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Qu'est-ce qu'on attend de la recherche dans le développement international?

Se pencher sur l'utilisation de la recherche scientifique et, ce faisant, sur le rôle de cette dernière dans le développement est un exercice qui mérite l'attention des chercheurs et des professionnels du développement parce qu'il concerne le sens de leur activité.
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Ce billet du blogue Un seul monde, une initiative de l'AQOCI et du CIRDIS, a été écrit par Katia Vianou, professeure adjointe de communication à l'Université canadienne de Dubaï et membre du Centre interdisciplinaire de recherche en développement international et société (CIRDIS) à l'UQAM. L'article est adapté d'une présentation faite dans le cadre de la 14e conférence annuelle internationale sur la communication et les médias de masse, qui s'est tenue à Athènes en mai 2016.

En tant que chercheure et communicatrice, je me suis régalée, au cours des dernières années, de la réflexion intensive sur l'utilisation de la recherche scientifique qui est menée dans le milieu du développement international.

De fait, depuis le tournant des années 2000, plusieurs organismes d'aide au développement connus à l'échelle internationale - dont le Conseil de la recherche en santé pour le développement, l'Overseas Development Institute et le Centre de recherches pour le développement international - ont lancé un programme de recherche sur ce thème. On a aussi assisté à une multiplication des ateliers sur la «synergie chercheurs-décideurs», des interventions sur le «passage de la recherche à l'action» et des formations en communication de la recherche.

Aller au cœur des pratiques et des politiques - et parfois les fonder

Se pencher sur l'utilisation de la recherche scientifique et, ce faisant, sur le rôle de cette dernière dans le développement est un exercice qui mérite l'attention des chercheurs et des professionnels du développement parce qu'il concerne le sens de leur activité.

En effet, au premier abord déjà, la problématique de l'utilisation de la recherche rejoint plusieurs intuitions quant à l'essentialité de la recherche dans le développement international et à son utilisation, de même que certains impératifs auxquels ces acteurs sont soumis en termes d'impact de leurs programmes et projets.

À un niveau plus fondamental, cette problématique soulève des questions profondes qui ont trait à la nature de l'investigation scientifique et à ses finalités: que vise-t-on à connaître quand on fait de la recherche pour ou sur le développement international? La valeur des connaissances produites dépend-elle de leur effet ou utilité pratique? À quoi peut-on réalistement s'attendre en matière d'utilisation des résultats?

L'administration des questionnaires dans un projet collaboratif de recherche en éducation mené à grande échelle au Sénégal par une organisation multilatérale. © Katia Vianou

Dans le prolongement de ces questionnements apparaissent, en outre, plusieurs ensembles de pratiques et de politiques de développement dont l'enjeu central, voire la raison d'être, est la recherche et son utilisation. C'est le cas notamment dans le domaine de la communication pour le développement ou encore, plus explicitement, dans celui de la coopération scientifique internationale, un secteur de l'aide au développement dont la connaissance reste encore fragmentaire.

Enfin, cette problématique sert d'analyseur: elle éclaire autrement des enjeux de fond relatifs au processus de développement et au contexte complexe dans lequel il se déroule.

Avoir un impact et justifier ses actions

Ainsi, les études des organismes d'aide au développement offrent une analyse qui se montre riche et, je dirais, séduisante.

Riche, d'abord, parce qu'en cherchant à identifier les facteurs qui contribuent ou qui font obstacle à l'utilisation de la recherche existante, singulièrement dans les décisions politiques, ces travaux proposent une définition nuancée de l'utilisation et une analyse fine de ses déterminants. Des facteurs propres aux pays dits en développement sont mis en exergue: ils relèvent du contexte et de la communication. De plus, divers modèles conceptuels sont suggérés pour théoriser l'utilisation et une contribution est apportée au débat méthodologique sur la mesure de l'utilisation.

Séduisante, ensuite, parce qu'en posant des questions telles que «comment renforcer le lien entre la recherche et son utilisation de sorte que la recherche puisse davantage contribuer au développement?» et en y répondant, les études des organismes d'aide débouchent sur des mécanismes et programmes d'action concrets pour accroître l'utilisation de la recherche. Par exemple, un certain nombre de «bonnes pratiques» de communication de la recherche peuvent être dégagées de ces travaux. Elles vont, d'ailleurs, dans le sens d'une imbrication de la communication dans les processus mêmes de recherche.

Or ces traits combinés signalent un fait important: ici, l'utilisation de la recherche est envisagée en termes d'impact ou d'influence des résultats de recherche sur les politiques publiques, et cet impact est vu comme nécessaire et forcément bénéfique.

Comment expliquer que soit privilégiée une vision aussi ciblée de l'utilisation, axée sur l'efficacité de la recherche? La situation s'éclaircit lorsqu'on replace ces travaux dans le contexte de l'évolution de l'aide publique au développement. Il ressort alors que les programmes de recherche en question ont été mis en place précisément à un moment où les agences de développement se sont vues contraintes de démontrer l'impact positif et significatif de leurs actions sur le développement. L'an 2000, en effet, a été la jonction d'une décennie marquée par une forte remise en cause de l'aide internationale, une accumulation des déficits publics dans les pays donateurs et une réduction considérable des budgets publics alloués à l'aide, et d'une autre ayant fait de l'«efficacité de l'aide» son mot d'ordre.

Dans ce contexte, la réflexion récente sur l'efficacité de la recherche se présente donc comme une réponse à un double et pressant besoin: avoir et démontrer un impact sur le développement.

Éclairer les conceptions et idéologies, recadrer les problématiques

Aussi, du fait qu'elle est étroitement associée aux préoccupations des agences de développement, cette perspective sur l'utilisation de la recherche révèle certaines conceptions actuelles du développement et les idéologies qui y sont attachées (notamment celles qui entourent les notions de «bonne gouvernance» et d'«utilité» de la recherche). Elle laisse également entrevoir les rapports de pouvoir qui peuvent en découler.

Du même coup, elle démontre la nécessité pour les chercheurs et professionnels du développement de se saisir de la réflexion actuelle sur l'utilisation pour l'inclure dans une nouvelle perspective plus ouverte et englobante, prenant en compte la diversité des formes de recherche et leurs conditions de production.

Qu'est-ce qu'on attend de la recherche dans le développement international? Au-delà d'un consensus pour une utilisation accrue, la réponse à cette question est essentielle, multifacette... et reste largement à définir.

N'hésitez pas à contacter Charles Saliba-Couture, fondateur et coordonnateur du blogue Un seul monde, pour en savoir davantage sur le blogue ou connaître le processus de soumission d'articles. Les articles publiés ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l'AQOCI, du CIRDIS ainsi que de leurs membres et partenaires respectifs.

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Mai 2017

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