ce type de partenariat, faute d'autres sources de subventions, et ce malgré la lourdeur des doutes éthiques qu'ils soulèvent.

Transversalité des luttes et mobilisation

Pour défendre une réelle justice sociale, celle qui sous-tend les idéaux de la solidarité internationale, il est fondamental de s'attaquer ensemble à ce modèle économique plus large auquel participe l'austérité. Les luttes sont transversales et doivent être comprises comme interdépendantes. Il est hautement souhaitable que les OCI se reconnaissent un rôle dans la lutte contre l'austérité. Comment?

En nous mobilisant, ici! En participant aux journées de grève et aux manifestations comme celles du 2 décembre, et en les diffusant dans nos réseaux.

En restant à l'affût des autres enjeux qui constituent des menaces structurelles à notre société civile, tels que le projet de loi 56 qui menace de brimer la liberté d'expression et de réduire la capacité de mobilisation des OSBL du Québec.

En étant à l'écoute d'abord et avant tout des besoins des gens et des considérations éthiques qui doivent guider nos gestes.

En comprenant les motifs idéologiques et les raisons systémiques de la pauvreté et des violations des droits humains, ici comme ailleurs. Les politiques qui privent les populations des services essentiels doivent être identifiées et dénoncées. Nos partenaires du Sud qui travaillent à changer les politiques et les causes structurelles des inégalités sociales méritent notre attention et notre appui. Un dialogue sur le modèle économique largement imposé dans le monde d'aujourd'hui devient incontournable, tant avec nos partenaires que pendant nos activités d'éducation du public.

N'hésitez pas à contacter Charles Saliba-Couture, fondateur et coordonnateur du blogue Un seul monde, pour en savoir davantage sur le blogue ou connaître le processus de soumission d'articles. Les articles publiés ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l'AQOCI, du CIRDIS ainsi que de leurs membres et partenaires respectifs.

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Mai 2017

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