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Accords d'investissement, droits humains et environnement font-ils bon ménage?

De nombreux gouvernements hésitent à adopter des politiques qui favoriseraient les droits de la personne ou l'environnement de peur d'être poursuivis par des investisseurs étrangers.
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Ce billet du blogue Un seul monde, une initiative de l'AQOCI et du CIRDIS, a été écrit par Denis Côté, coordonnateur du Groupe de travail Asie-Pacifique du Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI).

Depuis une vingtaine d'années, nous assistons à une explosion du nombre d'accords d'investissement internationaux à travers le monde. Selon les données de la CNUCED, alors qu'on en dénombrait seulement 385 en 1990, on en compte aujourd'hui plus de 3 000.

À l'origine, ces accords devaient surtout servir à protéger les investisseurs étrangers contre les actions arbitraires de gouvernements non démocratiques dans les pays en développement. En retour, les États signataires s'attendaient à recevoir une augmentation substantielle d'investissements étrangers, augmentation qui favoriserait théoriquement la croissance économique et le développement.

Malheureusement, les impacts observés sont tout autres.

Les accords d'investissement ne se traduisent pas nécessairement par une augmentation des investissements

Le premier objectif poursuivi par un accord d'investissement est de promouvoir les investissements. C'est la principale raison pour laquelle des pays en développement acceptent de signer de tels accords avec des pays développés. Cependant, selon un rapport de 2013 du Secrétariat du Commonwealth, les études qui ont tenté de démontrer une relation de cause à effet entre la signature d'accords d'investissement et l'augmentation des investissements ne sont guère concluantes. Le même rapport citait également un sondage de la CNUCED mené en 2007 et qui montrait que l'existence d'un accord d'investissement n'a finalement que peu d'influence sur la décision d'une entreprise d'investir ou non dans un pays donné. Du coup, les retombées positives de ces accords pour les populations des pays en développement sont contestables.

Les accords d'investissement confèrent des droits aux investisseurs étrangers, mais pas d'obligations

Le deuxième objectif des accords d'investissement est de protéger les investisseurs contre les actions des États hôtes (c'est-à-dire, ceux dans lesquels ils investissent). Grâce à ces accords, les investisseurs étrangers bénéficient de protections extraordinaires qui leur permettent même de poursuivre les États lorsque des lois ou des politiques publiques mises en place par des gouvernements élus vont à l'encontre de leurs «attentes légitimes». En d'autres mots, si le gouvernement du pays hôte adopte des politiques pour promouvoir les droits humains ou pour protéger l'environnement, il peut être poursuivi par les investisseurs étrangers pour la perte de profits anticipée suite à ces changements.

Si les accords garantissent des droits extraordinaires aux investisseurs étrangers, ils restent cependant muets quant à leurs obligations. Si bien qu'ils ne mentionnent même pas l'obligation pour les investisseurs étrangers de respecter les droits humains des populations des pays hôtes. En fait, dans les disputes liées aux accords d'investissement, seuls les droits des investisseurs sont pris en compte: pas les droits humains des communautés des pays hôtes.

Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États est illégitime

Les accords d'investissement peuvent prendre différentes formes. Au Canada, ces accords se traduisent généralement par des accords sur la promotion et la protection des investissements étrangers ou par des chapitres consacrés à la question des investissements dans les accords de libre-échange. Peu importe leur forme cependant, tous ces accords comportent une section qui stipule qu'en cas de conflit, les parties doivent s'en remettre à un mécanisme de résolution des différends appelé le Règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE). Les deux principaux forums où ces disputes peuvent être entendues sont le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ainsi que la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI).

Ce mécanisme de RDIE manque sérieusement de légitimité. Premièrement, il permet aux investisseurs de faire fi des tribunaux nationaux et de mener leurs poursuites contre les États dans des tribunaux d'arbitrage internationaux. Seuls les investisseurs étrangers peuvent se prévaloir de ce privilège: ni les États, ni les communautés ne peuvent en faire autant.

Deuxièmement, ces tribunaux ne sont pas transparents. Il y a peu d'information disponible sur les cas et l'existence même des poursuites est parfois gardée secrète.

Troisièmement, ces tribunaux ne sont pas indépendants. En effet, les arbitres qui rendent les décisions dans certains cas sont les mêmes qui agissent comme avocats défendant les intérêts des investisseurs dans d'autres cas.

Quatrièmement, il n'y a pas de procédure d'appel. Si un État est en désaccord avec la décision rendue, il n'a donc pas de recours.

Finalement, ces tribunaux ne tiennent pas compte des obligations des États concernant les droits humains dans leurs délibérations. Cette pratique va à l'encontre de la Charte des Nations unies (article 103) qui précise qu'en cas de conflit entre les traités de droits humains et tout autre accord convenu entre les États (comme les accords d'investissement), ce sont les obligations de l'État par rapport aux droits humains qui doivent primer.

Le mécanisme de RDIE menace les droits humains et la protection de l'environnement

Le mécanisme de RDIE menace les droits humains et la protection de l'environnement d'au moins deux manières. D'un côté, les sommes faramineuses que les États sont condamnés à payer aux investisseurs étrangers suite aux décisions de ces tribunaux illégitimes diminuent d'autant la capacité des gouvernements à investir dans des programmes sociaux.

D'un autre côté, l'importance des sommes encourues si les États perdent font que ceux-ci y pensent à deux fois avant de légiférer (policy chill). En effet, de nombreux gouvernements hésitent aujourd'hui à adopter des politiques qui favoriseraient la réalisation des droits de la personne ou qui renforceraient la protection de l'environnement de peur d'être poursuivis par des investisseurs étrangers.

Qu'est-ce qu'on peut faire?

La mobilisation contre le mécanisme de RDIE s'accentue à travers le monde depuis quelques années. En novembre 2015, notamment, les trois groupes de travail régionaux du Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI) - le Forum Afrique-Canada, le Groupe d'orientation politique pour les Amériques et le Groupe de travail Asie-Pacifique - ont publié un document d'information sur les traités d'investissement et les droits humains (bientôt disponible en français) qui propose davantage d'information sur le sujet ainsi que trois pistes d'action pour s'attaquer aux problèmes liés aux accords d'investissement et au mécanisme de RDIE :

• retirer le mécanisme de RDIE du modèle d'accord d'investissement canadien ;

• s'assurer que les différends investisseur-État soient d'abord entendus au niveau national ;

• et faciliter l'accès aux cours canadiennes pour les communautés des pays hôtes dont les droits ont été bafoués par les opérations de compagnies canadiennes.

Si le gouvernement canadien est sérieux dans sa volonté de lutter contre les inégalités, de promouvoir la réalisation des droits humains et de protéger l'environnement, il doit retirer son soutien au mécanisme de RDIE.

N'hésitez pas à contacter Charles Saliba-Couture, fondateur et coordonnateur du blogue Un seul monde, pour en savoir davantage sur le blogue ou connaître le processus de soumission d'articles. Les articles publiés ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l'AQOCI, du CIRDIS ainsi que de leurs membres et partenaires respectifs.

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