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Les Casques blancs en Syrie: la propagande sous l'aide humanitaire

Les représentations de la guerre en Syrie ont été alimentées, dans les derniers mois, par des images fournies par les «Casques blancs» (aussi appelé Défense civile syrienne), actifs dans l'aide humanitaire d'urgence à Alep. Plusieurs médias leur ont consacré des reportages élogieux, mais un examen plus attentif de cette organisation révèle une autre histoire.
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Ce billet du blogue Un seul monde, une initiative de l'AQOCI et du CIRDIS, a été écrit par Rachad Antonius, sociologue et mathématicien, qui enseigne la sociologie à l'Université du Québec à Montréal. Affilié au Consortium interuniversitaire pour les études arabes et du Proche-Orient (ICAMES) et au Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix (ROP), l'article qu'il présente ci-dessous traite du rôle politique du regroupement de la Défense civile syrienne, mieux connu sous le nom de Casques blancs.

Les représentations de la guerre en Syrie ont été alimentées, dans les derniers mois, par des images fournies par un groupe nommé « Casques blancs » (ou White Helmets, mais aussi appelé Défense civile syrienne), actif dans l'aide humanitaire d'urgence à Alep. Le journal Time et le réseau NBC News leur ont consacré de longs reportages élogieux, vantant leur indépendance politique et l'aide d'urgence de première ligne qu'ils apportent à la population civile syrienne. Sur la page d'accueil de leur site, les Casques blancs affirment « sauver des gens de tous les côtés du conflit » et « risquer leurs vies pour récupérer les corps des soldats du régime afin de leur donner un enterrement approprié ». Les Casques blancs travaillent de façon très étroite avec l'organisation Syria Campaign, qui se présente comme apolitique et comme la voix des citoyens syriens ordinaires .

Mais un examen plus attentif de cette organisation révèle une autre histoire. Dans une synthèse assez complète de la question, Max Blumenthal constate que, alors qu'elle se présente comme une association de solidarité apolitique, cette organisation remplit surtout une fonction de relations publiques très importante, visant d'une part à justifier auprès du public l'appui à une intervention militaire américaine contre le gouvernement syrien, et d'autre part à délégitimer l'action humanitaire de l'ONU qui travaille dans toutes les zones en Syrie, incluant les zones sous contrôle gouvernemental. De son côté, le programme britannique d'information alternative UK Column News a compilé des images vidéos incriminantes, qui vont dans le même sens que les analyses de Blumenthal. Ce reportage montre aussi des membres des Casques Blancs armés, et participant avec le groupe djihadiste Jabhet Al Nosra à des démonstrations de force.

L'examen des documents officiels d'enregistrement de la Syria Campaign, de la composition de son conseil d'administration et de l'identité de ses dirigeants montre qu'il s'agit d'un puissant groupe d'intérêts qui a des liens étroits avec Washington, et dont l'action principale se situe au niveau des relations publiques. Il s'avère que ce groupe est financé en grande partie par une branche de la USAID, l'agence américaine de développement international, et que son action s'inscrit dans la stratégie de « changement de régime » souhaitée par Washington. Dans un reportage , on voit un porte-parole du gouvernement américain, Mark Toner, admettre officiellement que son gouvernement a fourni 23 millions $US aux Casques blancs, alors que ces derniers affirment sur le site web ne pas recevoir d'argent d'aucun gouvernement impliqué dans la crise syrienne.

Défense civile syrienne nettoyant des décombres après une attaque à Maarat al-Nu'man

© USAID

Tant la Syria Campaign que les Casques blancs ont mis la demande d'une zone d'exclusion aérienne en Syrie (No Fly Zone), prélude à une intervention militaire américaine directe, au cœur de leurs revendications, en la présentant comme étant la meilleure façon d'appuyer les réfugiés syriens. Rappelons que c'est bien l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne qui avait permis la réalisation du scénario libyen de changement de régime, et le chaos à grande échelle qui en a résulté.

Pour la réalisation de ces deux objectifs, les Casques blancs ont été utilisés pour fournir des images servant à une mobilisation de l'opinion publique américaine en faveur de la zone d'exclusion aérienne. En multipliant dans les grands médias des images de Casques blancs sauvant des enfants des ruines des bombardements, la Syria Campaign a donné aux Casques blancs une réputation d'agence humanitaire pacifique et neutre, et a fait circuler une pétition pour leur attribuer le Prix Nobel de la Paix. Cette pétition a été appuyée par un grand nombre de personnalités publiques internationales, ainsi que par le NPD.

Parallèlement, les Casques blancs ont entrepris de délégitimer l'action des Nations unies en Syrie, produisant un rapport accusant l'ONU d'avoir pris fait et cause pour le régime syrien. Un site web a été consacré à ce rapport, dont la page couverture reproduit le logo de l'ONU en rouge, dégoulinant de sang.

Les Casques blancs ont joué un rôle de propagande important lorsqu'un convoi du Croissant Rouge syrien, arborant les couleurs de l'ONU, s'était dirigé avec des vivres et des médicaments destinés à apporter une aide humanitaire aux populations civiles en zone rebelle à Alep durant l'été 2016. Ce convoi a été bombardé et les vivres n'ont pas été livrés. Les White Helmets ont alors filmé la scène, et prétendu qu'il s'agissait d'un bombardement aérien. Le gouvernement américain avait alors accusé la Russie, alliée du gouvernement syrien, d'avoir bombardé le convoi. Bien qu'aucune preuve en ce sens n'ait été produite, la presse occidentale a généralement adopté la version des White Helmets, contribuant à justifier la nécessité d'une implication militaire directe contre le régime syrien, une étape que Washington n'a jamais voulu franchir. Par contre, cette campagne a eu pour effet de limiter énormément la capacité de l'ONU à fournir de l'aide humanitaire, la coupant du coup des sources d'information sur le terrain, le tout mettant en place des conditions plus sophistiquées pour contrôler encore davantage l'information émanant des territoires rebelles, déjà fortement limitée aux sources rebelles.

On voit donc que si ce groupe sauve effectivement des vies, c'est surtout l'orientation politique de son action qui pose problème. Les analyses critiques de Blumenthal et de UK Column News ont amené des éléments de preuve accablants qui remettent en cause la crédibilité de l'organisation. Ils permettent aussi de comprendre le rôle de propagande qu'elle joue dans la stratégie de « changement de régime » en Syrie, voulue par les pays de l'OTAN.

N'hésitez pas à contacter Ève Claudel Valade, coordonnatrice du blogue Un seul monde, pour en savoir davantage sur le blogue ou connaître le processus de soumission d'articles. Les articles publiés ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l'AQOCI, du CIRDIS ainsi que de leurs membres et partenaires respectifs.

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